Chères lectrices, chers lecteurs,
Je vous livre ici un texte que j'avais écrit pour tenter de comprendre une femme fontaine, sans jugement de valeur, ni même de jugement critique, cet essai dort dans l'ombre de mon disque dur depuis trop longtemps et cela change un peu de ce que je vous offre au quotidien. J'ai pris le parti de la première personne en me transposant dans l'esprit d'une femme, j'ai conscience que ce n'est pas courrant qu'un homme tente de percer la psychologie féminine de l'intérieur, mais vous jugerez par vous-mêmes, si ce texte satisfait à vos attentes. Merci de bien vouloir me donner vos impressions, elle sont les bienvenues et surtout, merci pour votre fidélité :
La Femme Fontaine
Quand j’étais enfant, je regardai souvent les toiles des grands peintres que mon père avait dans son manuel d’instituteur consacré à l’art de l’histoire peinte. Je tournai secrètement les pages pour découvrir des paysages, des héroïnes ou des rêves d’Endymion endormis dans un sous-bois, dans un salon, des peintures d’histoire et des natures mortes, mais ce qui retenait mon attention plus que tout autre n’était pas un jardin d’André Lenotre, mais une œuvre de Gustave Courbet, une toile peinte d’un bel effet. L’auteur représentait son amour de la beauté féminine et je découvris avec plaisir et enchantement : « La Source » lutine de mes désirs enfantins.
Femme plantureuse aux formes avantageuses, recevant sous la poitrine le jet tendre et naturel du cours d’eau frais et rebel, dans la plus sensible intimité d’un être dévoilé. Nue dans les bois, cette chaste Suzanne prenait son bain ou recevait son baptême par mère nature elle-même. La terre sainte et l’eau pure, à son corps défendant et dénudé, dans le plus simple appareil, dévoilant sa sublime beauté au regard concupiscant de la spectatrice que j’étais, voyeuse impénitente, gourmande de belles choses dans mes instants de solitude coquine parfois sombres, souvent moroses.
Sous mes doigts, la page était lourde, aussi fermée qu’une palourde, j’avais beau forcer ma volonté, mes yeux ne pouvaient s’en détacher. J’étais témoin agissante, pionnière de la tourmente, et j’aurais voulu être elle, « La Source » du plaisir, être comme elle, grande, forte et puissante, charpentée comme ces femmes d’une époque qui croquent l’amour à pleines dents et qui en redemandent encore, après mille assauts inassouvis d’une forteresse de l’envie. Je voulais être cette femme, dont les mains de l’homme s’enfonçaient dans la chair au cœur même de la passion, comme celles de Pluton qui pénétraient la cuisse ferme et tendre de Porspérine, sculpture admirable du Bernin que j’avais pu découvrir à Rome à la Villa Borghese, debout derrière une bande de sécurité.
Mais, j’étais squelettique, peut-être un peu anorexique, j’étais plutôt jolie, d’autres me trouvaient belle et les garçons ne pensaient qu’à prendre la fleur d’une Civelle. J’avais de longues jambes, de beaux cheveux, des hanches fines et deux petits seins ravissants, rien de comparable à « La Source » qui était plus fournie que moi en tout, plus désirable aussi. On me disait bête parce que j’étais naturelle, et que je disais ce qui me passait par la tête, moi, je me taisais et j’acceptais mon sort, dans l’abnégation d’une intelligence qui dort. Je ne comprenais pas tout, il est vrai, je pensais même différemment, je m’étonnais de ce qui était simple pour les autres et sibyllin pour moi. J’étais la bêtasse à défaut de la pétasse et donc, je ne m’en plaignais pas, je vivais dans le silence de la conscience. Je m’occupais de mes frères qui se chamaillaient pour tout et n’importe quoi. J’étais pour eux, « petite mère », mais ils l’ont oublié depuis la maladie de mon père.
Vers vingt ans, je trouvai un parti, enfin, c’est lui qui me trouva, peut-être n’était-il pas si bon pour moi, quoi qu’il en soit, il m’épousa. Il n’était pas très grand, mais il était beau et surtout, il avait du talent. Le crayon était le prolongement de son doigt et il fit tant de dessins de moi et de mon corps juvénile, que je me sentis « La Source » plus d’une fois fragile. J’étais la muse d’un peintre qui adorait caresser mon corps de sa mine plomb, la couleur, il l’appliquait avec le bout de sa langue sur la courbe du téton. Il m’aimait muette et m’adorait sur les murs en oubliant que j’étais là, debout là sous son toit. Le jour, il était bon, la nuit, comme un démon. Il buvait jusqu’à noyer sa tempête dans un verre de vin, il étouffait son chagrin d’enfance, sans la moindre repentance en me voyant juste un peu moins. Quand il s’apercevait de ma présence, je devenais souffre-douleur et je recevais sur mon dos, une averse de pleurs, de sa profonde tristesse et de ma terrible paresse, mais j’étais malgré tout sa femme, et tous mes rêves de petite fille s’envolèrent comme une flamme. Au petit matin, il m’aimait comme le bon pain, et courte il avait la mémoire de sa nuit triste, de sa nuit noire. Chaque nouvelle aube je fus blessée et jamais, je n’ai pu oublier, durant ces vingt dernières années, la meurtrissure passée.
La cicatrice est là béante, juste là, sur le bas-ventre. J’aurais pu renaître de mes cendres, encore eut-il fallut les prendre, mais, je les ai dispersées-là au gré des vents, dans « l’eau de là. » Nous eûmes pourtant quelques bonnes années, au début, il m’appelait « ma bien aimée », avec le temps, les difficultés, et le sentiment vint à changer. Je lui donnais une fille, elle avait son esprit, elle avait ma beauté, mais, je demeurais la bêtasse ou alors, la connasse aux heures du vin. Dans mes instants de solitude, je contemplais « La Source » et je rêvais, je me disais que ce peintre devait l’avoir aimé toutes ces années, combien il avait pu l’adorer pour ainsi la représenter. Nue, de dos ou de face, allongée là avec une autre, son rubis noir, brûlant comme l’âtre et rebaptisé comme l’apôtre : « L’Origine du monde » ; et c’était tellement vrai, mon sexe était à l’origine du monde, je rêvais d’amour et je n’éprouvais pas le plaisir, du moins pas avec lui, avec le père de mon enfant, avec mon mari. Il aimait mon corps sans me posséder, dépréciant mon âme sans hésiter. Moi, je demeurais silencieuse en contemplant « La Source » heureuse dans sa toile, puisant ma force dans l’eau revigorante, qui devait noyer mon corps amarante. Notre enfant grandit, autant que notre éloignement et de mon corps meurtri, le plaisir s’évanouit complètement. Avec lui, je n’éprouvais plus rien et je lui refusai l’endroit nacré entre mes cuisses, celui qui a tant fait rêver Ulysse. Nous étions deux étrangers vivant côte à côte, sachant que, l’amour nous dévorait l’un et l’autre. Je ne pouvais plus offrir mon corps, il avait brisé mon âme à coups de mauvais sorts d’ivresse fatale.
Nous prîmes alors une grave décision, celle de sombrer chacun en pamoison, et tenter d’éprouver l’amour, ou du moins, ce qu’il en restait avec d’autres. Le soir, il avait des activités nocturnes, dans certains bars avec une brune puis, mon tour fut le suivant, et je sortis de temps en temps. Sans le chercher absolument, je fis la rencontre d’un amant, il était grand, il était beau, il m’embrassait langoureusement, il portait le nom d’un ange, Sandro Del Avalanche ; il me caressait avec tendresse, sans crayon, ni paresse, il m’aimait tout simplement, sans me juger autrement. Il avait le vin en horreur, autant que les scènes d’humeur. Je l’ai un peu aimé, et quand je suis partie, je l’ai pleurée. Mais, une nouvelle vie s’offrait à notre famille, une chance au parfum de vanille, un choix, une décision, une folie en pleine saison, partir et tout recommencer, comme une genèse émerveillée. Je n’étais plus capable de l’aimer, c’était plus que j’en pouvais endurer, mais je devais pourtant essayer.
J’ignore où il allait trouver son plaisir, le mien, dans ce petit village de saphir, je devais le trouver seule, j’étais toujours son épouse et la réputation pour un couple jeune peut avoir de terribles répercutions sur le voisinage d’un hameau sage. Je ne souhaitais pas lui faire de tors, il était toujours mon époux et le père de mon trésor. Alors, je commençais à effleurer mon épiderme, à me toucher la nuit d’une main ferme, lorsque après une bonne bouteille de rouge, j'espérais que plus personne ne bouge, je l’entendais ronfler en bas sur le canapé du salon, j’étais seule avec ma vie, là, sous les draps, sans pantalon.
Au début, je n’éprouvai pas grand-chose, mais j’avais tant besoin d’amour, de plaisir rose… De plaisir, je n’en avais pas éprouvé depuis de longues, longues années. J’étais seule avec ma douleur, personne pour partager mes pleurs, des larmes de silence qui remontent jusqu’à l’enfance. J’avais mal dans mon ventre et cette éternelle attente de pouvoir jouir enfin entre les mains de quelqu’un… Mais, je ne trouvais personne et pourtant, des hommes devant chez moi, il y en avait des tonnes, mais je ne pouvais pas, je ne devais pas.
Un beau jour, j’ai eu quarante ans, ma jeunesse fuyait lentement, je regardais « La Source », elle n’avait pas même une ride, et moi, j’étais toujours Sylphide.
- « Comme tu as du être aimée » à chaque fois je répétais en déposant un baiser sur sa peau de miel.
Je me disais même que si j’avais été plus grosse, plus forte en chair et en matière, j’aurais trouvé à me fourrer, un prédateur, un carnassier, un chasseur ou un trappeur, qui m’aurait sincèrement aimé. Mais non, belle et toujours désirable, j’étais frigide comme l’Érable.
Et puis un jour, c‘est arrivé, comme le printemps dans une année. À force de me tripoter, du tronc d’Érable qu’était mon arbre, un sirop blanc s’est écoulé. Passant des heures à me branler, à chercher l’endroit caché entre mes cuisses, j’ai caressé le bouton rose apprivoisé. À la faveur d’une prose, un éclair de lune pose, sur mes cuisses enflammées, une jouissance instantanée. Succombant aux secousses répétées, moi pauvre femme assassinée, sous cette douleur d’immédiateté, je disparais vaporisée. Et de mon malheur de solitude, le destin choqua ma plénitude. De l’orgasme retrouvé enfin, une source coulait de mon corps comme le vin d’un fût plein. Le sol était maculé de ma semence en flaque dorée, je ne tenais plus debout sur mes pieds, l’émotion m’avait bel et bien achevée. Faible, démantelée, mon esprit s’était élevé, abandonnant mes membres à la passion, ils tremblaient juste d'excitation.
C’est arrivé la première fois, mon mari n’était pas là, mais cela s’est reproduit depuis, autant que cela me surprit. Comme fontaine, un jet de moi est sorti et s’est répandu sur le drap de lit, c’était comme une sensible brûlure, couvrant ma plainte, ma tessiture. Un tremblement violent me secoua et puis un autre, un long moment. Épuisée, j’ai contemplé ce jet de sirop nacré, j’étais moi-même impressionnée par ce qui venait de me frapper. J’avais honte, oui, j’avais honte, comment avais-je pu faire cela, je pensais que j’aurais dû mettre une couche, mais comment imaginer la grâce qui me touche ? J’avais découvert le plaisir à cet instant, cet élixir, aspect troublant. Étrange matière sur le dessus de ma litière, liquide visqueux étalé devant mes yeux. La jouissance a donc cette couleur, ce jus amer sort de mon cœur. Curieuse de nature, je glissais l’index contre l’éruption pour goûter cette passion, ce n’était pas de l’urine mais de la jouissance câline. Seule, j’avais obtenu ce que des milliers de femmes attendent de l’amour, j’étais devenue, femme fontaine, femme jouisseuse sans trop de peine, j’étais enfin parvenue à rivaliser avec « La Source », mais je l’avais conquise seule, avec moi-même, sans partenaire, sans amour et dans l’ombre solitaire de mon désespoir d’un soir.
Depuis, je suis femme fontaine, à chaque jouissance, un flot de larmes par centaine, je dois me protéger, une serviette de bain juste à mes pieds, pour essuyer la flaque d’amour après chaque branlée. Je suis gênée et j’ai honte de jouir en rêve humide, mais il a fallu ma quarantième année pour éprouver ce plaisir démesuré.
Sans hommes et sans accessoires, la femme peut jouir de son pouvoir. Elle peut faire saliver les hommes, sans jamais leur tendre la belle pomme, tout en leur faisant espérer qu’un jour, peut-être, elle sera la bonne.
Je suis « La Source » de mon plaisir ; je puise « La Source » du plaisir, je n’ai plus besoin de personne et pourtant, je suis seule, perdue, malheureuse comme une nonne qui désire secrètement goûter les plaisirs de Satan ; comme si la jouissance était à présent une punition indigne, un signe atroce du destin pour me dire qu’à jamais je resterais seule et encore après ma mort, c’est pourquoi j’ai la jouissance des rois, la plus belle et la plus intense, celle de la femme fontaine par excellence.
Je suis femme fontaine par accident ou par hasard, j’aurais pu être n’importe qui d’autre, mais une fontaine sort de mon corps sans le moindre effort. À présent, dès que je touche, ou que je parle, le plaisir me prend comme une mouche, il bourdonne dans ma tête comme le désir sur ma bouche, je me sens partir, incapable de retenir ce flot d’amour inconvenant, qui fait de moi un revenant.
Un ami m’a dit que j’avais de la chance et qu’il aimerait partager ma délivrance, et sur une couche, un soir d’orage, entre les éclairs sonores et les arcs électriques, il me ferait jouir sans partage. Mais je suis une femme mariée et mon seul amant et cette main passionnée qui me démange et me possède dans mes instants désespérés. Il trouve triste de me laisser oublier un membre pointé, un membre qui se met à pleurer, dès qu’il parvient à succomber à la secousse dramatique, de cet instant si peu tragique. Il me rappelle l’intense plaisir qui se partage dans le désir, dans un instant de corps perdus, mêlés d’une rage impromptue. Je me passionne pour ce geste, qui seul atteste de sa sulfureuse brillance, entre mes jambes enfin heureuses. L’amour se fait à deux sur une couche ou dans un pieu, me disait-il. Mais comment se décider à lui dire oui sans hésiter, alors que ma main et moi sommes tourmentées de simplement envisager, que je pourrais peut-être un jour, redécouvrir le mot, amour…
Mai 2004