La littérature genre a le mérite de nous faire redécouvrir quelques femmes oubliées. Qu’est-ce que c’est que ça, la littérature genre?
Eh bien c’est un intérêt pour la construction du sexe, par tous les moyens dont dispose une société: contexte historique, pressions culturelles et modèles sociaux. Ceci amène à se poser des questions sur la place des femmes, et notamment des écrivaines, dans les manuels littéraires.
On connaît l’injustice de ceux-ci, et les fluctuations de hiérarchie qu’ils provoquent ou illustrent. Lamartine, par exemple, qui était un dieu romantique, est en train de s’effacer et de disparaître. Casanova, au contraire, jadis absent parce que considéré comme un chroniqueur cochon, est en train de se faire une jolie place dans le XVIIIème grâce à la publication du texte original de l’Histoire de ma vie – et aux efforts de personnages puissants dans le milieu, comme Philippe Sollers par exemple.
Bref, il y a peu de femmes dans les manuels de littérature. Parce qu’elles ont moins écrit dans des époques où la pratique des lettres était une prérogative masculine, parce qu’elles ont eu moins d’impact à cause des mêmes raisons, et parce que, surtout, ce sont les hommes qui ont fait les manuels.
Tout ceci est bien connu. Raison de plus pour considérer celles qui reviennent.
Je viens de lire une nouvelle d’une illustre inconnue, Laure-Antoinette Malivert, qui publiait, ça ne s’invente pas, sous le pseudonyme de Frédéric de Saint-Maur.
Laure-Antoinette Malivert, née à Lyon en 1853, a eu pas mal de liens avec la Suisse, grâce notamment à des séjours sur la Riviera. Elle a participé à la vie littéraire de son époque, a laissé un journal et des nouvelles. Une d’entre elles a eu une destinée singulière.
Traduite et publiée en espagnol dans El Mercurio de América, revue littéraire argentine (en 1898), elle a connu un bruyant succès de l’autre côté de l’Atlantique, au point d’être régulièrement republiée dans des anthologies jusqu’à maintenant. Ce qui nous donne l’occasion de la redécouvrir à travers un chercheur argentin, qui a entrepris de rédiger une thèse sur son auteure...
La nouvelle, effectivement étonnante, s’appelle Bruits et a été traduite sous le titre Ruidos.
Dans ce texte angoissé et fascinant, le désir et la crainte de la maternité (Laure-Antoinette Malivert n’a pas eu d’enfant) tournent vers une culpabilité ambigüe. Une sorte de paranoïa baigne le texte.
L’aphasie finale peut être lue comme le symbole effrayant de l’impossibilité pour les femmes de prendre la parole dans le milieu et à l’époque où le texte a été écrit.
Bref, un texte riche de significations, ouvert, complexe. Du grand art.