La tradition populaire française considère jusqu'à nos jours le gui comme une plante porte-bonheur, traditionnellement associée au nouvel an. En effet, la coutume veut qu'un peu avant la Saint-Sylvestre et le premier jour de l'année, on cueille quelques branches de gui, pour les accrocher sur la porte de la maison, ou au-dessus d'un passage, pour ensuite embrasser ses proches sous le bouquet ainsi constitué.La valeur que les Gaulois accordent aujourd'hui au gui est en fait fort ancienne : elle constitue très probablement un héritage de la religion des Celtes qui ont façonné notre civilisation. En effet, le gui était pour nos ancêtres une plante sacrée, en particulier lorsqu'elle poussait sur un chêne rouvre, phénomène plutôt rare. On connaît la description qu'a laissé l'auteur latin Pline l'Ancien, au Ier siècle ap. J.-C., de la cueillette du gui par les druides :
Il ne faut pas oublier à propos du gui l'admiration que les Gaulois ont pour cette plante. Aux yeux des druides (c'est ainsi qu'ils appellent leurs mages) rien n'est plus sacré que le gui et l'arbre qui le porte, si toutefois c'est un rouvre. Le rouvre est déjà par lui-même l'arbre dont ils font les bois sacrés; ils n'accomplissent aucune cérémonie religieuse sans le feuillage de cet arbre, à tel point qu'on peut supposer au nom de druide une étymologie grecque (δρùς, chêne). Tout gui venant sur le rouvre est regardé comme envoyé du ciel: ils pensent que c'est un signe de l'élection que le dieu même a faite de l'arbre Le gui sur le rouvre est extrêmement rare, et quand on en trouve, on le cueille avec un très grand appareil religieux. Avant tout, il faut que ce soit le sixième jour de la lune, jour qui est le commencement de leurs mois. de leurs années et de leurs siècles, qui durent trente ans : jour auquel l'astre, sans être au milieu de son cours, est déjà dans toute sa force.
Ils l'appellent d'un nom qui signifie remède universel. Ayant préparé selon les rites, sous l'arbre, des sacrifices et un repas, ils font approcher deux taureaux de couleur blanche, dont les cornes sont attachées alors pour la première fois. Un prêtre, vêtu de blanc, monte sur l'arbre, et coupe le gui avec une serpe d'or; on le reçoit sur une saie blanche; puis on immole les victimes, en priant que le dieu rende le don qu'il a fait propice à ceux auxquels il l'accorde.
Pline, Histoire Naturelle, Livre XVI, 249-251.
Pourquoi le gui, pourquoi le rouvre ?Le gui est une plante parasite, qui pousse sur les feuillus de l'Europe tempérée, et qui reste toujours verte, même quand l'arbre qui la porte a perdu tout son feuillage, en plein coeur de l'hiver ; la plante donne ainsi une image d'immortalité, lorsque tout paraît mort autour. Quant au rouvre, il est une variété de chêne très robuste, dont les individus peuvent vivre jusqu'à mille ans ; il est resté l'arbre symbolique de la nation galloise. L'association des deux plantes prenait donc un sens particulier, celui d'un être vivant habité par la divinité, et présidant à la vie et à la mort. A travers le gui, c'est peut-être le dieu de lumière LUG qui était vénéré : chez les Germains, le gui avait aussi une valeur symbolique forte et était associé au solaire dieu BALDR, dont la figure était liée à la fin des temps (ragnarök) et au renouveau du monde qui devait le suivre.Comme le montre la description de Pline, la cérémonie du gui se déroulait en début de mois, en un temps de renouveau ; on peut supposer, sans preuve toutefois, que comme encore aujourd'hui le gui était associé aux cérémonies de la nouvelle années et du solstice. Outre le texte de Pline, de nombreuses représentations figurées de l'art celte, dont les plus anciennes remontent au Vème siècle av. J.-C., montrent le caractère sacré du gui : la feuille de gui, en particulier, apparaît associée à des portraits de héros ou de divinités (chaudron de Gundestrup, statues du Glauberg), mais aussi sur des décors du type frise qui ornaient des objets de parure ou d'armement en métal.
La statue du Glauberg (Allemagne) : dieu ou héros dont la coiffe est surmontée de deux feuilles de gui, symbole solaire lié au registre de la vie, de la mort, de la renaissance.
Ainsi, lors des fêtes de fin d'année, il n'est pas adonin de sacrifier, si ce n'est aux anciens dieux, du moins à cette antique tradition qui veut que chacun aille se procurer une branche ou un bouquet de gui pour orner sa demeure. Ce vieux gage de bonheur, s'il ne garantit pas contre toutes les difficultés de la vie, donne au moins aux Gaulois l'occasion de se souvenir qu'ils appartiennent à une communauté pluri-millénaire que relient encore quelques pratiques et représentations communes qui n'ont pas de valeur marchande.
Amaury Piedfer.