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Joyeux anniversaire Charlie Brown !

Publié le 28 septembre 2010 par Kiwibleu By Patricia Ramahandry

Le 2 Octobre 1950, le premier strip des Peanuts apparaît timidement dans quelques journaux américains. 18 000 bandes dessinées et 355 millions de lecteurs dans le monde plus tard, c'est plus de 50 ans de doux désenchantement et de tendresse pour nous les enfants, les adultes et les enf'adultes.
Si Schulz, leur père, est décédé le 12 janvier 2000, de Charlie Brown à Snoopy, célébrons 60 ans d'une lecture à plusieurs niveaux, immédiate et souriante, suffisante pour atteindre le plus large public, ou structurée et allusive pour qui voit et lit plus loin.

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Mystère chez les Peanuts

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Les Peanuts[1], petits corps douillets à grosses têtes, sont devenus bien avant les 18000 bandes dessinées, l'abstraction de la rondeur et de la douceur, une sorte d'enfance éternelle, un peu nostalgique, décalée, ironique... mais apparemment vue la longueur de la production, le petit gang vécut heureux sous la signature de Charles Monroe Schulz.
Les Peanuts, ainsi nommés Charlie Brown et ses acolytes, le célébrissime beagle Snoopy mais aussi les enfants de la famille Van Pelt (le fragile Linus et l'hystérique Lucy), l'oiseau Woodstock, le pianiste Schroeder, Patricia et bien d'autres, ont surfé, comme cela n'arrive qu'aux classiques, sur plusieurs époques et dans le coeur de multiples générations.
Aujourd'hui encore, 10 ans après la mort du père, quand on interroge l'ami Google sur Peanuts, Schulz, Charlie Brown ect, le flux nous renvoie une marée impressionnante de liens : il y a des albums, des produits dérivés, des analyses qui nous rappelle que cette petite tribu d'enfants a ses extrémistes-inconditionnels, ses critiques sémiologues, alors en marge s'impose l'évocation d'un mystère... d'un mystère ?
Oui. Ne vous êtes-vous jamais demandé comment Charlie Brown figure avec la même dignité qu'une affiche du Bauhaus dans le bureau d'un intellectuel parisien ou new-yorkais, et comment/pourquoi elles conquiert avec la même souplesse la chambre de l'adolescent entre le Che et les idoles musicales d'une année scolaire ? Hum ? Vous ne vous-êtes jamais posé cette question ? Il n'y a a priori pour tenter de l'expliquer qu'une lecture à plusieurs niveaux, immédiate et souriante, suffisante pour atteindre le plus large public, ou structurée et allusive pour qui voit et lit plus loin...

L'éclat de la mélancolie

Au milieu de tout ça, avouons que ceux de ma génération (& celle d'avant, d'après...) ont la mémoire indélébile. Dans la substance de ces bandes-minute, nous avons découvert l'éclat de la mélancolie que JD Salinger cachait dans le seigle (cf L'Attrappe-Coeurs) et qu'Alexandre Portnoy (cf Portnoy et son complexe de Philip Roth) magnifiait. Les Peanuts était une parodie de la psychanalyse, de la tâche soporifique télévisuelle (jamais encadrée par Schulz, qui a préféré présenter les enfants inertes toujours à l'avant de la trame vidéo) ; il y a eu la chute de l'adulte, il y avait la vanité de la richesse, jusqu'à l'incompréhensibilité de l'école. Au final, le petit monde des Peanuts ne résume-t-elle pas la totalité ou la plupart des traits d'une aliénation adolescente dans ces années, les années soixante et soixante-dix, où finalement tout avait pris la forme d'une rébellion, d'une acrimonie politique. C'était le temps où JFK disait : Ceux qui rendent les révolutions pacifiques impossibles rendent les révolutions violentes inévitables.
Mais chez Schultz, qui n'a jamais été un auteur "politique", l'inquiétude même reste contenue, gentille et attentionnée, drôle et modeste. Si "rien ne se passait bien" - même dans les Peanuts, et surtout pour leur héros Charlie Brown - tout devait rester gérable et sans effusion de sang dans les limites du jeu et du rêve. Tout en protégeant cette grâce infinie (dans les Peanuts jamais n'apparaît un mot ou une phrase violente), Schulz a utilisé une sorte de "truc" maître: ses enfants pensaient et parlaient comme des adolescents, mais étaient dessinés comme des enfants. Avec la petitesse de l'enfant, l'embarras, la fragilité, l'immense liberté de rêver, de jouer et d'inventer (de s'inventer !). Mais l'introspection, la "gravité", et même les défaites étaient déjà un matériau semi-adulte.

Le fardeau du doute

Schulz n'a jamais été très bavard au sujet de son travail. Il est d'ailleurs assez rare qu'un artiste sache "expliquer" ce qu'est sa création. Mais une des qualités, la plus évidente des Peanuts - l'idée gagnante - fut de livrer à un groupe d'enfants le fardeau du doute, de la fatigue, de la classe moyenne dans ces jolies petites maisons à clôture blanche où chacun se demande si le bonheur existe. Restent les rêves, la poésie et l'humour. Les Peanuts, on peut les raconter à un Ti nain de trois ans ou les (re)lire adulte au fond de son lit. Ils captent la mélancolie, ils ne vous font pas rire, ils vous font sourire, réfléchir, ils vous adoucissent... Oui, ils sont d'une légèreté rare.

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Ces enfants-philosophes dans leur petite encyclopédie de la pensée sans barbe, sans aucun doute parlent de nous, mais en gardant bien à l'écart les débouchés destructeur ou autodestructeur de l'âge adulte. Ils se demandent qui ils sont et ce qu'ils font là et encore quelles sont les options qu'il reste quand on veut rêver, rêver vraiment.
Mais veillons à ne pas confondre avec précipitation, leurs anxiétés, leurs ambitions, l'oeil qu'ils ont sur le vacarme du monde déjà fait, avec nos affections/infections d'adultes. Leurs pensées sont incomplètes (les chanceux !). Et dans l'inachevé, tout est encore possible : les filles aux cheveux rouges, tôt ou tard, même si l'amour n'est jamais fait, le Sopwith Camel de Snoopy peut enfin décoller en vol et mitrailler le Baron Rouge, le ballon de football, un jour ou l'autre, peut être expulsé avec force et précision, le cerf-volant ne mourra pas sur le seul arbre au milieu du champ.
La délicatesse des Peanuts peut sembler, au fil des ans, presque réticente, pleine d'évitements car pendant ce temps-là, s'écoulent les rêves brisés, les illusions mâchées, remâchées à s'en rendre malade et vomir de rage... Pourtant, rien n'a entamé Charlie Brown. Au lieu de cela, subsiste la délicatesse, un don artistique qui vient au fil des décennies embellir le métier à tisser, et rendre les enfants très Schulz (souvenez-vous des double-deckers - l'autobus à impériale). Au lieu de cela... la liberté de la cour, le jeu, l'enfance, ne sachant toujours pas qui vous êtes, qui vous devenez, vous devenez libre, vous êtes libre. Et irréductible. Les Peanuts sont les jusqu'au-boutistes qui ont vu le monde qui les entoure, les guerres successives, les injustices perpétuées, la littérature américaine devenue une sorte de manuel de troubles psychologiques et la violence sociale... eux ils sont toujours là, prêt à botter le ballon et voler le cerf-volant.

L'éternité faite liberté

Il se trouve que cette "éternité" Peanuts continuera longtemps, très longtemps, et il est heureux de trouver intacts, sans décomposition, au moins quelques-uns des signes de l'enfance. Peut-être qu'aussi que l'élégance intellectuelle, la modestie, la légèreté aiguë de Schulz est une incitation à la liberté de vivre.
... ou à la liberté qui est en toi, dirait Yoda.
Bon dimanche à lire !

Notes

[1] Pièce en argent de 5 onces (99,99 d’argent pur_épreuve numismatique avec fini couleur)- Émission de l'Île de Niue - Limité à 1000 pièces dans le monde entier.


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