Mardi, dans un entretien publié par le Parisien, le ministre de l'identité nationale a parfaitement joué la provocation qu'on attendait de lui: « Si cela vous choque que des étrangers deviennent de "bons petits Français", moi je trouve que c'est une excellente nouvelle ». Pourtant, au final, il ne s'agit que d'une nième loi sans contour, ni moyens, qui cherche plutôt les mesures d'affichage qu'autre chose. Le gouvernement espère divertir le débat avec ces nouvelles mesures des difficultés du moment. Cliver le pays sur ses immigrés est la pitoyable stratégie de la dernière chance choisie par l'Elysée.
Sous l'apparence de la normalité
Eric Besson, mardi, a voulu inaugurer le débat sur sa loi avec fracas : « Si mon ministère peut être une machine à fabriquer de bon Français, je serai très heureux ». Cette outrance, sur laquelle il est revenu - pour mieux réinsister - mercredi matin sur France Inter, ne surprend plus. Pourtant, dans son texte, il prenait quelques précautions. La France, depuis des semaines, est suspectée de politique discriminatoire à l'encontre des migrants, qu'ils soient clandestins ou légaux, par l'ONU, le Conseil de l'Europe et la Commission européenne. Sarkozy et Besson marche sur des oeufs. La Commission européenne a annoncé hier, le lendemain de la présentation du projet de loi à l'Assemblée, qu'elle attendait un mois pour déclencher, ou pas, une procédure de sanction contre la France à propos des expulsions jugées discriminatoires de Roms l'été dernier.
Comme Eric Besson l'a rappelé mardi à l'Assemblée, le gouvernement se protège d'abord derrière trois directives européennes, « qui créent un premier cadre juridique global et harmonisé pour une politique européenne de l'immigration » :
- la directive « retour » du 16 décembre 2008, qui prévoit des « standards minimaux en matière de durée de rétention et d'interdiction de retour ».
- la directive « carte bleue » du 25 mai 2009, qui « ouvre, pour les travailleurs hautement qualifiés, le même droit au séjour dans l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne et leur permet d'accéder plus aisément au marché du travail.»
- la directive « sanctions » du 18 juin 2009, qui créé des normes minimales en matière de lutte contre l’emploi d’étrangers sans titre de séjour.
Mais sous ses apparences de « normalité », ce projet est avant tout une distraction sécuritaire de plus pour masquer l'échec d'une politique inefficace et caricaturale.
Primo, le gouvernement masque l'essentiel : l'immigration clandestine est agitée comme un épouvantail électoral alors que les polices de France ont toutes les peines du monde à trouver les dizaines de milliers de sans-papiers à expulser, provoquant des situations individuelles, voire collectives, aussi absurdes que dramatiques. On croyait qu'il n'y avait qu'à se baisser pour trouver des clandestins à expulser. Or, depuis 2007, il a fallu les piéger à l'école de leurs enfants ou à pôle emploi; il a fallu ajouter des Roumains, Bulgares et autres citoyens européens aux statistiques pour les gonfler un peu ; il a fallu toutes sortes de contorsions pour justifier les fantasmes.
Secundo, les durcissements proposés à l'encontre des citoyens européens « abusant » de courts séjours sont voués à l'échec : Besson veut cibler les « pauvres » de l'UE. Or, le 1er mai prochain, les citoyens des 8 pays entrés récemment dans l'Union européenne (République tchèque, Slovénie, Pologne, Roumanie, Bulgarie, Slovaquie, Lituanie et Estonie) bénéficieront de la libre installation (et non plus du simple libre séjour) partout en Europe, ... y compris en France.
Tertio, les mesures relatives aux conditions de naturalisations frisent le ridicule : l'élargissement de la déchéance de nationalité n'est qu'un triste symbole car très peu de cas, dans les faits, sont attendus. Ce n'est que de l'affichage à vocation électoraliste, et non une mesure pragmatique, pesée et pensée. Sarkozy, et Besson, cherchent à cliver l'opinion sur le sujet, coincer l'opposition de gauche dans des retranchements humanistes.
Enfin, le pouvoir n'est pas avare en incohérences. Le calendrier est parfois curieux : jusqu'à la semaine dernière, le gouvernement tout entier était mobilisé pour convaincre que sa réforme des retraites était indispensable compte tenu du déclin de notre population active. Le voici aujourd'hui déployer la même énergie contre des immigrés qui ne demandent qu'à travailler. Un temps, le gouvernement s'est abrité derrière la grande idée de l'immigration choisie, avec quotas par métiers et par pays à la clé, une politique initiée dès 2006. En 2008, première année pleine de la mise en oeuvre de la fameuse carte Compétences et talents, seuls 182 titres ont été délivrés. Un fiasco total. Le bilan de l'année 2009 n'a même pas été publié...
Durcir les naturalisations
Mardi, Eric Besson a présenté son projet à l'Assemblée devant un hémicycle quasi-vide. Même à droite, Besson n'intéresse plus. Le ministre en fut troublé au point de bafouiller parfois. Il s'attendait sans doute à mieux que cette ignorance collective.
Le projet durcit d'abord les critères d'accès à la nationalité : l'adhésion « aux principes et aux valeurs essentiels de la République » et « justifier d’une connaissance suffisante de la langue française, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret » sont inclus parmi les éléments d'appréciation de l'assimilation des postulants à la nationalité (article 2). Exiger plus d'immigré qu'on en exige d'un « bon Français » est un emprunt à la rhétorique frontiste. Quand on demande à Eric Besson si certains évadés fiscaux ne devraient pas eux aussi être déchus de leur nationalité, il répond que la fraude fiscale n'est qu'un délit et que la déchéance ne concerne que les crimes portant atteinte à l'intérêt supérieur de la nation. Des milliards d'euros cachés dans des paradis exotiques menacent pourtant l'équilibre de nos comptes publics et les services publics du pays tout entier... Allez comprendre...
Le projet élargit donc la déchéance de nationalité aux condamnés pour un acte qualifié de crime prévu et réprimé par le 4° des articles 221-4 (réclusion à perpétuité) et 222-8 (« trente ans de réclusion criminelle lorsqu'elle est commise en bande organisée ou de manière habituelle sur un mineur de quinze ans ou sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ») du code pénal. Un amendement deposé par l'UMP complète le projet Besson, comme l'a souhaité Nicolas sarkozy, en autorisant « la déchéance de la nationalité française à l’encontre de l’auteur d’une infraction pénale condamné à une peine d’emprisonnement ferme égale ou supérieure à cinq ans, sauf si cette déchéance a pour résultat de rendre apatride l’auteur des violences. La déchéance de la nationalité française est encourue dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition.»
Besson créé aussi un délai d'observation de facto, d'une durée de trois années, pendant lequel l'acquisition de la nationalité pourrait être annulée « si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ou dans un délai de trois ans à compter de la découverte de la fraude si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude. » (article 3ter).
La loi instaure le délit de « mariages gris » (quand un étranger ne se marie que pour accéder à la nationalité française à l'insu de son conjoint(e)): « Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 30 000 € d’amende lorsque l’étranger a contracté mariage, contrairement à son époux, sans intention matrimoniale » (article 21ter). Une précédente loi, en novembre 2006, durcissait déjà la répression des mariages blancs. Cette fois-ci, Eric Besson s'attèle à un autre phénomène qu'il est incapable d'évaluer. C'est un affichage symbolique de plus pour alimenter l'image d'Epinal d'immigrés prêts à tout, y compris le mariage, pour tromper les « bons Français.»
Faciliter les expulsions
Sur les expulsions, Eric Besson est dans une situation schizophrénique comme son prédécesseur Brice Hortefeux entre 2007 et 2009 : il affiche sa fermeté quant aux expulsions, même s'il peine à satisfaire ses objectifs d'expulsions de clandestins (entre 25 et 30 000 par an), les polices de France sont sous pression : ainsi, pour gonfler ses chiffres et jouer au bon élève, Besson agrège-t-il à ses statistiques tous les sans-papiers qui tombent dans ses filets, quitte à multiplier les situations absurdes ou dramatiques citoyens de l'Union européenne ou des réfugiés comoriens à Mayotte dans les statistiques officielles.
En début d'année, Besson a trouvé une excuse : c'est la faute aux juges tatillons. Sa nouvelle loi est censée remédier au problème, en allégeant différentes dispositions initialement protectrices du droit des personnes.
Ainsi, le projet s'attaque-t-il à la rétention en zone d'attente : il assouplit la notification des droits aux migrants interpelés, sans contrainte si ce n'est le besoin de « maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers ». Il élargit le périmètre des zones d’attente « du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu’au point de passage frontalier le plus proche » dès lors que ces migrants sont 10 ou plus. Les juges des libertés ne pourront plus invoquer l'absence de garanties de représentation par un avocat pour refuser de prolonger l'internement des clandestins (article 9). Autre restriction levée, une irrégularité n’entraînera plus la fin de rétention sauf si elle présente « un caractère substantiel et a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger » (article 10).
La loi Besson facilite également les expulsions de ressortissants de l'Union européenne, en créant un abus de court séjour (article 25), doublement défini comme « le fait de renouveler des séjours de moins de trois mois dans le but de se maintenir sur le territoire alors que les conditions requises pour un séjour supérieur à trois mois ne sont pas remplies » mais aussi « le séjour en France dans le but essentiel de bénéficier du système d’assistance sociale et notamment du dispositif d’hébergement d’urgence prévu par l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles.»
Elle précise aussi que les autorités peuvent, « sur décision motivée », décider de l'expulsion immédiate d'un clandestin, même si le délai de retour est fixé à 30 jours en temps normal (article 23).
Il créé un bannissement de deux ans pour les étrangers clandestins.
Il porte à 5 jours le délai de saisine du Juge des Libertés et de la Détention, à compter de la décision d'expulsion (la procédure actuelle était inverse).
En application de la Directive « retour » adoptée en 2008 par l'Union Européenne, le texte prévoit qu'un étranger en situation irrégulière expulsé peut être interdit de séjourner sur tout le territoire européen pendant une durée maximale de cinq ans.
Un amendement au projet, déposé par l'UMP Thierry Mariani (par ailleurs rapporteur du projet de loi), ajoute qu'un étranger malade sans titre de séjour puisse être expulsé s'il existe « un traitement approprié dans le pays dont il est originaire » (article 17). Mardi, à l'Assemblée, Arnaud Robinet, le rapporteur UMP pour avis de la commission des affaires sociales estimait à plus « plus de 200 000 » le nombre de sans-papier inscrits à l’aide médicale d’État, alors que seuls 70 à 80 000 sans-papiers sont interpellés chaque année. Le rapprochement est simple : il faudrait expulser plus facilement les malades.
Le texte initial protégeait davantage des clandestins malades. Il prévoyait que ces derniers devaient effectivement pouvoir bénéficier d'un tel traitement. L'amendement renvoie simplement à l'existence d'un traitement, que le clandestin y est potentiellement accès ou pas. L'exposé des motifs de cet amendement en dit long sur les intentions : M. Mariani y critique « l'interprétation très généreuse » de la loi antérieure.
Au final, Eric Besson et son rapporteur Thierry Mariani joueront une partition complémentaire : au premier le discours provoquant (les « bons Français ») mais humaniste (la France n'est-elle pas un pays d'accueil ?) ; au second, le discours ferme et incendiaire (« être Français, ça se mérite »).
Dès mercredi, Eric Besson devait faire face aux excès prévisibles des extrémistes de son camp. Christian Vanneste et Lionel Luca défendirent ainsi, deux heures durant, un amendement pour abroger le droit du sol. Rien que ça. Les débats ne font que commencer.
Malgré son attitude faussement calme, Eric Besson est en fait sous pression. Le récit de son entrevue avec Nicolas Beau, le directeur de la publication de Bakchich, en début de semaine, en est une triste illustration : Eric Besson a manqué de peu, retenu par deux collaborateurs, d'en venir aux mains ...