On sait que Ramana Maharshi a fait de la question "Qui suis-je?" (Ko'ham en sanskrit) la méthode par excellence de la découverte de notre vraie nature. C'est par la recherche du soi (atma-vichara) que la réalité véritable du Soi se dévoile.
En traduisant avec Alain Porte le texte sankrit du Yoga Vasishta (YV), je me suis aperçu que cette méthode est aussi au coeur de l'enseignement de ce vieux traité indien sanskrit (Xème siècle ?). La question "Qui suis-je?" est aussi dans ce texte le moyen pour renverser l'arbre de l'illusion.
Ramana fait d'ailleurs de nombreuses références à ce passage du YV. Quand on lui demande ce qui est nécessaire pour la réalisation, s'il faut pratiquer le hatha yoga , il répond :
"L'investigation surpasse le prânâyâma.Dans le YV, Chudâlâ conseille à Shikhidhvaja l'investigation (vichâra) pour tuer l'ego"
Ramana cite souvent en effet l'histoire de la reine Chudâlâ et de son mari le roi Shikhidhvaja .
le jeune Rama et VasishthaVoici cette histoire racontée par Ramana :
"Sikhidhvaja était un roi pieux. Il avait pour épouse Chudâlâ. Ils reçurent tous deux des instructions spituelles données par un sage. Le roi, très occupe par le gouvernement de son royaume, n'avait pas le temps de mettre en pratique les enseignements, alors que la reine Chudâlâ les pratiquait avec assiduité et obtint ainsi la réalisation du Soi. Dès lors, elle parut encore plus charmante qu'auparavant. Le roi s'étonna de ce charne grandissant et lui en demanda la cause. Elle lui répondit que tout le charme était dû au Soi et que le roi ne faisait que prendre conscience en elle du charme de la réalisation du Soi. Le roi rétorqua qu'elle était sotte, De grands pratiquants ne pouvant pas réaliser le Soi, même après de longues périodes de tapas, comment pouvait elle, femme sotte qu'elle était, toujours occupée par la famille et la vie mondaine, prétendre à la Réalisation. Cependant, Chudâlâ ne s'offusqua pas de ces mots tant elle était fermement établie dans le Soi. Son seul souhait était que son mari pût à son tour réaliser le Soi et être heureux. Elle pensa que le meilleur moyen de le convaincre était de manifester des pouvoirs occultes et elle se mit à les rechercher. Elle les obtint, mais elle ne les manifesta pas sur-le-champ. La compagnie constante de sa femme avait rendu le roi indifférent à toutes choses. Il commença à se désintéresser de la vie du monde et exprima son désir de se retirer dans une forêt afin de se livrer à des austérités. Il annonça donc ;à son épouse qu'il abandonnait le monde pour vivre dans la forêt. Elle se réjouit de cette évolution, mais prétendit etre affectée par cette décision cruelle. Le roi hésita, par considération pour elle, mais le dégoût du monde gagnant en force, il décida de s'éloigner, sans même obtenir le consentement de sa femme. Une nuit, pendant que la reine dormait, il sortit furtivement du palais et rejoignit la forêt. Il se mit à la recherche d'un endroit solitaire où il pût pratiquer ses ascèses. A son réveil, la reine, ne voyant pas son époux, découvrit, grâce à les pouvoirs occultes, l'endroit où il s'était retiré. Elle se réjouit de la détermination de celui-ci. Elle appela les ministres et leur dit que le roi s'était absenté pour quelque temps et que le royaume devait continuer à être administré comme auparavant. C'est elle-même qui dorénavant remplacerait le roi-durant son absence.
Dix-huit ans passèrent. Un jour, elle sut que le roi était prêt pour la Réalisation. Aussi lui apparut-elle, Sous le déguisement de Kumbhâ. Sikhidvaja réalisa alors le Soi et retourna à son palais pour gouverner le royaume, secondé par la reine."
Ce qui a conduit le roi à l'éveil, ce ne sont pas ses pratiques douloureuse et pénibles, mais bien la question "Qui suis-Je?"
Voici ce qu'on lit dans le passage relatif à la question "Qui suis-je?" :
Kumbha dit :
"Le renoncement à la pensée est des plus faciles à réaliser, plus facile qu'une vibration (spandana) c'est un bonheur supérieur, même à un royaume, plus beau même qu'une fleur;
(...)
L'arbre de la pensée avec ses branches, fruits, bourgeons a pour germe le "je".
(...)
Ô roi, cette pensée intime qui a la forme de "Qui suis-je?", cette pensée est le feu pour la combustion du germe de l'arbre malfaisant de la pensée."( ...)
Shikhidvaja dit :
"Le trouble a disparu grâce à toi, j'ai retrouvé mes esprits. Je suis debout, mon doute est parti, je ferai ce que tu dis.
J'ai connu ce qu'il y avait à connaitre, je suis dans un grand silence, j'ai traversé la grande vague des apparences, je sais, je suis sans souillure.
Ah moi qui ai erré depuis si longtemps dans l'océan de l'existence , j'ai atteint un lieu impérissable, qui n'est pas soumis à l'agitation (akshubdham).(...)
Kumbha dit :
"Tu es éveillé, tu es libéré, tu as abandonné ta pensée (cittam tyaktam) Ô roi
Tu as quitté la souillure de l'être et du non-être, lieu irréel; reste là."
Le texte intégral est accessible dans :
Sept récits initiatiques tirés du Yoga-Vasistha, traduit par Michel Hulin, Collection L’autre Rive, Editions Berg International