Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Le décor est planté - l'arnaque de la dette, allons un peu plus dans le détail. Ou plutôt, attaquons l'obstacle par la face démographique et vous verrez que nous atteindrons le même sommet que par la face monétaire : les parts du profit et des salaires dans le PIB.
Je vous conseille d'écouter cette conférence de Bernard Friot, sur l'enjeu des retraites. Encore faut-il avoir 1h30 à y consacrer, alors je m'y colle, je résume.
L'enjeu des retraites - Bernard FRIOT - Vannes le 11/6/2010
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Quel est l'argumentaire à déconstruire ?
1/ Il y a un problème démographique
2/ Il entraîne un déficit
3/ Il faut donc travailler plus longtemps
En route...
Le problème démographiqueIl y avait 4 actifs pour 1 retraité il y a 40 ans, il y en a 2 aujourd'hui, il y en aura 1 en 2050. Catastrophe ! Catastrophe ?
Aujourd'hui, nous consacrons 13% du PIB aux retraités. Ce sont eux qui produisent la valeur de ces 13% ! Ces 13% correspondent à la reconnaissance comme travail de l'activité des retraités, c'est plutôt un progrès social. Ce n'est pas 13% de la valeur produite par les salariés qui s'envole.
2 actifs aujourd'hui produisent autant que 4 il y a 40 ans. Friot rappelle qu'au début du siècle, il y avait 30% d'agriculteurs, il y en a 3% aujourd'hui et ce n'est pas la famine. Entre les deux, il y a eu des gains de productivité ! Note : ce qui n'est pas nécessairement positif, j'y reviendrai bientôt en parlant du livre de Claude et Lydia Bourguignon.
Conclusion : plus il y a de retraités, plus leur part dans le travail augmente et il est légitime et non pas problématique que leur part dans le salaire global augmente.
Le déficit PIB 1970 : 1000 milliards € - 50 M€ consacrés aux retraites (5%) PIB 2010 : 2000 milliards € - 260 M€ consacrés aux retraites (13%) PIB 2050 : 4000 milliards €
Admettons, non pas que nous restions sur la situation d'aujourd'hui, mais que nous revenions sur toutes les réformes depuis 1987. Les retraites coûteraient, en 2050, 800 M€, soit 20% du PIB. Comment est-ce présenté ? "Catastrophe, le coût va tripler en milliards d'euros, on va dans le mur". Il serait bien plus logique de parler en progression de pourcentage, puisque le PIB va doubler. Mais ça ferait moins peur, à juste titre. On se demande bien où est le problème puisque, les 800 M€ mis de côté, il restera alors 3200 M€ pour : les salaires, les investissements, les profits (inutiles). C'est bien plus que ce dont nous disposons aujourd'hui.
Le PIB augmente du fait des gains de productivité, mais aussi parce qu'on attribue de la valeur à des activités (notamment des retraités) qui n'en avaient pas jusque là et n'étaient pas salariées. Un retraité bénévole dans une association, qui cultive des légumes, garde les petits-enfants, que sais-je ? travaille, mais n'est pas employé. C'est plutôt un progrès de le payer pour cela, d'autant plus que les retraités sont certainement plus heureux de leur travail que la plupart des employés. En 2050, la moitié de la société sera payée et sans emploi : "on devrait plutôt sauter de joie".
Il faut travailler plus longtempsCette réforme ne nous fera pas travailler plus longtemps, pas plus que les précédentes qui ont laissé l'âge moyen de fin d'activité à 58 ans et 9 mois. C'est logique puisque la durée de travail dépend des employeurs, pas des employés. En revanche, la durée moyenne de carrière diminue. On travaille moins pour gagner plus. Ces réformes ne créent que des distorsions entre ce raccourcissement et la prise de retraite (61 ans environ) retardée pour éviter la décote en cas de "carrière incomplète" (les femmes surtout sont concernées).
En réalité, l'objectif de ces réformes est de faire pression sur les salaires. Les vieux sont fragilisés. On parle de "séniors" pour euphémiser et rendre la chose acceptable. Vont apparaître des "emplois séniors" sans cotisation sociale [j'ajoute un commentaire : les charges patronales ne sont jamais payées par l'entreprise, mais par le salarié, qui bénéficierait d'un salaire plus important sans elles], sur le modèle des "emplois jeunes", avec la même rhétorique.
Qui faisait pression sur les salaires, jusqu'aux années 70 ? Les vieux (c'étaient eux qui occupaient les "petits boulots"), l'exode rural, les femmes, l'immigration. A partir de là, on a utilisé "les jeunes", catégorie inventée à l'époque. Depuis la guerre, le salaire à l'embauche augmentait continuellement. Cette politique a permis de casser cette hausse, avec des répercussions sur tous les salaires. Depuis 1975, le salaire d'embauche a été divisé par 2. Logiquement, la part des salaires dans le PIB passe dans le même temps de 70% à 60%. Aujourd'hui, si le PIB croît de 1,5%, seuls 0,5% vont aux salaires, le reste au profit.
Pour faire passer la chose, on a versé des larmes de crocodile sur les pauvres jeunes au chômage qu'il fallait aider, avec des emplois-nigauds. Et en effet, le taux de chômage des 18-25 ans est de 25%. Oui, mais, il n'y a que 30% des 18-25 ans qui sont "actifs", les autres font des études, etc. Ce dont il faut parler n'est pas le taux de chômage (chômeurs/actifs) mais le poids de chômage (chômeurs/population totale), de l'ordre de 7,5% pour les 18-25 ans, soit la moyenne. Il n'y a pas de spécificité du chômage des jeunes, mais le faire croire a permis la "modération des salaires" (toujours ce langage). Même ritournelle à venir pour les séniors.
Deux points encore à liquider...
Le plein-emploiOn pense aujourd'hui qu'on a connu le plein-emploi et que ça ira de mal en pis. Mais le taux d'emploi des 20-60 ans est de 76% aujourd'hui, il était de 67% en 1962 ! Ce qu'on appelle le plein-emploi était le plein-emploi... des hommes. La progression vers le plein-emploi est au contraire gigantesque. La précarité aussi était plus forte dans les années 50, mais il n'y avait pas de norme pour mesurer. Friot : "le thermomètre n'a jamais créé la fièvre".
Deux catégories échappent au marché du travail : les fonctionnaires, qui ont un grade, une qualification, et non pas un emploi (il n'y a donc pas de chômage dans la fonction publique, pour le moment...) ; et, les retraités, payés à vie. Ces deux catégories sont soupçonnées d'abriter des fainéants. Oui, sans doute, mais ne rien faire est certainement moins nocif que beaucoup d'emplois... La mission des retraités serait d'inventer de nouveaux chemins de travail libérés de l'emploi.
L'investissementLa retraite, c'est un investissement sans investisseurs. Même le FMI estime que les marchés financiers pompent plus d'argent qu'ils n'investissent. Les financiers sont des prédateurs. Friot de rappeler comment nous en parlons : "il faut apaiser les marchés", "les marchés sont nerveux", "il faut faire des sacrifices", et de démasquer la vraie religion du temps, une religion païenne autour des marchés. Les investisseurs volent l'argent plus qu'ils ne l'apportent, et en même temps nous aliènent par le marché du travail. Leur toxicité est évidente aux yeux de plus en plus de monde et il va falloir y apporter une réponse positive. La retraite, justement, est une ponction de valeur produite qui échappera aux profits pour aller vers des caisses qui investissent, elles, et sans épargne ni aucun taux d'intérêt. C'est une réponse. Faute de quoi, le champ sera libre pour l'extrême droite.
Pour finir, un résumé humoristique du même raisonnement :
Inculture - Les retraites
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Et le bonus de l'article, cette chanson d'Oncle Bernard :
Bernard Maris - La messe du CAC
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