En ce premier week end de la 27 ème édition des Francophonies en Limousin, le Québec vient prouver son dynamisme créatif. Dans trois registres bien différents, « Buffet chinois » de Nathalie Boisvert, « Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent » créé par Loui Maufette et « S’embrasent » de Luc Tatar, les pièces québécoises nous mettent l’eau à la bouche, au sens propre comme au figuré ! Quant à la saveur finale, elle est bien prononcée, même si elle révèle un Québec encore quelque peu tâtonnant.
C’est d’abord à travers une des lectures proposées par l’Académie-Ecole Supérieure Professionnelle de Théâtre du Limousin que le Québec fait son entrée dans les Francophonies. Dirigés par Anton Kouznetsov, les comédiens sortants de la Séquence 6 de l’Académie présentent Buffet chinois Nathalie Boisvert. Dans un monde de plus en plus stéréotypé, déserté par l’émotion et par le sens de l’être ensemble, il faut bien se trouver des raisons de vivre. Une émission télé, par exemple, accompagnée d’un buffet chinois assez conséquent pour s’en faire éclater la panse, peut alors faire l’affaire. Les personnages de la pièce, vacanciers sans âme, purs produits de la société de consommation, s’en sont fait un rituel, indéfectible. Mais leur jeune fille, Choupette la philosophe, semble avoir été épargnée par l’abrutissement des siens, « ridicules et replets comme des porcelets à l’abattoir ». La structure de la pièce se prête parfaitement à la lecture. Ma, Pa et le fils Tatane forment un chœur à l’unisson dans son obsession du confort et de la conformité, tandis que Choupette incarne une voix dissidente, dont la poésie tranche avec le prosaïsme familial. Nul besoin de déplacements donc, pour faire ressentir cette dynamique conflictuelle. Les uns à côté des autres, attablés comme pour se rassasier de leur collation préférée, les comédiens synchronisent leurs gestes, se livrant ainsi à une pantomime qui dissout l’identité des personnages. Est-ce là une métaphore du Québec contemporain que nous livre Nathalie Boisvert ? Si elle associe son Buffet chinois aux Etats-Unis, où elle est allée vivre durant les années Bush, cette impression initiale persiste : derrière ce tableau de famille délicieusement absurde, on ne peut s’empêcher de discerner un arrière-goût de Québec qui se cherche encore.
"Poésie..." par Patrick Fabre
Heureusement, il y a les mots. S’ils peuvent être les remparts d’une dictature, ils peuvent aussi être une citadelle des égarés : un havre de paix, un laboratoire d’identités. A l’image de Choupette de Buffet chinois, l’équipe survoltée de Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent se nourrit de belles phrases, et nous convie à un banquet poétique. Le menu est varié, il y en a pour tous les goûts. Après une entrée qui nous assèche un peu le palais, nos papilles sont excitées par des saveurs multiples : l’hommage du créateur Loui Maufette à son père Guy, fameux acteur, poète et animateur de radio québécois, laisse place à un florilège de poèmes. Chantés, déclamés, dansés, chuchotés, les mots sont mis à l’honneur par une vingtaine de passeurs de poésie. Tous les répertoires sont bons pour cette équipe dynamique : poésie québécoise, russe, américaine, française, mais aussi chansons de tous horizons. Tous les ingrédients étaient donc là, qui n’attendaient que d’être mis ensemble, et assaisonnés. C’est là que le spectacle pêche : aussi jouissifs soient-ils, les mots de Rimbaud, de Gaston Miron, de Jim Morrison, de Joyce et de tous les autres, ne sont reliés par aucune trame. De la tendresse à la violence, en passant par la pornographie et même par la scatologie, la vingtaine d’acteurs qui composent la troupe portent le tout par leur seule énergie, sans le filet de secours qu’une cohérence thématique ou scénographique aurait pu apporter. Mais leur vitalité est grande, et, même si, comme dans un plat trop épicé, les condiments ont tendance à masquer le goût des aliments, on se laisse porter par le dynamisme verbal et physique de la troupe.
"S'embrasent" par Caroline Laberge
Cette jeunesse québécoise, on la retrouve dans S’embrasent de Luc Tatar, portée par un haut lieu du théâtre pour adolescents : le Théâtre Bluff de Laval. Les Francophonies en inaugurent la première la première tournée internationale, et peuvent s’en féliciter. A partir d’une histoire toute simple, celle de Jonathan et de Latifa, celle de leurs baisers comme jamais personne n’en avait vu (paraît-il), les cinq comédiens de la pièce parviennent à en dire beaucoup. Spectateurs de la romance de leurs camarades, quatre ados dansent leur mal-être, crient leur leur envie de vivre, et chantent leurs rêves. Il y a aussi une sentinelle bienveillante, grand-mère qui se mêle aux jeunes et leur laisse des préservatifs (comme on met du vieux pain) sur son balcon, car de toutes façons elle « n’a jamais aimé les géraniums ». La mise en scène d’Eric Jean met l’énergie débordante des comédiens au service d’une réflexion sur le sens de l’existence, sur l’avenir réservé à une jeunesse, voire à un pays, en déroute. L’espace, investi par des comédiens gesticulants, par un tableau qu’ils remplissent de graffitis, semble étouffer les personnages qui s’y débattent. Pourtant, comme dans les deux autres pièces, une vraie santé, bien solide, se dégage du spectacle, et nous laisse présager du meilleur pour le Québec des décennies à venir.
Buffet chinois, de Nathalie Boisvert
Direction : Anton Kouznetsov
Avec : Yannis Bougeard, Denis Boyer, Amélie Esbelin, Laure-Hélène Favennec, Mathilde Monjanel, Thomas Visonneau
Le Zèbre/Expression 7 • 20-22, rue de la Réforme • 87000 Limoges
Samedi 25 septembre 2010 à 11 h 30
Entrée libre
Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, « Stonerie poétique » de Loui Maufette
Collaboration artistique : Francis Ducharme
Avec : Mikhaïl Ahooja, Céline Bonnier, Nathalie Breuer, Henri Chassé, Kseniya Chernyshova, Patrice Coquereau, Bénédicte Décary, François-Xavier Dufour, Clara Furey, Stéphane Gagnon, Roger La Rue, Marcel Mankita, Loui Mauffette, Benoît McGinnis, Pascale Monpetit, Yves Morin, Patricia Nolin, Éric Robidoux, Marie Tifo, Bénédicte Wenders
Assistante : Marjorie Béranger
Lumières : Claude Cournoyer
Son : Caroline Turcot
Direction musicale : Yves Morin
Complice chorégraphique : Dave Saint-Pierre
CCM Jean-Moulin • 76, rue de Sagnes • 87000 Beaubreuil
Jeudi 23 et vendredi 24 septembre 2010 à 20 h 30 et samedi 25 septembre 2010 à 17 heures
17 € | 9 €
S’embrasent, de Luc Tartar
Mise en scène : Éric Jean
Avec : Francesca Bárcenas, Christian Baril, Matthieu Girard, Talia Hallmona, Béatrice Picard
Scénographie : Magalie Amyiot
Éclairages : Martin Sirois
Costumes : Stéphanie Cloutier
Environnement sonore : Olivier Gaudet-Savard
CCM Jean-Gagnant • 7, avenue Jean-Gagnant • 87000 Limoges
17 € | 9 €
Article publié sur les Les Trois Coups. www.lestroiscoups.com