Mardi 13 janvier 1948 – 07h49
Londres, Angleterre
Chris était, depuis sept heures,
sur le perron de la porte d’entrée de la maison de son grand-père, journal à la main.
Après avoir vu un monde dévasté dans son présent, il avait instinctivement décidé de retourner dans le passé, le matin suivant
le jour où il était parti. Il avait cru comprendre, durant son dernier voyage, que son grand-père devait aller travailler aux alentours de huit heures.
Il était donc allé chercher tous les journaux qu’il avait trouvé, afin de le feuilleter et de voir ce qui pouvait avoir changé.
Sur le coup, il n’avait même pas réfléchi aux paradoxes qu’il causait en ayant acheté autant de journaux. Mais, s’il avait vraiment modifié le passé, alors, dans son esprit, il aurait annulé la
raison pour laquelle il était partie, donc, en théorie, il aurait disparu.
D’un autre côté, en temps que physicien, il savait que ceci n’était qu’une théorie. En effet, il aurait pu tout à fait créer une
réalité alternative, dans laquelle il était en train d’évoluer, tout en ayant annulé la raison pour laquelle il était parti dans sa réalité originelle. En effet, il serait donc un intrus dans cet
univers et un double existerait dans le futur apocalyptique qu’il avait pu voir quelques heures auparavant. Mais il savait qu’il ne devait nier aucune des théories qu’il avait étudiées en créant
sa machine.
Au final, tout ce qu’il savait, c’est que quelque chose s’était passé durant son périple en 1948 qui avait changé la donne, et
ainsi provoqué de nouveaux événements en 2008. Son but serait donc de trouver ce qu’il avait pu modifier lors de sa première visite.
Chris finit par entendre un bruit de clé rentrant dans la porte, derrière lui. Il se releva brusquement, journal à la main,
alors que son grand-père, habillé pour le travail, ouvrait la porte.
- Qu’est-ce que… lança Auguste, en se retournant. Oh… non.
- Je suis revenu. J’ai un problème.
Auguste regarda sa montre, et fit signe d’entrer à Chris, en passant furtivement devant la cuisine où Edna buvait son café en
lisant le journal, alors que Dan se préparait pour l’école.
Grand-père et petit-fils entrèrent dans l’atelier, et fermèrent la porte derrière eux.
- Bien, lança Auguste.
Il traça une ligne droite à la craie sur le tableau noir, apposé sur le mur faisant face à la porte.
- Certes, tu as découvert le principe du voyage dans le temps. Mais est-ce
que tu l’as étudié, au moins, avant ?
- Disons que je me suis ouvert a de nombreuses théories… répondit Chris,
hésitant.
- A propos du temps, reprit Auguste, il n’y a pas que la physique qui
compte. Saches que j’ai plusieurs fois étudié les lois de l’espace-temps. Et qu’il y a des règles. Première règle fondamentale, celle de Descartes. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se
transforme. Je ne sais pas comment tu as fait, mais tu as contourné cette règle, remettant les lois de la physique en jeu. Tu as supprimé de la matière en 2008 pour en recréer en 1948. Seulement,
en temps que physicien…
Auguste traça un cercle qu’il remplit.
- Imaginons que cette boule soit la masse m de l’univers, le
1er janvier 2008 à minuit.
Il en traça un autre.
- Ici, c’est la masse m de l’univers, le 1er janvier 2008 à
minuit une. On est d’accord, les deux masses sont les mêmes, si l’on suit Descartes. Bon. Imaginons, maintenant. Tu remontes dans le temps de minuit une à minuit. Tu enlèves donc de la matière à
minuit une, pour en rajouter à minuit. Certes, on a une perte de matière, mais aussi un gain ; la masse n’est plus la même à minuit une par rapport à minuit. Seulement, la somme de ces deux
matières est la même. En gros, la matière totale de l’univers dans ses quatre dimensions reste la même…
- Mais, à ce moment là, lorsque je voyage dans le temps pendant une heure,
cela veut dire que je dois revenir une heure après que je sois parti ? Pour équilibrer ?
- Non ! Puisque la masse m totale des quatre dimensions restera la
même. Quand tu déplace un objet dans l’espace, la masse totale de cet espace ne change pas. C’est la même chose pour le temps.
- Je…
- Ceci est le temps, coupa-t-il en montrant la ligne droite. L’univers,
d’une façon générale, met tout en place pour que des évènements arrivent dans une certaine cohérence. Chaque cause implique une conséquence. Si tu empêches cette Logique d’exister en revenant
dans le passé et en le modifiant, cette grande logique qui régit l’univers va s’effondrer, et le hasard va s’installer. Le chaos.
- Quoi ? Tu veux dire que cette Logique, c’est Dieu qui veille sur
nous ? ironisa Chris. Que, si jamais je remonte le temps, je tue Dieu ?
- Non. Je dis juste que rien n’arrive par hasard. Crois-en mon expérience.
Quoi que tu aies vu en 2008, tu as changé quelque chose en 1948. Il faut que tu trouves cette erreur, cette discontinuité, et que tu la répares.
- Mais alors, lança Chris, si cette logique a disparu, comment se fait-il
que je sois encore là ? Je n’existais peut-être plus dans le futur alternatif. Peut-être que j’ai, par un effet papillon, annulé ma naissance…
- Tu as modifié la Logique. Tu dois savoir que chaque possibilité que tu
as, chaque choix dans ta vie donne lieu a des réalités parallèles. La Logique fait en sorte à ce qu’une seule de ces lignes temporelles soit conservée…
Tout en parlant, Auguste dessinait plusieurs droites parallèles à la droite de départ, symbolisant les réalités alternatives. Il
continua :
- On va nommer deux réalités : la réalité A, dans laquelle tu te
situais lorsque tu es parti, et la réalité B, celle dans laquelle tu es arrivé en te téléportant. Les deux se situent temporellement en 2008, et leurs différences découlent d’un événement E en
1948. Là où nous en sommes, la réalité A n’existe plus. Il n’y a plus que la réalité B. Et seule une réalité peut subsister, comme je l’ai dit tout à l’heure. Ecoutes, Chris, je suppose que tu es
revenu en 1948 pour une bonne raison. Il s’est passé quelque chose en 2008 que tu as voulu changer.
- Ce… C’était un accident…
- Je vois… Tu as maintenant deux possibilités. La première, c’est de
retourner au moment où tu es arrivé, de te suivre, et de voir ce qui a pu se passer. De l’empêcher, et de retourner dans le futur en empêchant l’accident.
- Et la deuxième possibilité ?
- C’est la plus simple. Mais je ne garantie pas le résultat. Tu dois te
tuer au moment où tu es arrivé.