Probablement à la suite d’un vague ennui et du besoin de faire parler d’eux, un frétillant groupe de députés a jugé indispensable d’amener sur la table une nouvelle polémique dont la France ne pouvait plus se passer, tant son actualité politique, policée et bien tenue, devait se renouveler. Or donc, les membres du groupe de réflexion des Elus Santé Publique et Territoires (ESPT) proposent l’expérimentation des centres de consommation de drogue. Manifestement, la cafétéria de l’Assemblée ne leur suffit plus.
L’idée générale est la suivante : pour éviter que les toxicomanes divers et variés de la République ne tombent bêtement malades en se picquousant ou, pire, risquent l’overdose et une mort pénible sur le macadam, les députés du groupe ESPT proposent d’organiser des salles de consommation dans lesquelles le drogué peut se faire assister et conseiller par du personnel qualifié ; en somme, le drogodrome devient possible.
Comme bien souvent dans les idées progressistes qui tournent au cauchemar hideux, tout commence par une bonne intention un tantinet dégoulinante et l’utilisation assez grossière mais terriblement efficace de la force publique et de la collectivité pour faire passer tout ça comme une lettre à la Poste. (Enfin, mieux qu’une lettre à la Poste, le service public français correspondant n’étant plus trop à la hauteur actuellement.)
Une fois posé les bases de leur action de gentillesse impérative, la polémique s’est rapidement enclenchée : d’un côté, les tenants du « pour », dans lesquels toute une brochette de Socialistes Officiels (comme par hasard), dont les arguments sont, essentiellement, que cet encadrement permet de réduire la consommation observée et aussi les effets secondaires indésirables (maladies, overdoses, violence, etc…).
De l’autre, les tenants du « contre » dont l’argument essentiel se résume à ne pas vouloir cautionner la drogue ou le vice que constitue son usage : ouvrir de telles salles, ce serait comme une publicité de la République sur le mode « Vous pouvez vous droguer, et on vous aide à le faire correctement ».
En réalité, ces deux arguments, aussi pondérés et réfléchis soient-ils, ne sont que des résultantes d’un biais initial, qui consiste à imaginer qu’il existe bel et bien une position que l’Etat, la force publique, doit prendre officiellement, et cette position sera soit pilotée par le désir d’amoindrir les effets délétères de la drogue sur la société, soit par la nécessité de marquer une interdiction.
On pourrait aussi noter que, aussi posés soient les raisonnements tenus, les vices ne sont pas des crimes : qu’on cautionne ou pas le fait de se droguer, qu’on trouve cela immoral ou pas, il n’en reste pas moins que l’acte de se droguer est un acte éminemment personnel, qui ne regarde finalement que le drogué.
Et c’est là que ça devient croustillant puisque les tenants du pour et du contre hurleront à la lecture de cette dernière phrase.
Les « pour » s’écrieront, l’oeil injecté de sang et la lippe déformée par la rage de l’amour qui déborde d’eux et rêve de s’exprimer en mettant en place ces salles de shoot : « Mais vous ne vous rendez pas compte ! Ces drogués causent un dommage à la société toute entière et à eux-mêmes, on ne peut pas laisser faire ça ».
Quant aux tenants du « contre », l’oeil fou et la bave montant aux lèvres, ils s’égosilleront sur le mode « Mais laisser les drogués se droguer, c’est immoral, et ce faisant, les dégâts qu’ils se causent à eux-mêmes provoquent des dégâts à toute la société, et on ne peut pas laisser faire ça ! »
(oui, je sais, je caricature un peu, ils n'ont pas tous la bave aux lèvres, hein)
Eh oui : dans ces deux cas, beaucoup de tenants du « pour » et du « contre » proposeront, finalement, d’intervenir massivement : soit positivement, en accompagnant le drogué dans ses paradis artificiel Norme NF, garantie bio et 100% recyclable, soit négativement en le pourchassant dans sa pratique.
Et le problème, dans notre société si engluée dans ces habitudes d’interventions, c’est que l’autre solution, de ne pas intervenir et de renvoyer le drogué, les tenants du pour, les tenants du contre, à leurs responsabilités respectives, cette solution … n’existe plus ou, plutôt, ne veut plus être envisagée.
En effet, si l’on regarde les choses calmement, l’installation d’une salle de shoot, c’est, très concrètement, l’utilisation des moyens publics, et donc des deniers issus des gens qui sont contre, dans le but de promouvoir ces salles et de calmer les pulsions humanitaires des gens qui sont pour. C’est, ni plus ni moins, du détournement de moralité.
Autrement dit, le problème de la drogue est un problème de société parce que, précisément, c’est la société tout entière, par l’ensemble des collectivisations qu’on a mises en place, qui doit payer les pots cassés consécutifs aux choix personnels des toxicomanes.
En termes socialistes, on a privatisé les « profits » de la drogue, et collectivisé les pertes : la vente de drogue étant interdite, les tarifs sont prohibitifs. Ces tarifs étant élevés, la paupérisation des drogués est souvent rapide, et la violence autour du milieu (des drogués et des dealers) importante. Les coûts de lutte contre le trafic de drogue deviennent stratosphérique avec des résultats maigres. Les coûts sanitaires de gestion des drogués sont, de surcroît, là encore collectivisés : tout le monde paye, finalement, pour les traitements d’overdose ou de désintoxication. Mieux : si l’on autorise l’ouverture de salles de shoot sur les motifs humanitaires, on continue sur la pente plus que glissante de la socialisation effective du vice et sur la collectivisation des coûts et pertes engendrés par cette socialisation.
En fait, la dépénalisation de la drogue et l’ouverture des salles de shoot sont des problèmes connexes qui posent deux problèmes : l’un de droit, l’autre d’éthique.
La dépénalisation a déjà été tentée, et les effets sont connus (fin de la prohibition aux US par exemple, dépénalisation de certaines drogues dans certains pays, soit déjà faite, soit en cours de réalisation comme au Mexique). En général, l’argent qui n’est plus dépensé pour lutter contre les trafics afférents peut largement être utilisée en prévention et en cures. Cyniquement, l’Etat peut même tirer d’assez gros bénéfice en devenant le principal voire unique dealer – notez qu’ensuite, ce sera les libéraux qu’on taxera de cynisme et les capitalistes de toujours vouloir tirer profit du malheur des autres ; les socialistes, finalement toujours honteux d’eux-mêmes, trouveront toujours dans ces derniers les boucs-émissaires pratiques de leur morale lamentable.
L’autre problème est, comme je le mentionnais plus tôt, éthique, puisqu’il oblige tout le monde à participer à l’opération, ceux qui sont contre comme les autres. Il y a difficilement plus odieux comme manière de procéder puisque cela revient à violer en toute décontraction les principes moraux des uns pour satisfaire les vices des autres.
En conclusion, ces députés seraient nettement plus avertis de réclamer la dépénalisation des drogues plutôt que l’ouverture des salles, et le renvoi systématique des drogués à leur responsabilité personnelle : non, la société n’est pas responsable de votre alcoolisme, de votre héroïnomanie, de votre cocaïnomanie, de vos pulsions à vous jeter dans les casinos, au PMU ou sur internet pour dépenser votre salaire ou de votre besoin compulsif d’acheter tout ce que vous voyez quand il y a des soldes. Vous, individu adulte, l’êtes entièrement.
Et ces députés, s’ils veulent, à titre personnel ou en association, sur leurs fonds, aider ces drogués, sont évidemment les bienvenus : la vraie solidarité, la charité en réalité, est ici.
L’humanisme n’a jamais consisté à violer les principes moraux des uns pour asseoir ses propres principes moraux, et encore moins à envoyer la facture de l’opération à tout le monde avec un grand sourire.