Puisqu’on vous dit que le genre (effet de manche culturel plus ou moins durable et proportionnellement pénible) n’est pas le sexe (donnée fixe purement biologique, et encore, on peut en changer… si si, le perdre, le gagner etc.). Je me souviens d’un sondage rapporté (et moqué) par Philippe Sollers. On demande à des gens s’ils avaient la possibilité de changer de sexe, qui ils aimeraient devenir ; les réponses fusent : un homme ! une femme ! etc. Personne ne met la question en question. Un chat est un chat. Les sondés répondent rarement aux sondages en réfléchissant – plongée immédiate dans le lourd ronron scolaire – ce qu’ils désirent avant tout, c’est prouver par leur réponse qu’ils ont bien compris la question. Examen permanent. J’ignore si Virginie Despentes a été une bonne élève ou non mais j’adore ses propositions de réponses. Je les trouve particulièrement viriles – elle possède une vertu parlante.
J’avais déjà acheté Apocalypse bébé avant de lire l’article – très engageant – d’Hubert Artus : « Avec Apocalypse bébé, Virginie Despentes s’est assagie ». Puis j’ai oublié. J’ai lu le livre. Après quoi m’est revenu le titre de l’article et ce bizarre verbe : s’assagir. Rémanence mémorielle. Quelque chose clochait. Je n’étais pas d’accord. J’ai relu l’article. Positivement positif, à n’en pas douter. Cependant… L’intérêt des puces aux oreilles est que ça démange. Y’a pu qu’à gratter. Merci à Hubert Arthus.
Je cherche dans mon Dictionnaire Historique de la Langue Française, version rouge, à assagir : cf. sage. Bon. J’y suis, page 3354. Je cite : « Le composé préfixé assagir v. a d’abord eu le sens d’ « instruire (quelqu’un) de quelque chose. » (1188, assagir qqn de qqch.). » Je dirais en français d’aujourd’hui comme je le comprends : affranchir (rendre sa liberté ?), déniaiser sans doute (vous entendez bien ce que j’entends aussi, là ?), mettre au parfum (le nez, l’existence concrète olfactive de qqch., faire connaître à qqn qui ou quoi il ne pouvait pas sentir auparavant…), (dé)briefer, pourquoi pas, entre autres… Je continue mon petit voyage dans le temps expressif : « Depuis le moyen français, il signifie « rendre (qqn) sage » (1340-1370) et ne s’emploie qu’au pronominal pour « devenir sage » (1530), alors qu’on disait assagir intransitivement (fin XIVe s.) » Autrement dit, à partir de là : débrouille toi tout seul, aides-toi et le ciel… Enfin : « Une valeur extensive s’applique aux choses pour « rendre moins vif, moins rapide ou incontrôlé ». Oh là ! Comme vous y allez ! Mes yeux suivent les lignes un instant de plus : « Le dérivé assagissement n.m. a désigné (1440-1475) l’action de donner des renseignements ; il ne se dit plus que de l’action d’assagir (1580, Montaigne). »
Loin de moi l’idée que le passé a forcément fait mieux que le présent ; ce n’est pas mon histoire. Toutefois il me semble qu’entendre un mot, ce n’est pas seulement le comprendre étymologiquement (en saisir la racine, qui, comme toutes les racines, n’est pas la partie la plus mobile, et notamment parce qu’un grand vent frais peine à y souffler) mais le percevoir dans ses mouvements balayés par l’histoire, sa vie propre, son balancement via les corps. Je vous renvoie, logiquement, à l’article ibidem portant sur le mot sage. J’ai lu le livre de Virginie Despentes et je m’interroge sur son assagissement, le mien, le nôtre et plus prudemment sur celui d’Hubert Artus.
C’est peu dire que je ne suis pas critique (littéraire). Je suis un lecteur. Je ne parle, au final, que de moi. J’arrête pas. Si par cette pratique de lecture je m’assagis ou pas, l’avenir paraît-il le dira, aux autres, pas à moi, puisqu’alors le voyage en ce qui me concerne aura trouvé son terme. J’avais lu, à sa sortie, King kong théorie. J’en garde le souvenir d’une grande clarté d’esprit, celle d’un esprit agissant, actif, oui, un livre d’écrivain. Je me souviens aussi d’avoir ri par moments, mais moins qu’à la lecture d’Apocalypse bébé, dont j’ai apprécié de bout en bout le caractère vif et rapide. J’étais si content alors que je l’ai prêté à une connaissance, C., chargée de mission pour la promotion de l’égalité homme-femme (si tu me lis, C., d’ailleurs, ce serait bien que tu me le rendes… Oh é bé non, té, garde-le, relis-le à l’occasion, je vais le racheter : je fumerai moins, ou je mangerai moins – le plaisir n’en sera que meilleur). Je ne me souvenais pas, en revanche, que figurait dans le livre le récit de la conversion d’objet sexuel (pour le dire comme ça) de Virginie Despentes. Je suis un piètre lecteur, je l’ai déjà dit. Il semble que le quoi de la sexualité m’interpelle moins que le qui…
J’ai ri à gorge déployée à l’intérieur d’Apocalypse bébé. Despentes est la fille la sœur la mère l’amant secret de Balzac, de la Bruyère et de bien d’autres, sa sexualité la plus évidente est celle du texte. Elle a grand appétit et bon goût. Magnifique Yacine (un personnage de l’Apocalypse selon Virginie, cessez de lire ce petit mot et suivez Despentes, la vôtre, c’est toujours la meilleure !), humanité de la Hyène, vérité de Lucie-Virginie (un chat est un arbre comme un autre, vous me suivez ?) - une Vierge éclairée ? - sensibilité des personnages et de leur Créatrice, truculence des dialogues, pertinence du regard (Virginie Despentes est un rapace sociologique, elle repère, elle fond en piqué, elle vous apporte sa proie, à vous de la dépecer ou pas, vous n’êtes pas innocent, seule l’écrivain l’est), tour à tour femme-la Fontaine et ton poqueliné, beauté précise de certaines descriptions, traversante, son style est percutant, ni contrôlé ni in-, pudique, impudique, délicat, attendri, cynique, enchanté/ désenchanté, vrai, vécu, mesuré, palpé, carné. Un régal ! Intégrés à son écriture les grands tournois sonores d’une foule de gabians sur la cité à fouailler les poubelles. Inquiétude de l’œil et envergure des ailes. Le bec. Les serres. Le plumage. Des individus de sexe féminin, genre bon ou mauvais, baisent-pensent-perçoivent le monde alentour, tout-en-un – je suis personnellement pour que le prix Goncourt soit attribué à Virginie Despentes, non pour le prestige mais pour le mode de diffusion, en douce, à l’étal des supermarchés, pour la pénétration des foyers, le retournement des us et coutumes culturels, cette vaste foutade… Bon, je m’emporte, je ne suis pas sage. Me reste ceci : j’apprécie hautement d’être renseigné-instruit-déniaisé-affranchi par Virginie Despentes. Qui qu’elle soit, elle n’est pas une image.
A garder le genre sollersien de ce petit billet (doux) - eu égard à son élan, hein, pas à sa qualité, bien sûr – je décide de titrer ma contribution : Classique Virginie. Voilà.
Ah, au fait, Torcol est un homme. J’ai la preuve de ce que j’avance. C’est indéniable. Pour autant souvent dénié, il faut bien dire. Drôle d’oiseau, ce Torcol?
Apocalypse bébé, Virginie Despentes, Grasset, 342 p.