Quels vœux pour 2008 ?
Par http://corinnelepage.hautetfort.com/
Au-delà des vœux individuels, de santé, de joies, de succès et de chaleur que je me permets de formuler à l’intention de chacun de nos auditeurs, je souhaiterai formuler des vœux collectifs
à deux niveaux, qui du reste se rejoignent.
Le premier est celui du sens des responsabilités.
Face aux périls qui nous menacent , qu’il s’agisse de la violence à commencer celle du terrorisme islamiste, ou celui du risque de disparition de notre espèce, du fait du changement
climatique et des risques sanitaires, il est plus que temps que le cynisme ambiant, l’égoïsme à courte vue et un prétendu sens de l’intérêt, s’effacent devant le sens des responsabilité,
l’esprit de solidarité et la capacité à comprendre que la hiérarchie des priorités a changé et que sans approche globale des problèmes, nous ne pouvons que marquer contre notre propre
camp.
Le second est davantage hexagonal.
Rêvons que 10 millions de Français écoutent France Culture et seulement 1 million regardent TF1 ! Notre pays en serait évidemment transformé. En effet, ce qui fait notre richesse
collective, notre génie national, c’est-à-dire une forme d’esprit critique et d’idéalisme universaliste est en voie de disparition, sous l’effet conjugué du fameux « panem et
circenses » remis à la sauce du barnum médiatique contemporain, qui sait si bien décerveler et faire consommer n’importe quoi, qu’il s’agisse de produits commerciaux ou politiques.
· Les jeux, tout d’abord, qui servent également à masquer le prix croissant du pain, sont devenus le « divertissement » permanent, entre téléréalité, peopolisation, et faits divers, tous
destinés à nous écarter de toute réflexion critique, toute capacité de synthèse. L’infantilisation du consommateur-citoyen passe précisément par cette télévision qui favorise la facilité,
la simplicité qui devient du simplisme lorsqu’il s‘agit de faire le point d’un sujet compliqué en 1minute 30, et la rapidité. Tout, tout de suite et facilement ! Le désir de l’enfant !
L’antithèse du réel ! Si seulement, les médias étaient utilisés pour développer l’esprit critique, former et non souvent désinformer, aider nos concitoyens à prendre la mesure et la
compréhension du monde dans lequel ils vivent. Alors, nous oublierions une relative passivité qui conduisait le Général de Gaulle à nous comparer à des veaux, en espérant que la
situation ne s’est pas encore dégradée depuis la fin des années 60
· Le pain, ou encore ce qui devrait être les conditions de vie, et qui souffre d’une double dérive, dans la mesure précisément où des caisses vides d’une part, une misère croissante et
visible d’autre part font douter de la capacité de l’Etat à garantir le pain. Première dérive qui, pour cacher la croissance des inégalités économiques et sociales, entretient, grâce à la
publicité, des désirs qui conduisent immanquablement à la frustration, au surendettement et à la désespérance chère à notre très médiatique président. Seconde dérive qui confond
consommation et bien-être, plus et mieux et poursuit le mythe d’une croissance reposant sur des ressources infinies incompatibles avec les limites physiques de la planète.
Comment aider nos concitoyens à ne plus se laisser ainsi manipuler, à pouvoir réfléchir, à se faire un devoir de s’informer et à développer leur esprit critique ? Le succès de
cet objectif permettrait une transformation en profondeur notre pays. La société de la connaissance, à laquelle nous aspirons et qui nécessite un esprit en éveil et inventif, pourrait
devenir une réalité. Nos enfants et adolescents, qui passent des heures devant des émissions qui cultivent la violence, l’abêtissement et l’égoïsme, apprendraient, découvriraient le monde
et ses réalités, partageraient d’autres valeurs que celles de l’argent qui achète tout et de la force virile qui l’emporte toujours. Notre Education Nationale cesserait alors peut-être
d’être à la traîne. La presse écrite, qui joue un rôle essentiel dans la formation de l’opinion, retrouverait sans doute des lecteurs, avides de se faire une opinion et de ne pas être
passifs devant les événements. Nos institutions ne pourraient plus tabler sur des citoyens vélléitaires, acceptant la disparition de tout contre-pouvoir et qui exigeraient une participation
et une concertation qui ne soit pas de façade. Nous nous réapproprierions alors nos valeurs, sans bien sûr oublier les efforts de réforme que nous avons à faire, mais sans pour autant
perdre notre âme, en confondant l’imitation des autres, pas du reste dans ce qu’ils ont de meilleur, et l’adaptation de notre propre modèle.
Comment y parvenir ? Comment sortir de la relative impuissance de tous ceux qui partagent l’analyse qui précède, mais qui, du fait de leur atomisation, ne peuvent agir ? D’abord, en
exerçant pleinement leur droit d’expression en manifestant massivement auprès des antennes leur opinion et en le faisant savoir. En cherchant à rétablir le contact avec les journalistes,
qui ont besoin de nous comme nous avons besoin d’eux. Ils sont victimes, pour l’immense majorité d’entre eux, du système et la liberté d’informer doit être défendue par les citoyens eux
même, car c’est de leur propre liberté qu’il s’agit. L’affaire Dasquié constitue à cet égard un précédent redoutable. En faisant donc des questions d’information, de d’indépendance des
médias, du pouvoir financier comme du pouvoir politique, du respect du pluralisme, de la déontologie de la publicité, une question centrale du débat politique. Alors pourrons nous
reconquérir notre liberté de pensée qui ne peut s’exercer que pour autant qu’elle s’appuie sur des données sûres.
N’oublions jamais que la démocratie ne s’use que si on ne s’en sert pas !
Chronique France-Culture du 31 décembre 2007