Inconstitutionnalité de la retenue douanière en l’absence d’assistance effective d’un avocat et du droit au silence
par Serge SLAMA
Saisi le 29 juin 2010 par la Cour de cassation (arrêt n° 12105 du 25 juin 2010) d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés constitutionnels des dispositions régissant les retenues douanières, le Conseil constitutionnel censure les dispositions de l’article 323 du code des douanes, pour les mêmes raisons que la censure de celles régissant la garde à vue de droit commun : l’absence d’assistance effective d’un avocat et de notification de son droit de garder le silence en violation des droits de la défense (v. Cons. constit. n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 M. Daniel W. et autres, Actualités droits-libertés du 7 août 2010 et CPDH 14 août 2010).
Le Conseil valide d’abord - comme ne méconnaissant « aucun droit et liberté » - les 1° et 2° de l’article 323 qui reconnaissent aux agents des douanes ou de toute autre administration la compétence pour constater les infractions douanières et la possibilité de procéder à la saisie d’objets, de retenir les documents relatifs à ces objets et de procéder à la retenue préventive d’objets affectés à la sûreté des pénalités (cons. 6).
En revanche, il réserve un sort différent au 3° de l’article 323 en ce qu’il permet à ces agents, en cas de flagrant délit d’infraction aux lois et règlements douaniers, de « capturer » les contrevenants pendant 24 heures renouvelables une fois sur autorisation du procureur de la République. Or, cette retenue douanière, qui, comme la garde à vue, est applicable à tous les délits douaniers flagrants « sans distinction selon leur gravité », autorise l’interrogatoire d’une personne retenue « contre sa volonté » et ce sans bénéficier de l’assistance effective d’un avocat pendant cette phase d’interrogatoire. Cette restriction imposée « de façon générale sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes » constitue une atteinte aux droits de la défense. Au surplus, le Conseil ajoute, là aussi en écho à sa décision du 30 juillet, que la personne en retenue douanière « ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence » (cons. 7). Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel juge que le législateur n’a pas opéré une conciliation équilibrée entre, d’une part, les préventions des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties en méconnaissance des articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 (cons. 8).
Notons que si la retenue douanière est proche d’une garde à vue, les deux procédures ne se confondent pas : la durée de la première s’impute sur celle de la seconde si elles sont consécutives mais ce sont bien deux procédures distinctes (Cass. Crim. 7 mars 1994, n 93-85698, Bull. crim. 1994, n° 89, p. 194) et la retenue douanière a une double finalité (fiscale et pénale).
Selon les Cahiers du Conseil constitutionnel (n° 30), le juge constitutionnel « a, en tout état de cause, estimé que le raisonnement qui l’avait conduit à censurer le régime de la garde à vue était suffisamment transposable (…) pour emporter les mêmes conséquences ». Contrairement à la garde à vue, à l’exception d’infractions en matière de non déclaration des capitaux transférés, la retenue douanière n’est possible que pour des délits douaniers punis d’au moins 3 ans de prison et ne peut être mise en oeuvre que lorsque l’auteur des faits est pris sur le fait (c’est-à-dire, en pratique, en possession des marchandises). S’agissant des droits, la personne placée en retenue doit être immédiatement informée des motifs de la retenue (Cass. crim, 24 mai 2000, n° 99-87839, Bull. crim. 2000, n° 201, p. 589) mais ne bénéficie pas du droit de faire prévenir un proche ou d’obtenir la visite d’un médecin. Pour le “droit au silence”, selon le commentaire aux Cahiers, les retenues reçoivent généralement la notification que « toute déclaration fausse ou inexacte donnée sciemment aux agents enquêteurs pour couvrir ses agissements ou ceux d’un tiers (serait) susceptible d’engager sa responsabilité pénale ». Saisie de cette question, la Cour de cassation a toutefois estimé que « l’avertissement critiqué ne contraignait pas la personne interrogée à fournir des renseignements susceptibles d’être utilisés contre elle mais la mettait seulement en garde contre les risques engendrés par de fausses déclarations » (Cass. crim, 5 août 2004, n°04-82957, Bull. crim, n° 185, p. 675). Qui plus est, aux termes de l’article 336 du code des douanes, les procès verbaux dressés par deux douaniers bénéficient de la prérogative exorbitante de faire foi « jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent » et « jusqu’à preuve contraire de l’exactitude et de la sincérité des aveux et déclarations qu’ils rapportent » - contrairement au principe de liberté de la preuve. Enfin, dans la mesure où il n’a jamais été saisi d’une loi régissant la retenue douanière, il n’a pas eu à se placer sur le terrain du changement de circonstances comme il l’avait fait sa décision du 30 juillet 2010 sur la garde à vue pour justifier un revirement de jurisprudence (et non la recevabilité comme on peut le lire dans certaines revues juridiques).
Toutefois, comme dans sa décision sur la garde à vue, et malgré les critiques (v. not. P. Cassia, « Les gardes à vue « particulières » ne sont plus conformes à la Constitution », Dalloz 2010 p. 1949 voir en accès payant sur Omnidroit), le Conseil estime qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement et qu’il appartient donc au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité relevée avant le 1er juillet 2011, date d’effet de l’abrogation. Il précise même que « les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité » (cons. 9).
La législation régissant la retenue douanière est contraire à la Constitution en ce qu’elle permet aux agents des douanes de « capturer » les contrevenants pendant 24 heures renouvelables une fois sur autorisation du procureur de la République et ce pour tous les délits douaniers flagrants « sans distinction selon leur gravité », contre la volonté de la personne retenue et sans le bénéfice de l’assistance effective d’un avocat. Cette restriction imposée « de façon générale sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes » constitue une atteinte aux droits de la défense.L’abrogation entrera néanmoins en vigueur au 1er juillet 2011 si le législateur n’a pas, d’ici là, mis la législation en conformité avec les exigences du Conseil constitutionnel.
Conseil constitutionnel, Décision n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010, M. Samir M. et autres [non conformité]
Actualités droits-libertés du 23 septembre 2010 par Serge SLAMA
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