Ca y est ! Enfin ! Soulagement intense ! C’est dit, c’est répété, c’est promis juré craché, la France s’engage sur le chemin de la baisse du déficit, sur la pente de la sobriété, le retour à la rigueur et les budgets taillés au cordeau ! Vite, vite, passons en revue ce que la presse nous en dit, ce tournant HISTORIQUE mérite qu’on s’y attarde !
Et pour de l’Historique, c’est du lourd avec des poils et de la sueur ! Du qui travaille au corps, qui rappelle aussi un peu les heures les plus sombres de notre histoire budgétaire.
Mais jugez plutôt sur pièces : à lire les passionnantes notules qui émaillent les médias, on s’attaque à la tâche par la face Nord, la plus rocailleuse, à la pente la plus roide, celle sur laquelle tant de ministres se sont lamentablement ramassés en s’écrasant – schplaf – suite à un faux pas fatal. Je cite :
La France s’engagera l’an prochain sur une trajectoire de réduction inédite de son déficit, qui a atteint un niveau record en raison de la crise.
Le bolide France, lancé à fond de train par une méchante crise vilaine pas belle, va trajecter sévère pour viser une réduction couillue de déficit. On sent les ministres serrer entre leurs cuisses musclées le véritable projectile qu’est devenu le pays dans leurs mains expertes, et le diriger d’un léger balancement de hanches, la poigne virile rivée sur le guidon, vers le virage aigu de la rigueur qui l’entraînera ensuite sur l’autoroute de la croissance retrouvée.
C’est beau.
Et en chiffres, c’est encore plus poétique : au lieu de gober le bitume à 7.7% de déficits, on va le mordiller tendrement à 6%, après un effort HISTORIQUE vous dis-je et selon le gouvernement.
La question qui brûle toutes les lèvres, c’est comment une telle équipe de clowns est-elle parvenue à un résultat pareil ? Eh bien la lecture des articles consacrés à la performance apporte une réponse en plusieurs points :
a/ Il va y avoir de la croissance, 2% l’an prochain. C’étaient des clowns, on sait maintenant qu’ils sont comiques.
b/ une maîtrise accrue des dépenses. Et, on va le voir plus bas, c’est un véritable bouleversement dans les habitudes. Un festival de contrôle, une maestria dans le taillage dans le vif. C’étaient des clowns comiques, ce sont aussi des acrobates ninja du budget salement tailladé. Banzaï.
c/ une réduction des niches fiscales pour 10 milliards d’euros avec un déficit asymptotique aux 100 milliards. L’équipe de clown compte aussi de redoutables physiciens spécialisés dans l’infiniment petit.
« C’est un budget historique. Nous tournons le dos à des années d’augmentation du budget de l’Etat. 6,0% en 2011 est un objectif intangible : franchir une telle marche n’a jamais été vu depuis 50 ans. »
Chaque mot de cette intervention, chaque phrase, chaque élément aura été artisanalement et intégralement peint au pinceau 000 en poil de martre préalablement trempé dans les huiles les plus fines de la Connerie Sidérante : on touche ici un véritable nexus de crétinerie galopante, qui doit faire monter chez le contribuable normalement constitué une furieuse envie de meurtre à coup d’agrafeuse ou de fraise de dentiste.
Je passe sur le côté historique : quand un politicien se mêle d’histoire, en général, ça se termine fort mal.
Et parler de tourner le dos à une augmentation de budget, c’est à mourir de honte : si le budget diminue, c’est après le record – lui aussi HISTORIQUE – de déficits. Le budget était énhaurme, les déficits gigantesques, il n’est donc pas dur de faire moins catastrophique. J’en ai déjà parlé, je n’y reviendrai pas.
Dès lors, franchir une telle marche ne tient plus tant du prodige que d’une simple chute, genre « mamie se vautre dans l’escalier ». On sent poindre la pose de prothèse totale de hanche par le FMI dans les prochains mois.
Mais le plus navrant dans cette histoire, et je reviens au point b/ évoqué il y a quelques paragraphes, est synthétisable dans les deux articles suivants. Le premier, ici, nous explique que ce budget qui franchit des marches historiques, trajecte vers la réduction et fait dans la misère calculée, ne verra pas de diminution au chapitre Justice.
Quelque part, avec les différentes affaires qui secouent le monde de la magistrature, le manque-de-moyens que les gens de robe dénoncent sans arrêt, et le fait que ce ministère soit un des quelques pouvoirs régaliens de l’Etat, on se dit que cette augmentation de budget est (presque) normale et rassurante.
Le budget de la Justice semble vouloir passer les 7 milliards d’euros cette année. Yahou.
Retenez ce chiffre.
Pendant ce temps, nous tombons sur le second article, là, qui nous apprend que le budget de la Culture, lui aussi, ne sera pas diminué. Il va même augmenter un chouilla de 154 millions d’euros. Frédéric Mitterrand frétille donc joyeusement à l’idée de « pouvoir mener à bien tous les projets entrepris« .
Comme on le comprend : combien il aurait été préjudiciable à la France que de pimpants abrutis en moules-burnes fuchsias ne puissent s’exprimer dans les théâtres modernes du pays ! Qu’il eut été navrant que des intermittents de la subvention n’offrent plus de vision fantasmagorique de l’accouchement, au milieu d’une scène composée d’une comédienne, d’un accordéoniste et d’un homme qui pédale pour créer de la lumière ! Qu’il eut été déchirant d’empêcher Koons de coller un homard gonflable ou Mukarami son bouddha géant au milieu de Versailles !
Heureusement, les efforts et coupes claires vont porter le budget du Ministère de la Culture à 7.5 milliards d’euros.
…
Je résume : nous sommes en crise, il faut réduire les dépenses de l’Etat.
Le budget sera donc en déficit de 96 milliards d’euros, on va niquer les contribuables sur les niches fiscales à hauteur de 10 milliards, et dans la foulée, pour qu’ils le sentent bien passer, on va augmenter le budget pour les godemichés géants en plastique jaune fluo thermomoulé à un chiffre bien supérieur à celui de la Justice.
Je le redis autrement : ce pays en pleine crise consacre plus d’argent aux baltringues à roulette qu’à son système de justice.
C’est vraiment exquis.
Et vous votez toujours ? Et vous payez toujours vos impôts ?
Ce pays est foutu. Et on aura tout fait pour.
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