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Un bûcher sous la neige

Par Anne Onyme

unbuchersouslaneigeSusan Fletcher
Éditions Plon
400 pages

CoupdeCoeur

Résumé:

Au coeur de l'Ecosse du XVIIe siècle, Corrag, jeune fille accusée de sorcellerie, attend le bûcher. Dans le clair-obscur d'une prison putride le Révérend Charles Leslie, venu d'Irlande espionner l'ennemi, l'interroge sur les massacres dont elle a été témoin. Mais, depuis sa geôle, la voix de Corrag s'élève au-dessus des légendes de sorcières, par-delà ses haillons et sa tignasse sauvage. Peu à peu, la créature maudite s'efface; du coin de sa cellule émane une lumière, une sorte de grâce pure. Et lorsque le révérend retourne à sa table de travail, les lettres qu'il brûle décrire sont pour sa femme Jane, non pour son roi. Chaque soir, ce récit continue, Charles suit Corrag à travers les Highlands enneigés, sous les cascades où elle lave sa peau poussiéreuse des heures de chevauchée solitaire. Chaque soir à travers ses lettres, il se rapproche de Corrag, la comprend, la regarde enfin et voit que son péché est son innocence et le bûcher qui l'attend le supplice d'un agneau.

Mon commentaire:

J'ai tourné la dernière page de ce fabuleux roman, hier soir très tard. Je suis encore soufflée par la puissance de l'écriture. Il s'agit de ma première lecture d'un roman de Susan Fletcher et je peux assurer que ce ne sera pas la dernière.

L'auteur nous raconte en quelque sorte le massacre de Glencoe de 1692, mais la construction du récit est époustoufflante. Corrag, une toute jeune femme pleine de fougue qui sait voir la beauté du monde, est enfermée dans un sombre cachot où elle attend d'être brûlée vive sur le bûcher. Aux yeux de tous, c'est une gueuse, une sorcière. Elle montera sur le bûcher dès que le printemps arrivera. En attendant, on prépare le bois pour le feu...

Un jour, le Révérand Charles Leslie se présente à la prison. Il a apprit que Corrag a été témoin du massacre de Glencoe et veut entendre ce qu'elle a à dire. Il espère sauver son roi de cette façon en démontrant que Guillaume et ses troupes ont de sombres desseins. Pour Charles Leslie, Corrag est une sorcière comme les autres, une femme de qui on doit se méfier, sale et en haillons, probablement grouillante de vermine. Elle lui promet de lui raconter ce qu'elle a vu, mais en échange, il doit d'abord l'écouter elle, l'entendre lui raconter sa vie. Pour que les gens se souviennent de ce qu'elle a été.

Chaque jour le Révérand s'installe sur un tabouret bancal et écoute la sorcière raconter sa vie. Là où le roman est admirablement construit, c'est qu'il alterne entre les passages où Corrag raconte sa vie, de sa naissance jusqu'au massacre, avec les lettres que Charles Leslie envoie à sa femme Jane, après chaque rencontre. D'abord sans pitié et intransigeant envers la sorcière, qu'il considère comme une menace, il en vient à se questionner lui-même sur ses valeurs et sa façon de percevoir les choses. Les lettres à sa femme sont d'abord celles d'un homme qui accomplit son devoir envers son roi, pour devenir celles d'un homme plus sensible, humain, qui délaisse la froide moralité pour parler avec son coeur. J'ai trouvé le changement chez cet homme profondément troublant et émouvant.

Un bûcher sous la neige est un roman qui m'a subjuguée, dont l'écriture est forte, puissante, lumineuse, sensible et pleine d'humanité. On apprend à découvrir Corrag en même temps que le Révérand. On goûte à travers son récit, sa relation fusionnelle avec la nature, l'oeil particulier qu'elle pose sur un flocon de neige, une montagne, une chèvre, un cours d'eau. Sa vie si simple, parfois dangereuse, mais si belle et en symbiose avec la nature a su me toucher profondément.

Les éléments historiques sont parfaitement bien intégrés à l'histoire. Quand Corrag souffre, on souffre avec elle. Quand elle est effrayée, on a peur nous aussi. La chasse aux sorcières dont elle est la cible a été malheureusement le lot de beaucoup trop de femmes mal comprises, qui voyaient en la nature et leurs ressources, des remèdes à la vie qui peut parfois être cruelle.

Corrag a vécu plusieurs vies, toutes différentes et qui lui ont apportées beaucoup. Elle a connu la solitude, la faim, l'amour, l'espoir. C'est une grande âme dans une toute jeune femme. Le chapitre sur le massacre de Glencoe, qui arrive à la fin du livre, est profondément juste et troublant. On le vit avec elle, on sent son désespoir et sa rage d'aider le peuple des Highlands qui l'a accueillit.

Le Révérand dit à plusieurs reprises dans le roman, en parlant de Corrag, qu'elle a le don particulier de raconter, de rendre vivant ce qui l'entoure et de faire vivre à ses interlocuteurs son histoire.  L'auteur a le même don pour raconter. Je reprends les mots se trouvant sur le rabat de la première de couverture et qui qualifient le travail de l'auteur, mots avec lesquels je suis tout à fait en accord et qui pour moi expliquent l'essence même de ce roman: "À tout juste 30 ans (!), Susan Fletcher confirme un talent hors norme. Son écriture envoûtante et intuitive fait de ses livres des expériences sensorielles, elle donne à entendre, voir et sentir une nature animiste et des personnages bouleversants."

Pour toute cela, il faut lire ce roman.

Quelques extraits:

"Tout ce que j'aimais m'entourait, rivières, rochers. Les bêtes. Les bruits du vent. Et je leur en étais reconnaissante. J'étais reconnaissante, car parmi eux je pouvais guérir les blessures en moi, les pertes, le chagrin. Ce que mon âme avait de meurtri, je pouvais le soigner et le nourrir dans ma cabane, ou sur les hauteurs, et qui en fait autant? De nos jours, qui prend le temps de soigner son âme?" p.156

"En éteignant la chandelle et m'enfouissant sous les couvertures, je songe à cette créature assise dans son cachot, enchaînée. Comment peut-elle ne pas souffrir d'un tel froid? Elle m'affirme qu'elle ne le sent pas. Elle dit que nous avons tous une saison en laquelle nous brillons le plus, et que l'hiver est la sienne." p.168

En complément:

Un article intéressant sur le massacre de Glencoe, pour ceux qui ne sont pas familier avec cet épisode sanglant de l'histoire.


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