Ravitailleurs en vol et politique ne font pas bon ménage.
Curieusement, de ce côté-ci de l’Atlantique, il est rarement question, pour l’instant, du choix du nouveau ravitailleur en vol de l’armée de l’Air américaine. Cet intermčde, apparent seulement, s’explique simplement : techniciens et stratčges de Wright Patterson Air Force Base sont plongés dans les volumineux dossiers que leur ont remis EADS et Boeing. Des milliers de pages de présentations techniques, de simulations opérationnelles, le tout agrémenté d’arguments tendant ŕ prouver, pour l’un et l’autre des concurrents, qu’il est franchement meilleur que son rival.
Intermčde, disions-nous, mais qui dissimule ŕ peine un affrontement politique trčs violent. La préparation du choix se déroule, en effet, sur fond électoral. Le 2 novembre, le Congrčs tout entier va ętre renouvelé (435 sičges) ainsi qu’un tiers du sénat et un certain nombre de postes de gouverneurs. Dans certains Etats, l’industrie aéronautique est ŕ l’avant-scčne, notamment Washington (Boeing), au Kansas (Spirit AeroSystems et aviation d’affaires), en Alabama (oů serait assemblé le KC-45/A330-200 s’il est choisi). Les enjeux sont essentiellement économiques, portent sur le maintien ou la création d’emplois et n’ont rien de philosophique. Les campagnes électorales américaines sont dures, parfois violentes, et ne laissent gučre de place ŕ des débats sophistiqués comme nous en connaissons en France.
De plus, certaines vedettes (dans les limites de l’aéronautique s’entend) risquent leur avenir. C’est le cas de l’omniprésente Parry Murray (sénatrice démocrate de l’Etat de Washington), élue pour la premičre fois en 1983, qui défend évidemment Boeing bec et ongles et, pour ce faire, n’hésite mais ŕ utiliser des arguments percutants mais pas toujours fondés. Comme d’autres, elle estime notamment que les industriels européens sont généreusement subventionnés et, de ce fait, bafouent les rčgles les plus élémentaires de la libre et saine concurrence.
On retrouve le męme discours ailleurs. Ainsi, il est dit et répété que chacun des contribuables français participerait ŕ la production des KC-45 américains si, par malheur, cet appareil était choisi de préférence au KC-767A. Le détail est révélateur : le reproche s’adresse ŕ la France, et non pas ŕ l’ensemble des pays EADS/Airbus. Nombre d’Américains sont intiment persuadés que le tandem industriel est mené par les seuls Français, avec la complicité agissante de leur autorités, le tout constituant une machine ŕ créer des emplois. Et, dans l’esprit de Patty Murray, pour détruire (sic) l’industrie aéronautique américaine.
Les échanges sont vifs, souvent de mauvaise fois et rappellent ŕ qui pourrait encore en douter que l’Amérique profonde ne connaît rien de l’Europe. De ce fait, nombre d’électeurs prennent pour argent comptant les débordements d’hommes et de femmes politiques. Les forums de discussion sont, en cette matičre, tout ŕ fait révélateurs, alors que certaines interventions sont réguličrement censurées par les modérateurs. Le Seattle Times, par exemple, laisse un emplacement vide ŕ la place des messages déplacés ou injurieux qu’il a supprimés, comme pour rappeler qu’il existe des limites ŕ ne pas dépasser.
C’est dans ce contexte trčs nerveux que réapparaît le dossier de l’OMC. Des intervenants de tous bords sont intimement persuadés que le KC-45 est proposé ŕ un prix irréaliste, précisément grâce ŕ des subventions étatiques. D’oů l’idée d’en tenir compte, de pénaliser financičrement l’offre européenne. Cette suggestion est rejetée par le Pentagone mais, en cas de victoire d’EADS/Airbus, promet une réaction musclée en męme temps qu’une belle polémique.
L’affrontement a valeur de symbole en męme temps qu’il est démesuré. Le marché de 179 ravitailleurs est évalué, certes, ŕ plus de 35 milliards de dollars. En revanche, l’étalement des livraisons sera important, pour des raisons budgétaires, de 15 ŕ 17 appareils par an seulement. Sachant qu’Airbus et Boeing produisent chacun environ 500 avions de transport par an, il n’y a lŕ rien de décisif. Mais il est visiblement préférable de cacher cette précision.
Dino Rossi, opposant républicain de Patty Murray, ŕ peine plus mesuré qu’elle, vient de commettre une faute qui pourrait lui coűter de nombreuses voix. La rumeur affirme qu’il roule en Mercedes ! Une voiture européenne, qui plus est produite par un pays Airbus ! Sans doute, depuis cette révélation, s’est-il précipité vers le concessionnaire Toyota le plus proche.
Pierre Sparaco - AeroMorning