Ces contrats de développement correspondent à des efforts de stabilisation et de reconstruction payés par l’État mais sous-traités à des agences privées. Cependant, des écoles délabrées aux bâtiments non meublés, en passant par les milliards de dollars exigés pour les projets abandonnés avant leur achèvement, les fraudes massives et le gaspillage généralisé, caractéristiques des contrats de développement en Afghanistan, vident les poches des contribuables américains et déçoivent grandement les Afghans. Cette situation sape les efforts de ceux qui essaient réellement de faire la différence: les organisations humanitaires non gouvernementales (ONG) financées de manière privée.
Des projets inachevés
Les procureurs fédéraux aux USA font une enquête sur le Louis Berger Group, ayant bénéficié d’un contrat de développement financé par le l’argent américain, suite à des plaintes selon lesquelles le groupe aurait gonflé ses factures à l'USAID. Le groupe gère actuellement plus de 1,4 milliard de dollars de contrats financés par l'USAID en Afghanistan : le potentiel de malversation est donc important.
Des enquêtes pénales et civiles sur le Louis Berger Group font suite à une enquête dans le Christian Science Monitor sur l’échec d’un autre projet de 60 millions de dollars financé par USAID pour un contrat de développement avec PADCO censé fournir de l'électricité en Afghanistan. Un ingénieur afghan familier du projet a résumé la situation : « Ils n'ont pas fait cinquante pourcent Ils ont juste creusé ... et sont partis. » Le directeur de l'électricité pour la province de Badakhshan était tout simplement bouleversé : « Maintenant les gens haïssent les sociétés américaines comme PADCO parce que des millions de dollars ont été apportés, mais rien n'a été fait. »
Les arnaqueurs
La problématique des contrats va au-delà des coûts « gonflés » ou des projets inachevés. Christopher Shays, ancien représentant républicain du Connecticut, qui est co-président de la Commission pour les Contrats de guerre, a déclaré que son équipe se penche sur le cas de ces « contractors », ou ce qu'il appelle « des arnaqueurs purs et simples », qui font payer à des travailleurs étrangers des billets d’avion vers Dubaï pour un prétendu travail là-bas. Mais au lieu de cela, les agences laissent ces travailleurs sur des bases aériennes en Afghanistan, sans emploi, pas d'identification, et pas de quoi retourner. « Le plus gros problème », a déclaré un responsable cité par le Washington Examiner, « c'est que nous ne savons pas qui ils sont, mais ils sont à l'intérieur de nos installations .... Cela présente un risque pour la sécurité. »
Une autre pratique problématique est que les personnels de ces prestataires ne sont employés que pour des courtes périodes sur place, beaucoup ne restant pas plus d’un an. Avec la rotation du personnel sans véritable relai pris, le résultat est inévitablement la perte des leçons apprises, du savoir-faire, et du rapport avec les contreparties locales.
Une cause plus profonde : le monopsone
L'explication profonde des problèmes relatifs à ces contrats de développement est le monopsone. Contrairement à un monopole, dans lequel un vendeur domine le marché, une situation de monopsone se produit lorsque un acheteur unique - dans ce cas, le gouvernement des États-Unis - fait face à de nombreux vendeurs. Ainsi, l'acheteur unique doit avoir la possibilité de dicter ses conditions et faire baisser les prix. Mais parce que le gouvernement américain a abandonné sa responsabilité de surveillance, cette structure pervertie de marché a entraîné une aubaine pour les prestataires financés par le gouvernement US.
Ces problèmes sont en contraste frappant avec les pratiques des ONG humanitaires financées de manière privée, dont beaucoup ont une longue histoire en Afghanistan. Par exemple, la Mission d'Assistance Internationale a commencé à travailler en 1966, et le Comité Suédois dans le début des années 1980. Ayant survécu à la fois l'invasion soviétique et au régime des talibans, ils ont réussi à se concentrer sur un élément-clé : le relationnel. Ils établissent des liens avec les populations locales, restent longtemps sur place, et insistent sur une période allongée de relai entre le personnel entrant et sortant. Sans surprise, ils parlent la langue locale (le dari et le pachtou) et connaissent le protocole entourant cette vieille tradition afghane : boire le thé.
Le développement économique tient en partie des sciences sociales, en partie de l'anthropologie. Il s'agit donc de travailler avec les autochtones, et non autour. La promotion du relationnel est la plus grande lacune de l'Amérique en Afghanistan. Les promesses non tenues, le travail inachevé, et une réticence à apprendre les coutumes locales démontrent non seulement un manque d'intérêt dans les objectifs que nous épousons, mais aussi un mépris apparent pour le peuple afghan.
Mettre fin aux souffrances
Avec l'économie mondiale en berne, les donateurs privés ne pourront donner autant aux ONG humanitaires. Le gouvernement américain continue à financer le gaspillage et la corruption du monde des contrats de développement. Malheureusement, avec les ressources illimitées affectées à ces contrats, les talents susceptibles de travailler pour des ONG sont détournés. Les ONG humanitaires sont donc attaquées sur deux fronts. Cette situation est tragique, car ces organisations sont souvent les plus aptes à améliorer la vie du peuple afghan.
Certes, les Afghans font toujours face à une rude bataille pour assurer leur propre sécurité et la stabilité, et éradiquer la corruption. Mais il est clair que les prestataires du gouvernement US sont embourbés dans une gestion calamiteuse et l'échec patent, perpétuant au mieux la dépendance. Il est temps pour M. Karzaï de mettre fin à cette souffrance en exigeant que tous les contrats de développement du gouvernement américain soient retirés d'Afghanistan dès que cela sea raisonnablement possible.
Malou Innocent est analyste au Cato Institute à Washnigton DC, Josef Storm a travaillé en Afghanistan et au Soudan avec des entreprises prestataires de projets de développement.