Le projet de loi relatif à l'immigration, sixième sur le même sujet depuis 2002, conditionne l'accès à la nationalité française pour les naturalisés à la signature d'une charte des droits et devoirs du citoyen.
Ils devront la signer, pour s'assurer que ceux qui souhaitent acquérir la nationalité française non seulement connaissent mais adhèrent aux principes et valeurs essentiels de la République. Par cette signature, mais également à l'issue d'un entretien avec un agent de l'Etat, on pourra contrôler l'assimilation de celui ou celle qui demande la nationalité française. Cette charte leur sera remise lors de la cérémonie d'accueil dans la citoyenneté française, en présence de parlementaires.
Lorsque cette proposition de charte a été présentée en janvier dernier, pendant le calamiteux débat sur l'identité nationale, elle devait s'adresser à tous les jeunes majeurs. Elle ne concerne plus que les naturalisés. Il semble que le ministre n'ait pas mesuré la portée de ce qu'il propose.
Cette disposition inscrit en effet une différenciation à vie et sans précédent entre citoyens selon la nature de leur nationalité, d'origine ou acquise. Pour ceux nés français, jamais personne ne leur aura demandé de signer la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, le Préambule de 1946, ou tout autre texte proclamant les valeurs de la République. Pour ceux qui auront acquis la nationalité en revanche, ils devront signer cette charte du (bon) citoyen français. Qui l'aura rédigé ? Le Constituant, le Parlement ? Vous n'y pensez pas ! Ce sera le pouvoir réglementaire puisqu'il s'agira d'un décret en Conseil d'Etat. Pour la première fois depuis la Charte de 1814, le gouvernement aura rédigé, seul, un texte proclamant des libertés fondamentales.
UNE ATTEINTE À LA CONCEPTION UNIVERSELLE DE LA CITOYENNETÉ
Autre rupture majeure : dans notre tradition républicaine, on ne reconnaissait en principe que des droits. Les naturalisés auront, eux seuls, des devoirs. A ceux nés français, on ne demande rien ; à ceux qui ont demandé à être français, on exige le respect de devoirs spécifiques sous peine de se voir retirer leur nationalité. La logique du processus permettra de retirer la nationalité à ceux qui ont méconnu les stipulations du contrat, et particulièrement les devoirs, comme les polygames. Mais où s'arrêter ? C'est le gouvernement qui appréciera si ce citoyen d'origine étrangère respecte les devoirs qu'il aura unilatéralement défini.
Nous aurons ainsi deux catégories de citoyens : ceux nés en France, et qui ont essentiellement des droits, ceux devenus français, qui non seulement n'auront pas forcément les mêmes droits mais qui seront les seuls à avoir des devoirs. Ce qui est bien normal pour le ministre puisqu'ils sont nés à l'étranger ! Le principe d'égalité soumet pourtant tous les citoyens, sans distinction d'origine, aux mêmes droits. Il serait ouvertement bafoué par cette consécration de l'existence de deux catégories de nationaux.
Une atteinte inacceptable à la conception universelle de la citoyenneté qui fait notre République depuis 1789.
Bernard Rullier, membre de la commission nationale consultative des droits de l'homme, représentant la Fédération protestante de France
LEMONDE.FR | 30.09.10
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