Quand on évoque Chatou, on pense à la Maison Fournaise et aux Impressionnistes, références culturelles qu’il est de bon ton d’associer avec la charmante commune des Yvelines. Moi pas ! Quand je pense à Chatou, c’est la « Foire à la ferraille et aux jambons » qui me vient immédiatement à l’esprit. Chacun voit midi à sa porte. Si j’écris « Foire à la ferraille et aux jambons » c’est que c’était son nom autrefois, de nos jours elle s’est rebaptisée moins trivialement « Foire nationale aux Antiquités, à la Brocante et aux Jambons », mazette, excusez du peu ! Remarquez, l’important pour moi c’est que le jambon soit toujours à l’affiche, chacun vient pour la vedette de son choix.
Ayant reçu une invitation d’une exposante rencontrée sur ce blog, comme il semble que c’en soit devenu l’habitude dorénavant, je ne me suis pas privé d’une visite à cette institution qui a lieu je vous le rappelle deux fois l’an, en cette fin septembre et vers mars. Une étude approfondie de la météo m’avait ouvert une fenêtre de tir en ce mercredi, plus belle journée de la semaine garantie sans pluie. Un saut de puce en RER A et j’atterris à Chatou-Croissy, après il ne reste qu’à suivre les flèches, vers l’île de Chatou. Heureusement que j’avais un laissez-passer, car les entrées à 5 euros, détail mesquin peut-être mais je trouve que c’est un peu cher…
Si les stands des brocanteurs, ferrailleurs et antiquaires étaient toujours les mêmes et toujours au même endroit, les objets exposés m’ont paru plus rigolos cette fois-ci. Décors de plateaux de cinéma et costumes de même usage, nains de jardin colorés, égayaient avec bonheur les sempiternels vaisselles, tableaux, meubles qui doivent être invendables puisque toujours en vitrine à chaque fois que je viens ? Ceci dit, tout cela m’est bien égal, car ma promenade dans les allées de cette foire n’a qu’un seul but, m’amener à un horaire décent, dans la seule artère qui vaille le déplacement dans ce petit village lacustre, la rue où s’alignent les sandwicheries, charcutailles, gâteaux, vins et alcools, huîtres etc. de nos belles régions de France.
Tout est réglé comme du papier à musique, je tournique dans les allées lentement, bientôt des odeurs de rôtisseries et de broches en action me titillent les narines, d’icelles jusqu’à mon estomac il n’y a qu’un pas, du coup je hâte le mien et sans GPS le hasard m’amène directement à l’endroit espéré. Après le choix est tel que je m’évite l’embarras désolant d’avoir à ignorer le plateau d’huîtres de Marennes, les belles tranches de jambon cru d’Espagne, les piles de gâteaux Bretons, les saucisses grillées, les ceci, les cela, qui tous sentent bons et me mettent l’estomac en émoi, je fonce directement sur le tournebroche où transpirent de bons gros jarrets de cochon. « J’en veux ! J’en veux ! » M’écrie-je la bave au menton.
Une table en bois, deux chaises, une auberge en plein air où ma femme et moi nous posons nos pénates. Quand le tavernier nous apporte nos assiettes, ma glotte me remonte dans le gosier, un kilo de jarret grillé à point dans chaque écuelle, vautré sur un matelas de frites croustillantes. La samba du cholestérol me résonne aux tympans, la bossa nova du gras de cochon m’échauffe les oreilles, je me laisse prendre par ces rythmes irrésistibles.
Mais là encore je constate que je prends de l’âge. Il y a encore deux ans, j’aurais englouti ma part sans coup férir et aidé ma douce à finir la sienne, c'est-à-dire bouffer toutes ses frites et un bon morceau de son jarret, tandis que cette année rien que mon assiette m’a semblé trop copieuse. D’un autre côté, je n’étais pas venu jusqu’ici pour m’avouer vaincu par un tour de cochon. J’ai fait taire ma satiété et torché les assiettes dans un sursaut d’orgueil. Le sourire aux lèvres et la sueur au front j’ai contemplé avec fierté la preuve tangible de ma victoire gloutonne, les os et la couenne épaisse réduites à merci, n’en menaient pas large au fond de ma gamelle.
Quand nous nous sommes éloignés de ce bouge bras dessus-bras dessous, nous avons commencé à dresser des plans futurs. Si nous revenons- tss ! tss ! – quand nous reviendrons, nous éviterons le jarret auquel nous nous sommes déjà beaucoup adonnés pour nous consacrer à une autre spécialité moins bourrative. Voyons, voyons que pourrions nous goûter ?