Du 18 au 25 septembre se jouait Armide, de Lully, au théâtre de Gennevilliers, mis en scène par le directeur de ce même théâtre, Pascal Rambert, avec la contribution de l’ensemble musical américain Mercury Baroque. Dernière tragédie lyrique achevée par Lully, sur un livret de Quinault, Armide conte les amours de la magicienne Armide et du chevalier croisé Renaud, son ennemi, imaginées par Le Tasse dans sa Jérusalem délivrée ― non sans rappeler celles, tout aussi malheureuses, de Didon et Énée. Cette production créée en mai 2009 au Wortham Center de Houston, où est basé le Mercury Baroque, transpose les événements dans l’Irak contemporain, les États-Unis campant le rôle des Croisés. Un choix à forte teneur provocatrice, reconnaît Pascal Rambert qui admet l’avoir effectué lors de son arrivée à Houston, Texas, « l’État des compagnies pétrolières ».
Cet volonté d’engagement politique n’est pas rare au TGP qui, cette saison, présentera Hot Pepper, Air Conditioner and the Farewell Speech de Toshiki Okada (2-5 octobre), évocation de la vie des salariés précaires dans le Japon d’aujourd’hui ; Le musée de la mer de Marie Darrieussecq et Arthur Nauzyciel (4-11 février), pièce saluée lors de sa création en Islande, qui aborde ― de façon originellement prémonitoire ― l’effondrement du système financier ; et L’indestructible Madame Richard Wagner de Christophe Fiat (création, 3-19 mars), consacrée à la figure de Cosima Wagner, selon l’auteur « première femme à avoir considéré l’art comme un pouvoir d’émancipation de la condition féminine ». Notons aussi que cet engagement se traduit en actes par l’accès aux représentations d’un public large, le prix des places et abonnements étant attractif même pour un théâtre de banlieue (22€, tarif réduit 11€, résidents 9€). Le fait même de jouer du Lully à Gennevilliers est d'ailleurs une idée fort louable, rafraîchissante, et très estimable, ce qu'il convient de ne pas oublier, quels que soient les défauts que l'on peut trouver au résultat final.
Malheureusement, la réalisation de l’idée « irakienne » de Pascal Rambert n’est pas vraiment à la hauteur des ambitions affichées, la faute principalement à une incapacité assez évidente à saisir les enjeux que pose une mise en scène d’opéra : la seule disposition de la salle est acoustiquement calamiteuse, le plateau ouvert sur les coulisses et très profond (plus de quinze mètres pour une largeur de 6 ou 7 mètres !) privant le public de l’essentiel du détail vocal et de la dynamique musicale. L’orchestre lui-même est situé dans une fosse située plusieurs mètres devant le premier rang de spectateurs, et derrière le cadre de scène. On ne s’étonne dès lors pas que les crissements de pneus des véhicules conviés pour la mise en scène couvrent à plusieurs reprises les ritournelles orchestrales.
Mais là n’est pas la seule cause de cet échec : le manque de direction dramatique des acteurs (à moins que ce ne soit un choix « minimaliste » ?) aboutit à un résultat extrêmement statique qui s'enlise très vite, se révèle dépourvu d'imagination, et n’épargne pas l’ennui au spectateur. Et, dans ce cadre acoustique ingrat, Isabelle Cals (Armide) est la seule à s’en tirer de façon honorable, dans une interprétation musclée dont on se contente, en l’occurrence. Car Zachary Wilder (Renaud) souffre de son côté de tous les défauts des ténors baroques anglo-saxons qui précédèrent l’arrivée d’Anthony Rolfe Johnson, puis de Paul Agnew : manque de puissance, maniérisme excessif et hors style, vision du baroque en perruques poudrées qu’on croyait enfin éradiquée. Le reste du plateau vocal aurait en revanche tenu la route dans d’autres circonstances (en particulier Sumner Thompson, efficace à défaut d’être toujours intelligible dans les deux rôles d’Hidraot et de la Haine). Enfin, le Mercury Baroque se révèle appliqué, sous la baguette de son chef canadien Antoine Plante, mais manque de dynamique, et s’il fait partie des rares ensembles pionniers dans la redécouverte de la musique baroque en Amérique du nord, il souffre, en France, de l’inévitable comparaison avec les ensembles les plus réputés du continent, en France particulièrement, l'enregistrement de La Chapelle Royale sous la direction de Philippe Herreweghe, et la production des Arts florissants sous la direction de William Christie au Théâtre des Champs-Élysées, en 2008, venant immanquablement à l’esprit. Si l’on peut comprendre que l’acoustique du lieu contribue à rendre cet orchestre un peu neutre et, en particulier, à effacer littéralement le continuo et les pupitres graves, il est en revanche très regrettable qu’aucune recherche n’ait été accomplie sur les percussions. L’immense variété des instruments baroques laissait en effet pour l'occasion la place à une caisse claire, une grosse caisse (modernes, à peaux synthétiques !), et une cymbale, le tout frappé à l’aide de baguettes feutrées : pour résumer, on était là très loin du souci historique théoriquement affiché.
Enfin, tout cela n’est peut-être pas encore le plus contestable. En effet, l’opéra de Lully et Quinault a été pour cette production retoqué de façon assez radicale, en coupant totalement l’acte IV, ainsi que de nombreux divertissements. On peut s’interroger sur l’opportunité de choisir de monter une telle œuvre si c’est pour la charcuter si sauvagement, et il est encore plus détestable que cette coupure ait été faite sous un prétexte fallacieux, le programme distribué par le théâtre mentionnant : « Comme souvent selon l’usage, l’acte IV n’est pas donné. » On s’interroge en vain sur ce fameux « usage », aucune production connue de l’œuvre, dans les décennies récentes, n’ayant opéré de telles coupures. Le seul avantage de la coupure est finalement d’épargner au spectateur une bonne demi-heure d’ennui supplémentaire. Mais d’autres choix interrogent. Pourquoi, par exemple, enchaîner les actes, et ainsi estomper l’unité dramatique que constituent ceux-ci dans les opéras d’un Lully comme dans les tragédies d’un Racine, tout en privant du même coup le spectateur d’une respiration nécessaire pour maintenir la concentration ? Pourquoi, encore, avoir négligé l’installation d’un dispositif de surtitrage ? Cette négligence est en effet préjudiciable à l’appréciation que peut porter le spectateur sur la représentation : malgré leurs efforts la majorité des chanteurs n’étant pas francophones peinent réellement à être intelligibles (Zachary Wilder le premier) et les inévitables bruits de salle rendent la compréhension très précaire, ce qui demande globalement un surplus de concentration au public, qui n’a pu en tous moments profiter au mieux de l’interprétation musicale proposée.
Agenda
Informations et réservations : 01 43 74 24 08.
Saluée par la critique la saison dernière, la production du Couronnement de Poppée de Monteverdi par l’Arcal et le Théâtre Gérard Philipe (TGP) de Saint-Denis, mise en scène par Christophe Rauck avec la collaboration de l’ensemble Les Paladins de Jérôme Corréas, sera cette année très présente en France : à Cergy (4 et 5 octobre), Rennes (8, 9, 10 octobre), Lorient (13 octobre), Saint-Louis (22 octobre), puis à partir de février à Versailles, Poitiers, Tarbes, Chatenay-Malabry, avant un retour au sympathique TGP, et deux représentations à l’opéra de Massy. Un succès mérité pour une production attachante, inventive et très appréciée par La Brèche.
Informations sur le site de l'Arcal.
Enfin, le théâtre permanent de Gwenaël Morin, fameuse expérience hautement politique qui vit jouer une compagnie quotidiennement tout au long de l’année 2009, à Aubervilliers, à seule fin de repenser des œuvres tout en réinventant le rapport au public et l’inscription du théâtre dans la Cité, poursuit ses prolongements entamés au théâtre de la Bastille ces derniers mois. Deux des productions ainsi élaborées sont reprises cet automne : Tartuffe d’après Tartuffe de Molière (du 27 septembre au 31 octobre) et Bérénice d’après Bérénice de Racine (du 2 au 21 novembre).
Informations sur le site du Théâtre de la Bastille.
Crédits iconographiques : 1, 2. © Amitava Sarkar ; 3. ©La Brèche.