Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes ...
Charles BAUDELAIRE
Les Chats
(Les Fleurs du Mal)
Plaisante parce qu'au final plus anecdotique que véritablement historique ou rébarbative parce que trop littéraire, trop pédagogique ?
En réalité, je ne sais comment, amis lecteurs, vous allez apprécier mon intervention de ce mardi. Car avant de détailler ensemble lors d'une prochaine visite les figurines de chats que le Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre propose dans la vitrine 3 de l'actuelle salle 5, j'ai pensé intéressant aujourd'hui de vous donner à (re)découvrir la manière dont de grands auteurs antiques, grecs et romains, pas nécessairement réputés s'être fortement intéressés à la gent féline, percevaient l'amour que les Egyptiens vouèrent à leurs chats : certains pour s'en gausser, d'autres se voulant plus didactiques.
A tout seigneur, tout honneur, leur précurseur à tous, je songe bien évidemment à Hérodote d'Halicarnasse, cet écrivain grec du Vème siècle avant notre ère, considéré universellement comme le Père de l'Histoire, qui nous explique que :
... lorsqu'un incendie éclate, ces bêtes se comportent de la façon la plus extraordinaire : tandis que les Egyptiens font la chaîne autour des flammes pour veiller sur leurs chats, sans se soucier d'éteindre l'incendie, ceux-ci se glissent entre les hommes ou bondissent par-dessus leurs têtes pour se jeter dans le feu. Pareils événements sont un grand deuil pour les Egyptiens.
Enfin, dans la maison où un chat vient à mourir de sa belle mort, tous les habitants se rasent les sourcils seulement ; s'il s'agit d'un chien, ils se rasent la tête et le corps tout entier.
On emporte les chats morts dans des bâtiments consacrés, à Bubastis, où on les
embaume avant de leur donner une sépulture.
(Hérodote, L'Enquête, Livre II, chapitres 66 - 67)
Dans un deuxième temps, celui qui après Hérodote, et malgré les réserves que l'on peut poser à propos de la véracité de certains faits relatés par ces deux
chroniqueurs, constitue la meilleure source grecque de renseignements sur l'histoire et surtout les moeurs des Egyptiens, historien grec du Ier siècle avant notre ère, Diodore de
Sicile :
On regardera sans doute comme un article difficile à croire et à comprendre ce qui concerne les animaux sacrés de l'Égypte. Car les Égyptiens respectent jusqu'à l'adoration plusieurs animaux, non seulement pendant leur vie mais encore après leur mort, comme les chats, les ichneumons, les chiens, les éperviers et certains oiseaux nommés dans leur langue ibis, les loups mêmes, les crocodiles et plusieurs autres. Après avoir donné un détail abrégé de cette superstition, nous tâcherons d'en expliquer les causes. Premièrement, on consacre un champ dont le revenu est destiné pour la nourriture et pour les autres soins qu'on prend de chaque espèce de ces animaux. Outre cela, les Égyptiens rendent leurs vœux à certains dieux pour leurs enfants échappés de quelques maladies et alors ils se font couper les cheveux et en donnent le poids en or et en argent aux gardiens des animaux sacrés. (...)
Pour les chats et les ichneumons, on pétrit du pain dans du lait et on le leur donne avec quelques morceaux de poisson du Nil, en les attirant par cette espèce de sifflement dont on se sert pour flatter les animaux. Il en est de même de tous les autres à qui l'on présente les viandes qui leur conviennent. Non seulement ces officiers ne se font pas une peine et une honte de ce ministère, mais ils s'en glorifient comme s'ils étaient employés aux plus saintes cérémonies de la religion. Ils ne paraissent jamais dans les villes ou à la campagne qu'avec des marques particulières qui les distinguent et qui indiquent même de quels animaux ils sont gardiens. D'aussi loin qu'on les aperçoit tout le monde se prosterne devant eux.
Quand il est mort quelqu'un de ces animaux, ils l'enveloppent dans un linceul en pleurant et en se frappant la poitrine et ils le portent à ceux qui ont soin de les saler, ils les embaument ensuite avec de l'huile de cèdre et d'autres parfums les plus odoriférants et les plus propres à conserver longtemps les corps, et ils les déposent enfin dans des coffres sacrés.
Si quelqu'un tue exprès un de ces animaux, il lui en coûte la vie, mais il y a une distinction pour les chats et pour les ichneumons. C'est qu'un homme qui en aurait tué un, soit exprès, soit par mégarde, est saisi par le peuple qui se jette sur lui, qui lui fait souffrir toute sorte de maux et le massacre ordinairement sans aucune forme de procès. Ainsi ceux qui rencontrent un de ces animaux sans vie se mettent à se lamenter de toute leur force, en protestant qu'ils l'ont trouvé mort.
Cette superstition est tellement enracinée dans l'âme de ces peuples et leur vénération pour ces animaux est si forte, qu'au temps où le roi Ptolémée aspirait à se faire déclarer ami et allié du peuple romain et que les Égyptiens avaient toute sorte d'égards pour ceux qui venaient d'Italie, afin d'éloigner tout prétexte de mécontentement et de guerre de la part de la république qu'ils appréhendaient, un Romain qui avait tué un chat fut assommé par le peuple qui se jeta dans sa maison sans pouvoir être arrêté ni par l'intérêt de l'Etat, ni par les remontrances des officiers du roi, ni par les protestations que faisait le Romain même de n'avoir tué le chat que par mégarde. Je n'allègue point ce fait sur le rapport d'autrui et j'en ai été témoin moi‑même dans mon séjour en Égypte.
(Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Tome I, Livre I, 2ème section, chapitre 31 : Des animaux sacrés de l'Égypte.)
Après ces deux "incontournables" qu'à vrai dire vous lirez un peu partout ici sur le
Net mais que, décemment, je ne pouvais passer sous silence, écoutons à présent Polyen, un écrivain macédonien du IIème siècle de notre ère qui, à Rome, devint rétheur et avocat sous le
règne de Marc-Aurèle : là, il écrivit un recueil de ruses de guerre qu'il dédia notamment à l'empereur philosophe, et dont voici un extrait :
Cambyse assiégeait Péluse. Les Égyptiens lui résistaient
vigoureusement, lui fermaient les entrées de l'Égypte, et lui opposaient des catapultes et d'autres machines, au moyen desquelles ils lançaient sur ses troupes des traits, des pierres et du feu.
Cambyse prit de tous les animaux que les Égyptiens adoraient, comme chiens, brebis, chats, ibis, et les plaça au-devant de ses troupes. Les Égyptiens cessèrent de tirer, de peur de blesser
quelqu'un de ces animaux sacrés, et Cambyse ayant pris Péluse, pénétra de cette sorte dans le centre de l'Égypte.
(Polyen, Stratagèmes, Livre VII, chapitre 9)
Plus critique, Cicéron, l'homme politique et orateur romain du Ier siècle
avant notre ère que l'on ne s'attend pas nécessairement à retrouver ici, stigmatise les moeurs égyptiennes :
C'est ainsi que les Égyptiens, imbus de vaines et de ridicules superstitions, s'exposeraient plutôt aux supplices les plus rigoureux que de blesser un ibis, un aspic, un chat, un chien, un crocodile : jusque-là même que si quelque accident de cette espèce leur était arrivé par hasard, ils sont prêts à expier leur faute par quelle peine on voudra.
(Cicéron, Tusculanes, Livre V, chapitre 27)
Quant à Plutarque, biographe et moraliste grec né au milieu du Ier sièle de notre ère et décédé au début du IIème, avec lequel je terminerai cet éventail d'appréciations, évoquant le sistre, cet instrument de musique étroitement associé à la déesse Isis et au sommet duquel est généralement ciselé un chat à face humaine, il rappelle que :
Le chat représente la lune, à cause de la variété de son pelage, de son activité pendant la nuit et de sa fécondité. On dit en effet que cet animal fait d'abord un petit, puis deux, puis trois, puis quatre, puis cinq, et ainsi jusqu'à sept à la fois, de sorte qu'en tout il va jusqu'à vingt-huit, nombre égal à celui des jours de la lune. Ceci d'ailleurs ne peut bien être qu'une fable. Mais il paraît toutefois que dans les yeux du chat, les prunelles s'emplissent et se dilatent à la pleine lune, tandis qu'elles se contractent au décours de cet astre. Quant à la figure humaine donnée au chat, elle indique l'intelligence et la raison qui président aux phases de la lune.
(Plutarque, Isis et Osiris, chapitre 63)
Indépendamment des rééditions modernes de ces ouvrages antiques que l'on trouve dans les bibliothèques, celle de notre ville ou la nôtre, il existe, ici sur le Net, deux sites, d'origine belge, où ils sont consultables :
* un émanant de l'Université de Louvain-la-Neuve : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/default.htm
* et celui, excellent, de Philippe Remacle : http://remacle.org/
Grâce à eux, je vous souhaite d'éventuellement poursuivre la lecture d'auteurs anciens
qu'ici je n'ai fait qu'esquisser ...