Si l’importance d’un responsable politique se mesure à l’aune des réactions en chaîne provoquées par ses prises de parole, alors Claude Bartolone peut être fier de lui. Il aura suffi de quelques phrases lâchées à l’antenne de France Inter vendredi, puis réitérées dans Libération ce lundi, pour déclencher une tempête dans le bocal socialiste. Le plus étonnant étant, en vérité, que le député et président du Conseil général de Seine-Saint-Denis n’a fait que rappeler des éléments qui sont tout sauf nouveaux ; qu’il existe une sorte d’accord de cartel entre DSK, Aubry et Fabius pour neutraliser les primaires PS ; que, comme ce dernier l’avait déjà suggéré en début d’année, on peut envisager que ces primaires, pour lesquelles ont voté les adhérents socialistes, prennent finalement la forme de « primaires de confirmation ». Terme dont on ne voit pas très bien, ou peut-être au contraire trop bien, ce qu’il recouvre : un processus de désignation du candidat à la présidentielle non pas approfondi et compétitif, comme le prêchaient Ferrand et Montebourg, mais aboutissant à une sorte d’onction par les masses populaires (et les apparatchiks) d’un responsable politique s’imposant « naturellement » à tous (les autres candidats à la candidature s’écartant alors, on le suppose, tout aussi « naturellement »). A dire vrai, Claude Bartolone a fait un peu plus que répéter ce que lui et d’autres susurraient depuis des mois ; il a clairement expliqué que les primaires votées par les militants PS avaient été conçues à une époque où aucun responsable socialiste ne se détachait du peloton, et que dans le contexte actuel, écrasé par la stature sondagière de DSK et Martine Aubry, ce système était de facto caduque. Il n’en a donc pas fallu plus pour déchaîner les socialistes ne partageant pas ce constat ; militants s’estimant bernés, candidats de second rang réduits au rôle de sparring partners, responsables ayant tenté avec plus ou moins de succès de faire des primaires leur marque de fabrique. Et des groupes de se constituer sur la CooPol pour exiger le respect de la parole donnée (et votée), et des discussions enflammées de se répandre sur Facebook pour opposer un ardent no pasaran à la perspective de nouvelles fraudes électorales dans le parti de Jaurès.
Car c’est l’analyse générale : la suggestion de Bartolone, pas vraiment démentie par Martine Aubry et Laurent Fabius, serait comme le signe avant-coureur d’une manipulation à venir, un Reims tome II façon « Le retour des fraudeurs à la chaussette », servant à replanter le couteau dans le dos de Ségolène Royal et autres François Hollande. Cette lecture des événements futurs, même si elle ne peut être a priori écartée, rate à mon sens l’essentiel. L’essentiel : c’est à dire que les primaires « de confirmation », quoi que cela signifie exactement, ne sont pas une menace prochaine, une perversion de saines primaires qu’il s’agirait à tout prix d’éviter ; les primaires de confirmation, le PS est déjà dedans, et même depuis décembre 2008 pour être précis.
Les primaires de confirmation commencent quand un congrès socialiste, manifestement entaché de fraudes incontestables, étalées et assumées au vu et au su du pays entier, est néanmoins validé avec l’aval du premier secrétaire sortant, qui aujourd’hui se débat du mauvais côté du manche – celui des minoritaires. Ces primaires commencent quand une majorité hétéroclite, rassemblée par le seul souci de bloquer Ségolène Royal, réunissant, comme on en plaisantait à l’époque, de « Démocratie et Socialisme » (Gérard Filoche) à « Socialisme et Démocratie » (DSK), arrive à imposer par la force qu’un ex æquo objectif se transforme en victoire de justesse. Le camp des perdants – Ségolène Royal et ses soutiens – a sans doute eu les meilleurs raisons du monde, à commencer par la sauvegarde du parti socialiste, de s’incliner ; mais il n’en reste pas moins que celui qui baisse le premier le pavillon, dans ce type d’affrontement total, accepte de facto une petite mort qui le pousse irrémédiablement dans le camp des vaincus et des dominés. On remarquera au passage que la « motion E » n’a pas survécu à cette reddition initiale, alors que la majorité-patchwork de la première secrétaire se maintient aujourd’hui encore.
Les primaires de confirmation continuent quand quelques mois à peine après un tel conflit, les dirigeants de la (grosse) minorité acceptent d’intégrer la direction du PS, au nom de l’unité, et sans réellement exiger de rediscuter de la ligne du parti. Quand ils ne demandent pas la démission de la première secrétaire après la cinglante défaite des élections européennes, contribuant concrètement à son maintien en place à un moment où elle était pourtant très affaiblie.
Les primaires de confirmation entrent dans le vif du sujet quand toutes et tous acceptent le principe d’un long tunnel de conventions thématiques sous l’autorité de la première secrétaire, débouchant sur des textes incolores et inodores; des textes censés constituer l’armature du renouveau intellectuel du parti, mais ne parvenant pas à faire se déplacer plus de 30% des militants pour les valider. Les primaires de confirmation, c’est tout spécialement le mode de constitution de ces textes, consensuel, forcément consensuel, tant et si bien qu’on n’en propose qu’une seule version au vote, pour obtenir des plébiscites soviétiques. C’est quand on fabrique des textes tellement délavés et inoffensifs (le matérialisme, c’est pas bien, le juste échange, la parité et le droit d’asile, c’est bien) que personne ne peut vraiment être contre; c’est quand celles et ceux qui espèrent jouer un rôle aux primaires les laissent passer sans rien dire, se disant qu’ils gardent justement leurs billes programmatiques pour ces primaires. Les primaires de confirmation, c’est aussi quand il y a, pour le coup, un vrai clivage sur un des ces textes – au sujet du calendrier des primaires, trop courtes, trop tardives – et que les candidats qui en pâtiront le plus – de ce calendrier – protestent un peu, pour la forme, puis s’inclinent. Comme ils l’ont finalement toujours fait depuis décembre 2008.
Les primaires de confirmation, c’est ce qui prend forme quand un nombre croissant de militants, lassés – qui peut les en blâmer ? – de la gauche qui rime avec égos, disputes, moi-je, candidatures de tous à tout, vocations présidentielles naissant lors du rasage matinal, se disent que le bon vieux système du premier secrétaire-candidat, c’est pas si mal. C’est quand les mêmes militants et sympathisants, souhaitant de tout leur cœur la défaite de la droite, viennent à se dire : pourquoi chercher plus loin que l’évidence martelée depuis des mois par SOFRES, IFOP et autres Viavoice ? C’est quand des socialistes, naïvement ou non, s’arrêtent et se demandent : pourquoi faudrait-il à nouveau nous diviser et nous battre comme des chiffonniers, à quelques mois de l’élection, alors que celle-ci nous tend les bras ? Pourquoi ne pas suivre tranquillement le cours de l’unité ?
Les primaires de confirmation, ce n’est à bien y réfléchir que peu de choses. C’est l’idée que celui qui tient l’appareil d’un parti tient sa destinée électorale, sauf accident de parcours type TCE. C’est le principe de l’arroseur arrosé, ou comment des « carpes et lapins » qui savent apprendre de leurs échecs passés retournent l’arme des sondages contre celle qui les domina naguère. C’est également le principe du baiser de l’araignée, appliqué à cette rivale dangereuse, que l’on cajole et intègre pour mieux la neutraliser, avec qui on s’étonne par téléphone des propos de Claude Bartolone sans les démentir formellement par ailleurs. Les primaires de confirmation, c’est enfin une mise en application de la méthode Coué : à force de répéter une idée énorme – l’idée que les primaires tant claironnées, dont l’annonce a sauvé Martine Aubry à la rentrée 2009, ne se dérouleront pas comme prévu – elle finit par s’imposer dans les esprits, même les plus récalcitrants. Aujourd’hui on envoie les porte-flingues porter la bonne parole à une opinion (encore) hostile ; demain suivront, à n’en pas douter, les pétitions d’élus et de militants appelant à l’unité, à la raison, à la mise en berne des ambitions démesurées. Et elles feront leur petit effet. L’Élysée vaut bien d’avaler quelques couleuvres, non ?
Les primaires de confirmation ne sont donc pas devant nous : elles ont été préparées, installées, appelées dès le lendemain de Reims, même par les responsables qui aujourd’hui crient à la forfaiture, se réveillant un peu tard. Trop tard ? C’est toute la question des prochains mois.
Romain Pigenel