Le 19 mars dernier, mon blog s’intitulait « le Québec corrompu ? » dans lequel j’exprimais ma conviction que les Québécois et leur gouvernement ne sont pas corrompus.
Or, voilà, il y a à peine quelques jours, le magazine canadien Maclean’s a publié un long article sur le sujet et déclare en première page, avec force et en gros caractères couvrant l’entièreté de la page : « Québec : The most corrupt province ». Pour avoir de la copie, ce magazine est prêt à tout !
Cela m’a fait sursauter car l’affirmation est totalement fausse. L’article n’est qu’un regroupement de racontars tous croches sur des scandales qui ont éclaté au Québec depuis près de 80 ans. Pour trouver des arguments, les deux auteurs de ce torchon ont remonté dans le temps, au premier ministre Maurice Duplessis. Ils auraient pu creuser un autre 40 ans, au commencement du règne de l’ex-PM Alexandre Taschereau, pour trouver des histoires encore plus juteuses.
Leur texte n’est que du bavardage médisant qui s’ajoute aux ragots qui circulent dans le pays envers les Québécois francophones.
De l’ère Duplessis, les auteurs de l’article réfèrent au système de « patronage politique » qui existait. Cela est indéniable et l’enquête Salvas qui a eu lieu après l’entrée au pouvoir de Jean Lesage l’a démontré. Mais, sciemment, ils ne soulignent pas que des systèmes de même nature existaient aussi dans les autres provinces canadiennes, au gouvernement du pays et aux USA. Partout, pour se maintenir au pouvoir, les politiciens influents et leur parti accordaient à leurs amis des faveurs en reconnaissance de leur aide passée. Ils négligent de dire que Duplessis fut un bâtisseur et un rénovateur. Il a réalisé l’École Polytechnique de Montréal, la faculté des sciences de Laval, créé l’université de Sherbrooke, construit plus de 3,000 bâtiments scolaires, 144 hôpitaux, les premières autoroutes, pavé plus de 5,000 milles de routes, multiplié les barrages hydroélectriques, électrifié 90% du Québec, mis en place le crédit agricole, les premières lois sociales, et encore et encore.
De plus, il a bataillé ferme avec le gouvernement fédéral pour défendre la compétence fiscale du Québec au point de vue constitutionnel et pouvoir établir un premier impôt personnel provincial avec sa déduction de l’impôt fédéral. Ainsi le Québec a augmenté considérablement son autonomie. Avec la basse dette, que Duplessis a remboursée, d’année en année, et cette nouvelle ouverture fiscale, le Québec était prêt à se lancer financièrement dans « la révolution tranquille ». Mais où était donc le Québec avant lui ? Les auteurs n’en glissent pas un mot.
Le patronage de l’ère Duplessis a été utilisé par Jean Lesage pour convaincre les Québécois de lui faire confiance. Il a été élu et beaucoup de choses ont changé. Les lois se sont raffermies, le ministère de l’éducation a été créé, les soumissions publiques ont été instituées, les autoroutes se sont multipliées, le Québec a gagné d’autres points d’impôts, l’Hydro-Québec est devenu le monopole de l’électricité au Québec, etc… Mais un ingénieur qui n’était pas libéral n’obtenait pas de mandat, ni un avocat, etc… le patronage existait sous une autre forme. Malgré que l’équipe de Jean Lesage était qualifiée de l’ « équipe du tonnerre » à cause de la grande compétence et de l’intégrité de ses ministres, les auteurs de McClean’s ont repêché un article d’un historien qui soulignait, à ce moment-là, que « la province de Québec était l’endroit le plus corrompu de tout l’espace occupé par l’Australie, la Grande Bretagne, les USA et le Canada ». Comme citation fausse et mensongère, on ne peut trouver pire pour qualifier la « révolution tranquille » du Québec. Elle démontre bien la mauvaise foi des auteurs.
Pour les années suivantes, ces derniers soulignent les problèmes syndicaux importants qui se sont développés, lors de la construction de l’aéroport de Mirabel, du barrage hydroélectrique de la Baie James et dans l’industrie de la construction. Cette période fut particulièrement difficile pour l’ensemble des Québécois.. Le gouvernement de Robert Bourassa a finalement réagi et lancé l’enquête Cliche qui a dévoilé l’envergure du banditisme dans le milieu de la construction. Elle était due à une poignée de chefs syndicaux malhonnêtes. Ses recommandations ont mis fin à cette situation déplorable. Les Québécois furent scandalisés par le rapport de la commission et, à l’élection qui suivit, rejetèrent massivement les libéraux pour élire le premier gouvernement indépendantiste au Québec.
Plus tard, et il y a à peine quelques années, le gouvernement fédéral Martin à Ottawa forma une Commission d’enquête sur un scandale qui devenait évident, celui des « commandites ». Le but du gouvernement canadien était de publiciser le Canada dans toutes les activités sociales, récréatives, culturelles, sportives et autres du pays, particulièrement au Québec. L’enquête fut révélatrice et découvrit un scandale d’une envergure insoupçonnée. Les coupables, des fonctionnaires et des publicistes, furent clairement identifiés et punis sévèrement. Encore une fois, le peuple québécois a réagi vivement et rejeta le parti libéral aux élections fédérales qui suivirent.
Les auteurs de McClean’s ne manquent pas une occasion de baver sur le Québec. Ils voient de la corruption dans la démarche récente des députés conservateurs de la région de Québec pour obtenir du gouvernement canadien une partie importante du financement d’un nouvel amphithéâtre multifonctionnel. C’est une bêtise politique et non de la corruption.
Les auteurs accusent aussi de corruption les candidats de deux comtés fédéraux au Québec où se sont tenues des élections partielles récemment et où le gouvernement a dépensé démesurément pour aider la cause de ses candidats. Ils ont gagné de justesse face au Bloc québécois. Ce fut la même chose lors d’élections partielles hors Québec, mais cela, les auteurs n’en parlent pas. Tous les partis à quelque niveau que ce soit, Québec ou ailleurs au Canada, lorsqu’au pouvoir, font de même. Corruption ? Sûrement pas, mais une tactique électorale injuste qui est trop répandue au Canada car il en fut de même pour les comtés conservateurs du Canada qui ont reçu plus que leur part des argents du programme de stimulus implanté par le gouvernement fédéral pour contrer la crise économique. Ce ne sont pas les Québécois qui ont décidé de cela, mais l’intelligentsia du parti conservateur à Ottawa, et on sait tous qu’elle n’est pas québécoise. Encore une fois, cela n’est pas acceptable et doit être corrigé. De la corruption, c’est un peu fort… plutôt de la mal-administration.
Les auteurs ajoutent dans le même chapeau les transfuges des partis politiques : les députés qui changent de parti politique durant leur mandat. Parmi ceux-là, ils nomment Lucien Bouchard, qui a quitté le parti progressiste-conservateur du Canada pour joindre les rangs des indépendantistes du Parti Québécois. Bouchard, un homme corrompu pour avoir agi ainsi ? On y voit bien le manque d’arguments sérieux de ces journalistes du McClean’s.
Les récentes années nous ont apporté un scandale de nature différente : la flambée des coûts de la construction. Nous avons tous constaté ce nouveau phénomène en apprenant l’augmentation démesurée des coûts de la construction de l’extension du métro à Laval, du projet de l’autoroute Ville-Marie, du contrat des compteurs d’eau de la ville de Montréal, des prévisions budgétaires pour les garages et les centres d’entretien pour l’Agence métropolitaine de transport (AMT), du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM) pour ne mentionner que ceux-là, car il y en a des dizaines d’autres. Les observateurs avertis sont surpris de cette situation tout comme le sont les citoyens qui y voient des augmentations futures de taxes foncières et autres.
Que se passe-t-il ? Sommes-nous victimes de fraudeurs ? Les estimateurs sont-ils de complets ignorants ? Y-a-t-il une mafia qui s’est installée dans le domaine de la construction avec comme but de souffler les prix et les profits ? Ce ne sont pas les questions qui manquent… (mon blog du 13 août 2009 « des prix de fous »).
J’ai recommandé alors la mise sur pied d’une commission d’enquête sur les coûts de construction. J’estime qu’il est urgent de bien comprendre ce qui se passe afin de faire les corrections nécessaires avant que le Québec entreprenne les cinq prochaines années où plus de 45 milliards $ de travaux d’infrastructures seront réalisés. Nous avons besoin d’hommes et de femmes politiques qui comprennent mieux leur responsabilité en rapport avec la qualité et les finances de la réalisation de grands projets de construction, infrastructures ou autres. Notre monde de la construction doit aussi être à la hauteur, honnête et respectueux des règles de l’art.
Le premier ministre québécois actuel Jean Charest, voit différemment et a confié à la police le mandat de trouver les coupables. J’espère qu’elle réussira. Mais cette décision du PM a déchainé contre lui une tempête politique qui le décrédibilise énormément et qui affectera dans l’avenir, si on juge par le passé, sa possibilité et celle de son parti de revenir au pouvoir, car les Québécois sont choqués de ce qu’ils apprennent.
Puis, il y a la question de l’heure. Celle de la nomination des juges par le gouvernement du Québec. Les deux auteurs de McClean’s semblent dire que les déclarations de l’ex-ministre de la justice Marc Bellemare sont vraies alors que de toute évidence aujourd’hui, après les témoignages de plusieurs personnes qui connaissent le rouage du gouvernement québécois, on peut en douter sérieusement. Ces auteurs disent que les Québécois acceptent les dires de Bellemare. Je crois qu’il est prématuré d’affirmer cela puisque la Commission n’a pas encore terminé son travail. Les Québécois sont plus intelligents que pensent les scribouilleurs de McClean’s
Conclusion
Il est clair que tout au long de l’histoire du Québec, il y a eu des scandales politiques. C’est la même chose ailleurs. Le peuple du Québec a toujours réagi vivement à ces scandales, à partir du moment où ils ont été connus. Il a, à chaque fois, rejeté aux urnes le gouvernement en fonction à ce moment-la. Il le voyait responsable de n’avoir pas agi pour éviter de telles situations.
Il est clair que ces scandales sont le lot de quelques individus qui obtiennent un pouvoir particulier du gouvernement et qui l’utilisent de façon malhonnête. Encore là, à chaque fois, malgré que le gouvernement pouvait être impliqué indirectement, ce dernier a réagi et a fait enquête via une commission ou autrement, même si les retombées pouvaient lui nuire.
J’ai connu un très grand nombre d’hommes et de femmes politiques, à tous les niveaux, et je suis absolument convaincu que l’ensemble de ces individus est honnête, intègre et bien intentionné.
Les scandales politiques se manifestent partout au Canada, et non surtout au Québec. C’est de la démagogie pure d’affirmer que le Québec est la province la plus corrompue du pays. C’est vouloir faire mal, salir, dénigrer et gagner aisément des sous au détriment d’autrui. Ces deux journalistes de McClean’s, n’ont cherché qu’à produire une forte impression de surprise, d'intérêt ou d'émotion nonobstant les conséquences néfastes pour les Québécois. Ils voulaient de l’effet, rien d’autre et cela par intérêt personnel. Ce sont clairement des personnages qui ne sont pas à la hauteur du professionnalisme que requiert leur profession. Ce sont de tristes personnages.
Claude Dupras