Casey l’interview

Publié le 29 septembre 2010 par Hartzine

Dans un contexte où le rap français semble faire du surplace depuis plus de dix ans, les rendez-vous estivaux Fnac Indétendances étaient l’occasion pour Hartzine de se frotter à la plus digne héritière d’un genre qui fit la gloire de l’underground durant les années 90, Casey. Elevé au hip-hop hexagonal  depuis que celui-ci a pris naissance derrière chez moi, j’étais impatient de découvrir l’auteur d’un Libérez La Bête sale et brutal, et affronter une MC réputée pour sa grande gueule.  Confiant j’allais affronter la gentille Casey sans mon gilet pare-balle et sans savoir que j’allais en prendre pour mon matricule. L’habit ne fait pas le moine, dit-on.  Parfois pour être crédible il faut savoir enfiler un [survêt'] peau de pêche et se raser la tête. Le tacle dans la bonne humeur, c’est par ici…

Contrairement à beaucoup de rappeurs brassant les mots de manière facile, tu manies le verbe avec dextérité et à des fins parfois peu orthodoxes… Le vocabulaire, c’est ton terrain jeu ? C’est ton artillerie ?

Je ne sais pas bien comment répondre à cette question… Je sais pas… Je ne me suis pas scrutée, je me suis pas assez disséqué ou brossé le nombril depuis un bout de temps pour te répondre. Je sais pas… Après c’est toi qui interprète à ta sauce. Je peux te dire que j’aime bien écrire, après le reste… Après le reste c’est les goûts et les couleurs…

Tu sembles avoir un vrai goût pour l’écriture…

Oui, j’aime bien écrire. Mais je ne me lève pas non plus à six heures en regardant le soleil, avec une chemise à col à jabot et tout, tu vois…Ce genre de trucs… Mais oui, j’aime bien écrire.

Qu’est-ce qui t’as donné envie de rapper, c’est d’abord la musique ou l’envie de prendre position ?

Bah déjà quand j’ai commencé j’avais treize piges, donc j’étais pas dans la prise de position. A treize-quatorze ans, t’es dans le mimétisme. J’écoutais du rap français, il y en avait à Nova, des rappeurs américains à la télé. Et ce qui m’a fait tripper quand j’étais plus jeune, c’était l’intellect mais cool. C’est-à-dire que les gens disaient des choses tout en étant en baskets et en paraissant cool. Tu pouvais dire des trucs sans être un bouffon du club d’échec. Tu vois t’es cool, le rap c’est vraiment bien. Surtout en France, pays très littéreux. Ecrire ou dire des trucs, c’est tout de suite de la branlette… C’est tout de suite très haut-perché. Donc ouais le rap, ça m’a un peu réconciliée avec le fait de pouvoir dire des choses sans forcément être dans une sphère littéreuse. C’est ça qui est terrible, tout le monde peut écrire. Alors effectivement, on n’est pas tous égaux devant l’écriture, tu vois. Mais ce que j’aime dans le rap, c’est que tout le monde écrit, tu ne te pose pas la question de savoir si t’as fait khâgne-hypokhâgne, si tes parents sont instits… T’as envie d’écrire un texte, t’écris un texte. C’est encore l’une des rares musiques comme ça. Il y a pas de limites, après il y a des choses bien et des choses moins bien… Quoiqu’on adore taper sur la médiocrité du rap mais dans le rock, ça ne dit pas grand-chose non plus. Franchement… A part se retirer la poche des yeux, ça dit rien. Et le hard, je t’explique même pas.Des mecs qui gueulent, qui braillent, qui sont énervés comme pas possible et qui disent rien. Je sais pas, j’arrive pas à me congestionner le cerveau pour dire aussi peu, tu vois. Tu sais, ça me soûle aussi un peu.Que moi je dise des trucs sur le rap, ça me regarde, c’est mon milieu, j’ai le droit de le remettre en cause, pour moi j’ai le droit de lui taper dessus. Des mecs qui viennent de l’extérieur qui viennent critiquer le pe-ra en aimant le rock où ça dit rien, ça me fatigue un peu, souvent (soupirs !)… Parce que dans le rock, ça dit rien, franchement ça dit que dalle… Passer des après-midi chez mamie, pareil que dans la chanson française. Et le hard, pareil. Ils égorgent des poulets, ils invoquent Satan à descendre sur Terre… Des trucs concrètement qui ne veulent rien dire. Donc voilà, le rap, c’est encore une des rares musiques où t’as une feuille, t’as un stylo, t’as envie de dire des trucs, tu les dis quoi… Donc c’est ce que je te disais, le côté intellect, mais cool, en mâchant du chewing-gum.

Justement, sans aller au clash, tu dézingues beaucoup de monde par la force de ton propos. C’était voulu dès le départ ?

Non, c’est pas… C’est con de répondre à ce truc-là si c’est voulu… T’écris ce qui te passe par la tête. Croquer la connerie, oui. C’est à la portée de tout le monde, on le fait tous. On a tous un bouc émissaire, on a toujours son imbécile du coin, son gros con… On a de quoi s’appuyer pour se forger sa personnalité et croquer la personnalité des autres.Doncça c’est des sujets infinis - l’outrecuidance, l’arrogance, la bêtise, tu vois ? Et c’est relatif, chacun a la sienne. Et voulu… Non pas spécialement, c’est donner un avis. Comment c’est perçu, ça, ça me regarde pas vraiment… Oui je donne mon avis sur deux-trois trucs… Pas lourds en plus. Laissez la banlieue tranquille, laissez les immigrés tranquilles… Foutez-nous la paix… Laissez le rap tranquille… La tranquillité, la sérénité, la quiétude, tranquille… Qu’on puisse s’allonger à Paris-Plage et manger des glaces (rires). C’est à peu près ça…

Malgré ça, on te colle quand même une étiquette hardcore que tu intensifies à travers l’image de tes albums, de tes clips… C’est intentionnel…

Bah oui, qu’il y ait une esthétique, oui c’est clair que j’aime pas les esthétiques vert pomme… Après c’est les goûts… Comme dans le gothique ou le hard métal…Chaque musique a son esthétique. J’aime pas ce qui est lisse. Maintenant est-ce que c’est volontairement tout le temps entretenu ? Pas spécialement. Mais justement, tout en n’aimant pas le lisse, par opposition on se doit d’aller vers autre chose. Pis ça colle peut-être avec les musiques, avec la lourdeur, avec… Peut-être… Mais ce n’est pas une marque de fabrique en soit non plus. C’est un univers t’as vu, grisaille, béton… C’est plutôt nos quotidiens, non ? J’aurais peut-être fait du rap à Acapulco, j’aurais pas dit qu’un p’tit short à fleurs ça l’aurait pas fait (rires)… Un cocktail avec une paille fluo…Mais banlieue parisienne, 9-3, le short fluo, ça va pas passer.

Quels sont les choses qui te fâchent dans le rap hexagonal ?

Bah rien qui change avec ce qui pourrait me fâcher au quotidien, je te l’ai dit… Souvent t’as des mecs qui sont super contents en pensant qu’on va taper sur le pe-ra. Que moi je tape sur le pe-ra, ça me regarde. Mais quand je rencontre des gens qui ne sont pas de cette musique, qui sont contents et qui pensent, parce qu’on va être d’accord sur deux-trois trucs, qu’on va être des copains, non tu vois ? T’es du rock et tu tapes sur cette musique sans remettre en cause ton propre milieu, tu vas te faire enculer tout pareil. Ça me regarde moi de taper sur cette musique. Mais si toi (ndlr : moi ?), tu tapes sur cette musique et que tu la connais pas, je suis pas ton amie. Ça me regarde… J’aime pas les gens qui tapent sur le rap. Le rap a sa bêtise, le rap a sa médiocrité, mais comme d’autres musiques… Pour avoir fait un petit tour dans le rock, je peux te jurer que là aussi, il y a des trucs à croquer. De l’imposture, t’en as tout pareil… Des postures de branleurs, tu vois ce que je veux dire ? Qui pensent à rien d’autre qu’à leur nombril et je sais même pas s’ils vont acheter une baguette de pain les mecs. Ils te racontent des trucs insignifiants au possible, tu vois ? Mais dans des postures de mecs déchirés, écartelés par la vie… De la branlette. Donc voilà, le rap à ses postures aussi, des postures de gansters, des postures de cailleras… Le rock et le métal, pareil… Des postures de « Ahhhhh, je veux mourir… » mais je le dis quand même… De la posture, si tu veux c’est croquer la connerie… Moi si tu veux dansla musique, il y a une sorte de ligne de démarcation où il y a deux camps. Et dans les deux camps, il y a toutes les musiques mais je sépare ça avec la posture et les gens qui font ça sans préméditation, avec des raisons tout à fait louables. C’est-à-dire déjà avec un plaisir personnel, ensuite de l’expérimentation, une forme de vérité, d’authenticité… Ils ne sont pas dans le regard d’autrui, ils cherchent… Et voilà, c’est ce que j’apprécie. Dans ce camp-là, il y a de tout. Et dans l’autre camp, le camp des trous-du-cul, là aussi, il y a de tout. Donc moi ça me regarde, c’est mon milieu le rap, je le connais, ça fait un bout de temps que je suis dedans, que je lui tape dessus, ça me regarde… Ça me créée pas pour autant de la concordance avec d’autres qui n’y connaissent rien, et qui vont venir me dire : « C’est bien ce que tu dis »… Je t’emmerde, je t’encule… Si la seule raison pour toi de me mettre un coup de coude complice en disant : « Vas-y, c’est bien tape-leur dessus », c’est parce que toi-même tu n’aimes pas le rap, que tu n’y connais rien et donc tu vas te faire enculer tout pareil. Voilà donc je tape sur le rap, parce qu’il y a plein de choses qui ne me plaisent pas mais comme plein d’autres musiques. Mais je parle de ce que je connais, tu vois ? Je vais te parler de mon milieu, je ne vais pas te parler de la médiocrité dans le chant lyrique. Je ne connais pas le chant lyrique. Je ne suis pas dans ce monde-là. Je te parle de ma petite micro-société dans laquelle j’évolue et qui est le prisme à travers lequel je vois la bêtise, le vice, la vertu, enfin plein de choses quoi… Enfin c’est juste ça, t’enlèves le rap, il reste ça. Comment je regarde le monde en général. Après chacun sa petite lorgnette. Moi, le rap en fait partie.

Libérez La Bête est un album très dur, dans quel contexte et dans quel état d’esprit l’as-tu écrit ?

Ça aussi ça reste relatif, je ne trouve pas que ce soit dur. Parce qu’on se connaît pas et qu’on ne traîne pas ensemble toute la journée (rires). Avec mes potes c’est le genre de rap qu’on écoute, pas celui-là spécialement. Pour moi si tu me demandes mon avis, c’est un album normal. Après dans quel contexte… Normal. Je ne me suis pas enfermée au fond d’une cage à trois cents mètres sous le niveau de la mer… Donc normal, à un moment donné t’écris tes textes, tu prends ton p’tit cahier, ton stylo et t’écris quoi… Et la dureté, c’est un point de vue, ça dépend de quel point de vue tu te places.Par contraste peut-être avec d’autres musiques plus entertainment, ça peut passer comme ça. Mais mis en parallèle avec plein d’autres rappeurs, c’est un disque qui va passer… C’est un disque normal.

(Rires) Donc je pense que dans ce contexte ma dernière question va te sembler un peu déplacée…

Non vas-y, dis…

Donc si je te dis que Libérez La Bête est le seul disque de rap français que j’ai réussi à écouter entièrement sans me lasser et réellement apprécié depuis presque dix ans (ndlr : La Rumeur - L’Ombre sur la Mesure, 2002), ça te fait quoi ?

Bah écoute… Bah rien… Tu vois ? Ça me fait rien. Je me dis que c’est dommage parce que d’autres groupes de rap français, j’en connais d’autres qui sont bien mais on n’a peut-être pas les mêmes goûts. Je sais que t’as plein de gens qui ne sont pas du rap et qui ont écouté ce disque et qui viennent me dire, tu sais… Si tu t’es fâché avec le rap, je ne suis pas responsable. J’aime bien celui-là, mais pas les autres… Y’en a peut-être que toi t’aimes pas mais que moi j’aime bien. Parce qu’on n’évolue pas dans les mêmes milieux, on n’a peut-être pas les mêmes goûts, les mêmes indulgences… Pour moi, ça me fait plaisir que d’autres personnes, qui viennent d’autres milieux musicaux, qui ont d’autres cultures, écoutent peut-être ce disque et essayent de décloisonner quelque chose… Pour eux… J’espère au moins que ça te permettra de te dire qu’il se passe aussi des choses dans le rap, voilà… C’est juste ce que ça me fait. Après j’espère que t’en restera pas là… Et que tu vas dire, tiens je vais tentez le coup… Parce que, ce que je veux dire c’est que ce que tu n’aimes pas dans le rap, c’est peut-être ce que je n’aime pas dans plein d’autres musiques. J’aime pas ce qui passe à la radio, je trouve ça dégueulasse, la chanson française, je trouve ça dégueulasse. Et si c’est pas deux-trois potes qui m’ont pas fait écouter autre chose, des mecs qui ont vendu genre six cents disques durant toute leur vie, où il y avait des morceaux qui mettaient des claques incommensurables, alors là je pouvais continuer à prétendre que je connaissais, mais sans connaitre. Mais il y a plein de styles de musique comme ça, je trouve ça dégueulasse, et je sais que j’y connais rien. Le rap, je me tape plein de gens qui pensent savoir, qui pensent connaitre, et qui connaissent rien… Ils allument la radio, la télé, ils voient des indigènes en train de gigoter … Y’en a c’est pas bien et y’en a d’autres c’est bien. Même un enfant de sixième, il fait cet effort intellectuel de se dire, il y a des trucs que je connais et d’autres que je ne connais pas. Donc mon seul degré de jugement, c’est pas uniquement ce que je connais. De tout ce que je connais comme musique, j’y connais que dalle, tu vois ? Non moi aussi, je me lâche et je me permets de dire ça, ça pue, ça c’est dégueulasse. Par exemple la chanson française, c’est le truc qui me fait délirer tu vois ? Mais dans le fond, je sais que j’y connais rien et qu’il doit bien y avoir un ou deux pelos quelque part qui font des vrais trucs. Mais c’est pas ceux que je me coltine quand j’allume la télé, tu vois. Mais c’est pas suffisant pour condamner une musique ou un genre. Le rap, c’est un peu pareil tu vois ? Et puis ce qui me soûle aussi… Ça c’est pas pour toi…Mais ce qui me soûle à travers le rap, c’est que t’en as qui vont aller vers le rap parce que c’est le bon vecteur conscient et politiquement correct pour taper sur l’immigration, la banlieue, tu vois ? Y’a aussi ce truc-là, c’est pour ça que je me méfie des « j’aime pas le rap ». Parce que c’est qu’un genre musical, ça nécessite pas autant d’énergie de haïr cette musique… Souvent il y a un truc derrière, tu vois ? Un truc un peu puant et xénophobe. Renvoie ces indigènes jouer dans leur cour, on comprend pas ce qu’ils veulent, on comprend pas ce qu’ils gigotent… J’aime pas. Et ça c’est clair et net, que tout le monde aille se faire enculer. En général, il y a souvent ce propos derrière qui me dérange. Il y a souvent un truc pas net à taper allègrement sur le rap car c’est qu’un genre musical, et puis voilà. Quand je vois les BB Brunes, je trouve ça dégueulasse, mais je me dis pas qu’ils incarnent à eux seuls la bourgeoisie et le sarkozysme. Pourquoi le rap, lui, subit ça ? A travers le rap, quand on tape sur le rap, on tape sur ça. Ça vient grossir tous les autres maux de la société. C’est plus ça qui me dérange en fait. J’espère que si t’aimes pas le rap, t’aimes pas juste un genre musical, ça peut arriver. Mais merci pour le compliment, c’est gentil.

Photos nb © Emeline Ancel-Pirouelle