Misère philosophique

Publié le 30 septembre 2010 par Ruminances

Tous les matins, tôt, je vais chiner sur les blogs amis de quoi nourrir la phrase du jour. Phrase qui illustre l’actualité politique du moment.

Ainsi, cherchant, l’autre jour je suis tombé sur un billet de Guy Birenbaum dans lequel il fait état d’une interview de Raphaël Enthoven – mensuel Médias – où il est question, entre autres considérations, de blogs et de blogueurs.

Selon monsieur Enthoven, le blogueur serait un exhibitionniste, un narcissique dont le paradoxe réside dans le besoin irrépressible qu’il a de l’Autre pour que son nombril prenne enfin le volume qu’il mérite. Pour finir d’enduire le muret de sa connaissance blogosphérique, Rapha pète une explication à faire hennir mon bardot : « le blogoïste, dit-il, me fait l’effet d’un homme qui vit sa solitude comme une séparation, une déchirure. Or, il existe d’autres manières, plus joyeuses, de vivre sa solitude. »

Monsieur Enthoven est une sommité. Il n’y a que les sommités, sauf rares exceptions, pour avoir peur du Net et utiliser un temps précieux à dénoncer une menace maléfique.

On sait le travail de Guy sur son blog et la connaissance qu’il a de la blogosphère. On sait aussi les efforts qu’il fournit pour démontrer que le blogueur est un citoyen qui a trouvé dans ce mode d’expression le moyen d’exister en sa qualité d’individu impliqué dans la vie de la cité et engagé dans une action politique qui le concerne. A ce titre, le blogueur peut représenter un danger pour tous ceux qui veulent gouverner ou penser en rond…

Normal donc qu’en lisant les déclarations de monsieur Enthoven, Guy ait rebondi pour, utilisant le relief, mettre en évidence ce qu’il considère de la part du philosophe comme un gros plantage. Et ça l’est !

Or le lendemain, rapide, réponse de monsieur Enthoven himself.

Là, monté en chaire, il pérore. Tout y passe. Du général au particulier et de l’impression à la théorie, monsieur Enthoven disserte avec l’aisance d’un séminariste sur les lumières de son firmament. Nuls que nous sommes – on écarquille les yeux ! – il nous balance à la figure du René Char pour commencer. Tiens, prends ça ! doit-il se dire en pianotant – ou faisant pianoter – son irrécusable réquisitoire.

Finalement, il avoue ne jamais trouver ce qu’il cherche dans le « continent virtuel ». Enfin de la reconnaissance ! Nous passons de l’état de blogoïste déchiré, sorte de néandertalien saturé  d’ego, à celui de « continent virtuel ».

Pour quelqu’un qui dit ne jamais trouver ce qu’il cherche dans le fameux « continent virtuel », il avance des fortes convictions – fruit d’une immersion profonde dans la blogosphère ?– de ce qu’est selon lui un blogueur. Jugez-en :

« Au fait qu’internet en général et les blogs en particulier flattent une tendance délétère à tenir pour important ce qui n’importe qu’à soi, qu’ils sont le symptôme, à cet égard, d’un repli sur soi et d’une réduction de l’autre au besoin qu’on en a.


Malgré les apparences, rien n’est moins littéraire, ni moins altruiste (à mes yeux, mais je ne suis pas plus myope qu’un autre), que la toile où chacun tisse sa toile et se nourrit des proies de passage. »

Pontifiant ensuite sur les imprécateurs venus commenter son propos dans le blog – ces imprécateurs sont-ils responsables de ses déclarations dans Médias – , il cherche à prendre de la hauteur, clouant au sol, une fois pour toutes, ces pauvres blogueurs incapables d’être autre chose que des prédateurs.

Faisant appel pour finir à Leibniz décrivant « la naissance et la mort des “monades” qui, comme par hasard, n’ont “ni portes ni fenêtres par où quelqu’un puisse entrer ou sortir” pour illustrer sa diatribe, le métaphorique monsieur Enthoven, l’air satisfait, s’en va sifflotant préparer un cours sur l’objectivité philosophique en milieu confiné.