Vendredi soir, Nicolas Sarkozy aurait arbitré. Les économies attendues sur les fameuses niches fiscales et sociales ont été
décidées. Le Parlement doit s'y pencher cette semaine. Et « tous les ménages, y compris les plus favorisés » seraient mis à contribution, dixit Christine Lagarde. On n'en doute pas. Le
gouvernement le répète depuis trois mois. La vraie question est de savoir si l'effort est équitablement réparti. Mais dimanche, Christine Lagarde a lâché une révélation de taille : Sarkozy
s'apprêterait à renoncer au bouclier fiscal, ... tout en supprimant l'ISF.
Le modèle allemand...
C'était il y a à peine deux mois, quelques jours avant de lancer sa diversion sécuritaire. Le 21 juillet dernier, Nicolas
Sarkozy se fendait d'un courrier exhortant la France et l'Allemagne à travailler à leur convergence fiscale. Le ministre allemand des Finances assistait le jour même à un des conseils des
ministres. Fin août, son ministre du budget se rendait à berlin pour étudier le fameux modèle
allemand.
A l'époque, on se demandait pourquoi donc lancer cet appel, au beau milieu de l'été, si ce n'est pour donner quelques gages
sémantiques aux marchés financiers : se rapprocher du « premier de la classe » européenne, quand on est l'un des cancres, est une tactique comme une autre. Effectivement, l'Allemagne
faisait « envie », même si personne en Sarkofrance n'osait l'avouer : une croissance record au premier trimestre (+2,2% à comparer au petit 0,6% de la France), un plan de rigueur plus
important qu'en France salué par les agences de notation et les marchés financiers, une baisse substantielle du chômage. Même sur la régulation bancaire, promise de part et d'autre du Rhin après
le krach spéculatif de septembre 2008, la comparaison franco-allemande n'est pas flatteuse pour le locataire de l'Elysée. L'Allemagne travaille depuis mars dernier sur l'instauration de nouveaux
prélèvements bancaires. Le projet a été annoncé en août, et le gouvernement allemand espère récupérer 1,2 milliards d'euros l'an prochain, intégralement conservés pour gérer le risque prudentiel
des établissements de crédits. En France, l'attentisme est de rigueur. Sarkozy a beau jouer les « gauchistes révolutionnaires » lors des G20 depuis deux ans, Christine Lagarde a
simplement promis pour l'automne une taxe par ailleurs moins ambitieuse - quelques centaines de millions d'euros. Pourquoi donc invoquer l'Allemagne ?
En fait, cet appel à la convergence avait un autre objectif qui se confirme aujourd'hui : débarrasser le futur candidat
Sarkozy de 2012 du bouclier fiscal ... et de l'ISF. Une double arnaque, maquillée par une pirouette politique dont Nicolas Sarkozy a le secret. Des mois durant, il aima répéter le même exemple,
fût-il faux et démenti, sur le prétendu bouclier fiscal allemand mis en oeuvre par les sociaux-démocrates il y a 15 ans. Le 5 mai 2009, on pouvait ainsi l'entendre expliquer qu'« on ne peut pas vouloir faire l' Europe et refuser le
bouclier fiscal que l' Allemagne a inscrit dans sa constitution.» Le 12 juillet dernier, il répétait : «En 1997, les socialistes allemands ont supprimé l'impôt sur
la fortune en Allemagne» . Une anecdote fausse et archi-fausse, démentie et archi-démentie. Hier, l'Allemagne était appelée en renfort pour justifier le bouclier fiscal franco-français.
Aujourd'hui, notre voisin sert d'exemple pour une nouvelle manipulation.
... pour supprimer l'ISF
Dimanche 26 septembre, Christine Lagarde a ainsi expliqué que le bouclier
fiscal, « un bon principe », allait tout de même subir quelques aménagements: « Il ne protègera pas pour les hauts revenus et les revenus du capital ». Ensuite, elle a lâché, du
bout des lèvres, une révélation de premier plan : Nicolas Sarkozy et ses proches réfléchissent à comment enterrer le bouclier fiscal, une mesure inique et impopulaire. Pour justifier cette
révolution copernicienne au plus haut sommet de l'Etat, l'Elysée pense avoir trouver la parade : supprimer l'impôt de Solidarité sur la Fortune, en même temps que le bouclier fiscal, le tout sous
couvert de la fameuse convergence fiscale franco-allemande que Nicolas Sarkozy a appelé de ses voeux en juillet dernier.
Dimanche, Christine Lagarde a ainsi dévoilé (involontairement ?) la manoeuvre : « Le président de la
République nous a demandé de travailler sur un projet. (...) Le principe c'est la convergence fiscale avec les Allemands.» Mais, prévient-elle, « l'étude n'est pas conclue ».
Elle avoue aussi, à demi-mots, que le bouclier fiscal n'existe pas en Allemagne (notez l'utilisation de l'imparfait dans sa formulation): « Nous disposons du bouclier fiscal, comme
en disposaient les Allemands. » Et elle précise aussitôt : « mais il n'y a pas d'ISF en Allemagne.»
Quel argument incroyable ! Quel retournement ! La création (par Dominique de Villepin), puis le renforcement (par Nicolas
Sarkozy) du bouclier fiscal avaient été présentés comme une protection contre une trop forte imposition des revenus du travail: «Le bouclier fiscal évite de verser plus de 50 % de ce que l'on
gagne à l'Etat » répétait encore Nicolas Sarkozy lors de son intervention télévisée le 12 juillet
dernier.
Or voici donc le gouvernement qui s'apprête à suivre la recommandation de certains parlementaires UMP - supprimer le dit
bouclier (600 millions d'euros de recettes) et, par la même occasion, l'impôt de solidarité sur la Fortune (3 milliards de
recettes), au profit ... d'une augmentation de la taxation des revenus du travail ! Bref, au détour d'une rentrée sociale plutôt active, à la veille d'un débat fiscal houleux, le gouvernement
brandit l'absence de bouclier fiscal et d'impôt sur la fortune en Allemagne pour masquer son recul idéologique majeur, tout en préservant la fiscalité des plus riches.
Sur BFM TV,
le ministre du budget François Baroin a défendu la stabilité : pas question de toucher au bouclier fiscal : « Nous prônons la stabilité fiscale, c'est donc le maintien du bouclier.» Le
ministre du budget n'a pas envie de voir partir 3 milliards d'euros de recettes ISF disparaître d'un coup d'amendement, même si les recettes de cet impôt ont fortement diminué en trois exercices
(plus de 4 milliards d'euros en 2007), à force d'exonérations fiscales et de dévalorisations d'actifs pendant la crise.
Jean-François
Copé, le président du groupe UMP à l'Assemblée, a confirmé de son côté qu'il était sur la même longueur d'onde que la ministre Lagarde. Lui aussi envisage la suppression du bouclier fiscal et
de l'ISF, en échange d'une tranche supplémentaire d'impôts pour les hauts revenus : « Je préconise inlassablement un alignement (...) de la politique économique française sur le politique
économique allemande ». Le même Copé, en avril dernier, il y a donc une éternité, plaidait l'inverse,
c'est-à-dire la cause du bouclier fiscal sous prétexte de l'exemple allemand: « en Allemagne, il y a une forme de bouclier qui existe, puisque c'est aussi 50% . La formule est un peu
différente, mais c'est le même état d' esprit. »
... et se taire sur le reste
Par ailleurs, la ministre Lagarde s'est livrée à un bel exercice de négation de la réalité : « la France sort de la
crise, les chiffres sont là pour le dire ». Elle a promis 2% de croissance pour 2011. Elle est bien seule à croire à ses propres prévisions. Lundi matin, toujours sur Europe 1, le président (socialiste) de la
commission des finances de l'Assemblée Nationale, Jérôme Cahuzac, lui a sèchement répondu ; il dénonça la vacuité des prévisions de croissance de Mme Lagarde : elle « s'est constamment
trompée. » Il s'est également interrogé sur l'affaire Tapie. Christine Lagarde a refusé de venir à la commission des Finances s'expliquer sur l'enrichissement personnel de
Bernard Tapie après la décision arbitrale relative à son litige avec le Crédit Lyonnais. En 2008, la ministre évaluait à 30 ou 40 millions d'euros la somme nette qui devait revenir à l'ancien
homme d'affaires. Il y a 15 jours, on apprenait que ce montant serait plus proche de 210 à 220 millions d'euros, un chiffre confirmé par Jérôme Cahuzac lundi matin. « Elle doit être un peu gênée
(...) elle a du mal à assumer politiquement les conséquences d’une décision qu’elle a prise seule», a-t-il expliqué. Et il ajoute : « Les liquidateurs du groupe Bernard Tapie ont reçu un
chèque de 400 millions d’euros et nous évaluons, à la commission des finances, l’enrichissement de Bernard Tapie de l’ordre de 210 à 220 millions d’euros. Bernard Tapie m’a écrit pour me dire que
ce n’était pas le cas. Une lettre dans laquelle il répond à des questions que je ne lui posais pas et répond imparfaitement à des questions que je lui pose. »
Au final, le débat fiscal qui démarre au parlement s'annonce risqué : Sarkozy, plus que jamais, tente de gommer son image de
« Président des Riches.» Pas sûr que la manoeuvre inventée par certains de ses proches - supprimer le bouclier et l'ISF - soit la meilleure des solutions.
Sarkofrance