Trois mois plus tard, le ministre de la communication, Frédéric Mitterrand, contredisait son patron en indiquant dans un entretien aux Echos que «le possible rachat (du Parisien par Serge Dassault) est un sujet économique, nullement un sujet politique».
En réalité, Serge Dassault n’est que l’un des nombreux investisseurs qui se sont manifestés quand le groupe Amaury a mandaté la banque Rothschild pour vendre la SNC Le Parisien (Le Parisien/Aujourd’hui en France), la SDVP (la société de portage du quotidien en Ile-de-France), l’imprimerie (vieillissante) de Saint-Ouen et la régie publicitaire du Parisien pour 200 millions d’euros.
Le groupe Ebra, qui contrôle la plupart des journaux de l’Est du pays, les fonds d’investissement de Xavier Marin (conseillés par l’ancien patron de TF1 Patrick Le Lay), Axel Springer, éditeur de Bild en Allemagne, Rizzoli, celui du Corriere della Sera en Italie, ou encore Vincent Bolloré (Havas, Direct 8…), ont aussi manifesté leur intérêt avec des offres s’échelonnant entre 50 millions et 120 millions. Mais Dassault est le mieux-disant, qui a fait une offre à 170 millions. Le 17 septembre, les directions sont entrées en pourparlers, mais chez Amaury, on dément que ces négociations soient exclusives – histoire de faire monter les enchères – et on temporise: aucune décision n’aura lieu «avant la Toussaint».
L’argent ne devrait pourtant pas être un problème pour Serge Dassault puisque l’Etat vient de valider l’achat de onze
nouveaux Rafale pour 800 millions d’euros. «C’est un mélange des genres habituel dans le sarkozysme, estime Patrick Bloche, secrétaire national du Parti socialiste chargé des
médias. Deux grands quotidiens nationaux d’information se trouveraient alors dans les mains d’un seul homme
dont le groupe vit des commandes de l’Etat. C’est un enjeu majeur, à cause de l’impact d’un grand journal populaire comme Le Parisien sur l’opinion. Nous craignons que la rédaction
subisse quotidiennement la pression pour relayer la communication du gouvernement comme le fait Le Figaro, qui publie des sondages payés par l’Elysée, par exemple.»
Si l’on examine la loi dite Hersant qui réglemente la concentration des titres dans la presse d’information politique et générale, l’opération n’aurait rien d’illégal: un groupe ne peut pas dépasser un seuil de 30% de la diffusion totale (presse régionale et nationale confondue). Or Le Figaro affiche une diffusion totale de 330.000 exemplaires par numéro et La Parisien avec Aujourd’hui en France de 487.000, soit à peine plus de 11% des 7 millions de quotidiens vendus.
Faut-il changer la loi? «En 2009, j’étais rapporteur d’une proposition de loi (rejetée) qui voulait interdire la prise de contrôle d’un média par des entreprises “dont l’activité est significativement assurée par l’exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l’Etat”, rappelle Patrick Bloche. Il faudrait remettre à plat la législation sur la concentration des médias, notamment grâce à un observatoire indépendant qui mesure l’audience des médias et propose de nouveaux critères pour déterminer les excès», soutient-il.
Les villepinistes sont également passés à l’action en déposant une proposition de loi en ce sens. Déposée par François Goulard, cosignée par Jean-Pierre Grand, Daniel Garrigue, Jacques Le Guen et Marie-Anne Montchamp, elle propose que «pour l’appréciation du seuil (de 30%) une publication quotidienne comportant une rédaction jointe d’une édition nationale et d’une édition régionale est considérée à la fois comme une publication nationale et comme une publication régionale, pour la totalité de sa diffusion».
Le Parisien-Aujourd’hui et Le Figaro frôleraient alors les 50% de la diffusion de la presse nationale et leur alliance serait donc illégale. Mais il faudrait pour cela que la proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et qu’il se trouve une majorité de parlementaires pour la voter, ce qui semble pour le moins improbable.
Une seule solution: la concentration
Patrick Eveno, historien de la presse qui dirigeait le groupe de travail sur cette question lors des états généraux de la
presse écrite, pense au contraire que la concentration ne nuit pas au pluralisme: «Les quotidiens isolés ne peuvent pas survivre. Il faut donc renforcer les groupes de presse en favorisant
la concentration. Aujourd’hui, la presse écrite n’a plus le monopole de l’information qui vient de plus en plus des dizaines de chaînes de télé, des radios, des sites Web. Dans ces conditions,
l’essentiel, c’est plutôt d’assurer la survie des journaux.»
L’engagement politique de Serge Dassault comme son mandat de sénateur UMP de l’Essonne et celui de maire par procuration de Corbeil (l’élection de son remplaçant vient d’être annulé par le Conseil d’Etat) risque de poser plus de problème. «Il sera impossible de travailler pour l’édition Essonne, si Serge Dassault devient le propriétaire du Parisien, estime Sébastien Ramnoux, membre du bureau de la Société des journalistes du quotidien. C’est pour cela que, même si nous n’avons pas de pouvoir, nous avons tenu à rappeler quelques principes qui ont fait le succès du journal ces vingt dernières années: nous sommes un quotidien dénué d’esprit partisan. Quel que soit le repreneur, le titre ne peut être au service d’un homme, d’un clan, d’une entreprise ou d’un parti politique.»
«Evidemment, c’est dans l’Essonne que l’on regardera le plus près les effets d’une reprise du journal par Dassault et là-dessus que l’on jugera son emprise sur la rédaction, abonde Patrick Eveno. Le problème est très différent de celui que pose sa présence au Figaro. Le Figaro a toujours été de droite, avec ou sans Dassault. Si Le Parisien libéré était très marqué à droite du temps d’Emilien Amaury, il s’est complètement transformé avec son successeur, Philippe Amaury, pour devenir un grand régional populaire. Et il applique les mêmes méthodes que tous les journaux régionaux pour préserver son monopole local: il évite plus que tout de choquer une partie de son lectorat, il ne prend aucune position tranchée, il tape – et encore mollement – un coup à gauche, un coup à droite. Si Dassault veut en faire un journal sarkozyste, il le mènera à sa perte, car la moitié de son lectorat risque de le quitter.»
Par Vincent Truffy pour « Médiapart »
merci à : Section du Parti socialiste de l'île de ré
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