[Critique DVD] Copie conforme

Par Gicquel

Une fois encore je me retrouve bouche bée devant un film de Kiarostami,  qui  n’a absolument rien à voir avec toutes ses œuvres précédentes (voir ce blog). Il tourne pour la première fois hors de ses frontières, en Toscane, avec des comédiens étrangers, et sur une trame totalement imaginaire, ce qui est plutôt rare chez le réalisateur iranien.

Mais Kiarostami est un grand cinéaste et quoi qu’il fasse, sa caméra ne le trahit pas.  Présenté sur la croisette, « Copie conforme »  permet à  Juliette Binoche de décrocher le prix d’interprétation féminine et c’est bien vu : la comédienne y est remarquable dans son double jeu que lui impose une histoire un peu loufoque.

En accompagnant un auteur anglais dans la campagne florentine, on les croit mari et femme. Le couple accepte l’hypothèse et entre la copie et l’originale, tente de discerner le vrai du faux. C’est aussi le thème de l’essai que présente l’écrivain, autour des objets d’art. Un jeu de miroir s’engage alors entre Abbas Kiarostami, et ses protagonistes, dans des bavardages sans fin,  drôles et cyniques , car le sérieux n’est pas  toujours de mise,  et des confrontations stupéfiantes, habitées par des dialogues d’une rare finesse.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

J’ai souvent souri aux allusions pertinentes, aux remarques perfides ou salutaires, des uns et des autres. Dans un petit rôle, Jean-Claude Carrière est pris à témoin devant la  sculpture d’une fontaine, pour en donner une interprétation. Son point de vue est fabuleux. Un exemple parmi tant d’autres, qui nous rappelle que tout ici n’est qu’apparences, reflets et contradictions, à l’image de cet homme et de cette femme qui ne sauront jamais si un jour ils se sont aimés.

Un réalisateur talentueux

Cette réflexion sur le couple, et le temps qui passe,  maintes fois entendue, est ici comme neuve, transfigurée.La dernière scène est à cet égard sublime, où l’on découvre Juliette Binoche, tout autre, sensuelle et captivante, après avoir donné dans le badinage et l’intellect, la lumière et le mystère.

Il y a beaucoup de tendresse dans le regard du cinéaste, une fluidité dans ses déplacements qui confère à la Toscane environnante, à ses personnages, ses pierres, et ses couleurs encore plus de beauté et de charme. Le spectateur peut s’y laisser bercer, comme je me suis laissé guider par cette visite dans le musée toscan.

La retenue toute britannique de notre héros (William Shimell,  un chanteur d’opéra pour la première fois à l’écran) heurte à peine le bel ordonnancement de cette architecture cinématographique. Il est dans son rôle, sceptique et distant, face aux contingences de ce bas monde. Monsieur reste un intello.

COMPLÉMENTS

A grand film, grand bonus. Sous l’appellation du making of, on découvre pendant cinquante minutes, tout l’univers de Kiarostami, décrypté par ses techniciens et comédiens. Le réalisateur  sourit encore à l’ouverture de son film « anti-cinématographique au possible, longue, bavarde, technique. J’imagine que certains spectateurs vont regretter ces six ou sept premières minutes pour un film qui commence de façon si ardue ».

La comédienne et le réalisateur, l'osmose

Ils ne seront pas forcément les seuls, puisque le directeur de la photographie Luca Bigazzi longuement interviewé  ( et c’est un bonheur ) dans ce making of, s’est demandé à plusieurs reprises « mais pourquoi il nous fait faire ça ? et je comprenais que ses choix étaient strictement parfaits ». Il ne s’en est toujours pas remis et avoue aujourd’hui que « cette remise en question de chaque règle cinématographique de façon constante et fondée, va à l’avenir me créer de sérieux problèmes ». Kiarostami admet que « la plupart des mes propositions étaient peu habituelles pour le cinéma. On ne se comprenait pas, mais au bout d’une semaine tout est devenu normal ».

« Lucas était souvent frustré » reconnaît Juliette Binoche, qui semble par contre tout à fait décontractée sur le plateau, et prête à aider son partenaire du moment William Shimell, pour la première fois à l’écran. « Ce que j’attendais de Kiarostami » dit ce dernier, « c’est qu’il m’apprenne mon métier. A l’opéra les émotions s’expriment par la musique, le visage étant très peu visible […] alors qu’avec le cinéma il faut pouvoir s’immiscer dans l’esprit des gens ».Lors d’une scène où le cinéaste lui demande de bouger un peu plus, Juliette Binoche lui explique « tu dois occuper l’espace en fonction de la caméra ».Plutôt sympa la demoiselle, mais quand elle se fâche, ça mérite aussi le détour. Voir la scène de la statue . Je n’en dis pas plus, c’est à découvrir comme l’ensemble de cet excellent documentaire.

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