A la mi-août, Mgr Bernard Genoud a accordé deux entretiens, dans La Liberté ici et dans Le Matin Dimanche ici [d'où provient la photo] sur lesquels il est bon, je crois, de revenir parce qu’il nous donne dans ces entretiens, avec simplicité, un exemple à suivre pour nos derniers temps sur Terre. Ce qu’il dit est suffisamment proche de sa mort pour que nous lui accordions le plus grand crédit et pour que nous soyons touchés par la sérénité qui fut la sienne dans ses derniers temps. L’esprit restait prompt si la chair était faible.
Il est deux façons de prêcher la parole de Dieu, par la parole justement et par l’exemple. Schématiquement la première est celle des Dominicains, la seconde celle des Bénédictins, qui me parle davantage, sans doute parce que je ne suis pas un modèle. Cette distinction n’est cependant qu’intellectuelle et rassurante. En réalité les deux façons se fondent souvent et la parole peut elle-même prêcher d’exemple. C’est ce que j’ai ressenti en relisant les deux entretiens accordés par Mgr Genoud depuis l’EMS (Etablissement médico-social], La Providence, de Fribourg d’où il a dirigé jusqu’au bout son diocèse.
Mgr Genoud considérait que les malades étaient nos « maîtres spirituels ». Il disait en 2004 lors d’un pèlerinage à Lourdes qu’il était heureux en leur compagnie. Il se sentait proche d’eux, davantage encore, bien sûr, quand il est devenu l’un des leurs :
« Je redis la même chose, mais avec plus de force. C’est vrai que, maintenant, je suis avec eux dans la « fraternité ». Parfois il faut avoir passé par certaines expériences pour pouvoir en parler avec une certaine exhaustivité. » [La Liberté]
Cette fraternité était double selon lui, une fraternité de sang et de sens :
« Fraternité du sang parce que nous sommes humains. Tous, nous savons qu’il y aura une échéance à notre existence et, en même temps, humains mais fils du même Dieu, qui donne sens à notre existence et fait de nous des frères. » [La Liberté]
La maladie ne lui donne pas le sentiment d’avoir été abandonné par Dieu et il ne doute pas:
« J'ai cette grâce: toute ma vie, Dieu m'a aidé à ne pas douter de la foi. » [Le Matin Dimanche]
Pourquoi ne doute-t-il pas ? Parce qu’il sent la présence de Dieu :
« Derrière le demi-millimètre de mes paupières closes, Il est là ! C’est moi, au contraire, qui ne suit pas toujours là pour lui » [La Liberté]
Aux journalistes du Matin Dimanche, incrédules, il confirme qu’Il est plus présent depuis qu’il est malade:
« Il ne peut pas être plus présent, c'est moi qui le suis. Vous savez, les trois quarts du temps, c'est nous qui sommes absents. J'y suis plus attentif parce que j'ai plus de temps pour l'être. Ça me donne cette sérénité intérieure. » [Le Matin Dimanche]
Mgr Genoud ne dit pas que la présence de Dieu dissimule la maladie. Pour lui il faut la regarder en face, avec courage :
« La souffrance est une école de vie spirituelle. J'aime bien le mot «courage» dans la maladie. Ça veut dire agir avec le cœur. J'ai envie de dire à tous ceux qui souffrent: «Agissez avec courage et vous verrez que ça ira mieux.» On sait bien que le cœur et le psychisme ont une importance fantastique dans la maladie. » [Le Matin Dimanche]
On sait que Mgr Genoud est mort d’un cancer du poumon et qu’il a continué de fumer jusqu’au bout – un ami, un véritable frère pour moi, très malade, fumeur impénitent, aujourd’hui décédé, me disait qu’il n’était pas possible d’être « un héros tout le temps ».
Mgr Genoud disait qu’il aimerait dire aux fumeurs d’arrêter :
« Même si je ne suis pas un très bon exemple. Fumer, c'est bête: on s'abîme la vie, on abîme celle des autres. Pourquoi? Pour arriver à en être malade? Cela dit, il n'y a pas que ça, j'avais sûrement une prédisposition au cancer. » [Le Matin Dimanche]
Cela ne l’empêchait pas d’ajouter :
« J'ai beaucoup diminué. Arrive un moment où l'on se dit: «Ce n'est pas maintenant qu'il faut faire cet effort-là. Il fallait le faire avant.» Mais il y a aussi, aujourd'hui, une certaine idéologie dans le combat contre la cigarette. Quand il y a eu la prohibition de l'alcool aux Etats-Unis, ça a fait la richesse de la mafia. On pouvait faire n'importe quoi, tuer les gens au colt, mais il ne fallait pas boire. Aujourd'hui, on a reporté cette attention morale sur la fumée. On dirait qu'on peut faire n'importe quoi mais ne pas fumer. » [Le Matin Dimanche]
Fortes paroles que tout défenseur des libertés individuelles ne peut qu’approuver.
Mgr Bernard Genoud n’avait pas peur de la mort. Dans l’évangile il est dit que l’on ne sait ni le jour ni l’heure. Mais il se pourrait que Mgr Genoud ait fait exception :
« [Le moment de quitter ce monde] arrivera comme pour tout le monde. Je n’en sais rien quand. Le Bon Dieu me le fera savoir, Il est assez malin pour me le dire. Ce n’est pas mon problème, c’est le sien ! » [La Liberté]
Il est très possible que le Seigneur lui ait accordé cette grâce, lui dont la devise était :
« Ma grâce te suffit »
Lui qui en donnait l’explication suivante :
« Pour moi, tout est grâce. Comme la dernière phrase du «Journal d'un curé de campagne» [roman de Georges Bernanos]: la grâce, c'est la beauté, la gratuité, le don. »
Francis Richard