«C'est une guerre de classes, ma classe est en train de la gagner, mais ça n'est pas normal.»(Warren Buffett, le milliardaire américain)
Jean-François Ruffin, journaliste à Là-bas si j'y suis, collaborateur au Monde diplomatique et directeur de Fakir, nous livre le récit de la défaite idéologique de la gauche et de ses conséquences sociales.
Les fermetures d'usines, les délocalisations, les licenciements massifs, les luttes ouvrières perdues dans l'indifférence des médias dominants, les inégalités croissantes, la misère, les injustices sociales, le chômage de masse et le retour d'un important réservoir de main d'œuvre à bas couts résultent de cette défaite idéologique.
Le Travail perd la guerre des classes au profit d'une classe possédante, le Capital, qui n'a jamais été aussi puissante et arrogante depuis le 2d Empire. Une oligarchie de patrons, de hauts-fonctionnaires, d'éditocrates, et de politiciens qui a expurgé du vocabulaire commun la lutte des classes pour la remplacer par des mots dont la neutralité apparente tire sa force de l'évidence... Tous les abus, toutes les inégalités, même les plus criants sont justifiés dans une novlangue néo-libérale répétée en boucle par les représentants et les chiens de garde du Capital...
Depuis 1983 jusqu'à la dernière présidentielle et à aujourd'hui, toute la gauche gouvernementale, autrement dit la gauche plurielle s'est piquée de réalisme, de rénovation, de refondation, de modernisation, de mondialisation, de libre-échange, et de tout un tas de noms ronflants et de formules creuses qui ont remplacé les mots d'ordre traditionnels du mouvement ouvrier. Même la candidate communiste à la présidentielle n'a pas parlé de classes populaires et de lutte des classes.
Ruffin révèle combien les responsables socialistes ont mis plus d'énergie à se conformer à l'idéologie dominante en reniant le passé ouvrier du PS, en effaçant le marxisme de ses statuts, en discourant sans fin sur le nouvel idéal de la croissance économique, désormais verte, en se gaussant d'économisme et d'intérêts communs entre salariés et entreprises, qu'à défendre les classes populaires et les acquis sociaux.
C'est sous la gauche qu'a été amorcé et lancé le grand virage néo-libéral que Sarkozy ne fait que poursuivre. Une idéologie néo-libérale qui triomphe aujourd'hui, faute d'adversaire politique combattif, en détruisant une à une les conquêtes du mouvement ouvrier. Le rapport Travail-Capital est si déséquilibré que l'ancien directeur de la banque centrale américaine s'en était ému :
«J'ai attendu et j'attends encore quelque normalisation dans le partage du profit et des salaires (...) ce découplage entre faibles progressions salariales et profits historiques des entreprises fait craindre une montée du ressentiment (...) contre le capitalisme et le marché».
Un constat qui ne souffre aucune contestation, et Ruffin d'enfoncer le clou :
«d'après le FMI, dans les pays membres du G7 la part des salaires dans le produit intérieur brut a baissé de 5,8 % entre 1983 et 2006. D'après la Commission européenne, la part des salaires, au sein de l'Europe cette fois a chuté de 8,6 %. Et, en France de 9,3 %.»
Un constat que le PS n'a jamais mentionné jusqu'à la dernière réforme des retraites... Pourtant, chaque année, le Capital vole entre 120 et 170 milliards d'euros au Travail, de quoi largement remettre à niveau l'ensemble des budgets sociaux... Et pourtant, le PS ne rappelle jamais cette réalité-là, ni ne conteste vraiment le système. Ruffin avance un argument sociologique : le PS ne rassemble en son sein que des personnes relativement épargnées par la "crise"... Le comportement d'un député socialiste, un certain Vincent Peillon, coupé de la réalité sociale et indifférent aux souffrances de ses concitoyens, est particulièrement stupéfiant...
La guerre des classes est passionnante parce que l'auteur illustre sa thèse en revenant dans des lieux emblématiques de luttes ouvrières et de "restructurations"... et en l'étayant de données statistiques irréfutables. Un livre d'une brulante actualité...
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