Les Britanniques donnent leur langue à Babel

Publié le 26 septembre 2010 par Desfraises


Certains savent mon implication dans le projet E-Blogs (revue de blogs européenne financée par le portail Wikio). Et je remercie ma prof d’anglais pour la passion qu’elle a su me transmettre. Elle s’appelle Françoise Bélières. Aujourd’hui amis, nous devisons régulièrement à propos d’anglais, du monde enseignant comme il va, de notre indéfectible enthousiasme pour une vie empreinte de joie et nous disons souvent merde aux pisse-froid, aux rouspéteurs professionnels, aux gens qui râlent au lieu d’agir, qui crachent dans la soupe, qui reprochent à l'époque, la société, leur propre médiocrité, mais je m’égare (et disant cela, je sens déjà l’hostilité dans le cœur de deux ou trois lecteurs). Sur cet horizon anglophone, je convoque aujourd'hui Anna Raccoon, blogueuse influente, n°10 dans sa catégorie Outre-Manche, qui s’est enamourachée d’E-Blogs. Rarement tendre envers ses amis expatriés, Anna blogue, vit, respire, mange en anglais. Mais avec une immense empathie pour la France et les Français. Je vous parlerai un autre jour de cette extraordinaire rencontre au croisement de deux ruelles périgourdines (elle l'a fait, mais en anglais).
Aujourd’hui, c’est la journée internationale du blogging multilingue. Mais plus qu’un long discours, je vous propose une promenade sur la prose d’Anna Raton-laveur 1. Un billet traduit par votre serviteur. Et pour le titre ci-haut, je plaide coupable.
Mais lisez donc !

Vers la fin du règne de la Reine Victoria, l'empire britannique s’étendait sur un cinquième de la surface de la terre, et presque un quart de la population mondiale, du moins, en théorie, jura allégeance à notre monarque et à la “Mère Patrie”.
La fonction publique qui administrait ce vaste territoire parlait anglais et tous ceux qui aspiraient à un poste officiel exigèrent d’apprendre l'anglais. La plupart d'entre nous avaient déjà vu le jour quand la carte du monde était encore largement de couleur rouge [c'est ainsi que les cartes d'alors représentaient l'empire britannique, Ndb 2]. Et nous grandîmes avec l’idée que d'autres personnes feraient l'effort d'apprendre notre langue. Parler une langue étrangère signifiait une déférence à une puissance dominante — pas une attitude que les Britanniques adoptent facilement.
Grâce à Internet, l’information circula ensuite sur une échelle jusque-là inimaginable ; mais si vous regardez les blogs, en particulier les blogs politiques, vous trouverez de nombreux articles érudits et néanmoins clairs sur la politique australienne, et un déferlement de commentaires sur la politique américaine, tirés d’articles et d’informations publiés en anglais.
Pourtant, l'anglais est la langue maternelle de seulement 7 % de la population mondiale. 75 % du monde ne parlent pas un mot d’anglais. Lorsque nous écrivons ou lisons en anglais, nous nous cantonnons à un quart seulement de l'information, et nous communiquons nos idées à un quart seulement du monde.
Il est extraordinaire que nous acceptions que nos jeunes meurent en Afghanistan pour faire respecter l'idée de la démocratie, mais essayer de transmettre l'idée de la démocratie en des termes qu’un blogueur afghan pourrait comprendre nous semble bien étrange. Faire l’effort d’être compris en d’autres termes que les nôtres ne nous traverse même pas l’esprit.
C’est aujourd'hui la Journée Internationale du Blogging Multilingue, une journée faisant partie d'une série d'initiatives organisées par la Commission européenne à l'occasion de la Journée européenne des langues. Même le ministère des Affaires étrangères s'intéresse à la chose — ils vont aujourd'hui propulser des billets en français, en tagalog, en espagnol, en ukrainien et en arabe.
Il n'est pas étonnant que le ministère des Affaires étrangères soit de la partie ; nous avons beau râler parce que nous sommes gouvernés par une "puissance étrangère" à Bruxelles, nous [Britanniques, Ndb], qui sommes 12% de l'Europe, nous participons assez peu à cette gouvernance. Un petit 1,8% du personnel de la Commission européenne est britannique.
Pourquoi ? Les concours d’entrée aux postes de fonctionnaires de l’Union européenne exigent que le document soit rempli dans une seconde langue. Peu importe la seconde langue ; ce peut être n'importe quelle langue parmi la tour de Babel des langues parlées en Europe, et c’est ce qui a effectivement tenu les Britanniques à l’écart de plusieurs milliers d'emplois disponibles dans l'UE. La Grande-Bretagne a récemment initié un changement en force dans ces règles, baissant la barre selon laquelle les candidats devaient être au moins bilingue, parce que ça n’était pas à notre portée.
Je suis une partisane enthousiaste du projet E-Blogs. E-Blogs prend vos mots, vos idées, et les fait traduire en français, en allemand, en italien et en espagnol pour vous permettre de communiquer avec vos proches voisins. Ils prennent également des billets de blogs écrits dans ces langues, les traduit et les publie en anglais – pour que vous puissiez ainsi vous intéresser aux événements politiques de ces pays sans parler un mot de leur langue. C'est une merveilleuse occasion d'élargir vos horizons, même si vous avez été éduqué sous un gouvernement travailliste qui a supprimé les langues du programme de base, coupant la branche de l’arbre Europe sur laquelle vous étiez assis. Nul besoin d'être pro-européen pour saisir l’intérêt d'être en mesure de communiquer avec vos voisins les plus proches et ne plus vous limiter à une vision anglo-américaine du monde.
Contactez Laurent chez E-Blogs, montrez-lui les articles qui peuvent, selon vous, être appréciés par ceux qui ne parlent pas votre langue. Ou cliquez sur E-blogs et voyez ce que d'autres disent dans les langues que vous ne comprenez pas. Mieux encore : sur Multi-lingual Blogging Day, faites l'effort de livrer un article dans une autre langue, et accrochez-lui le hashtag #babel sur Twitter, la réponse pourrait vous étonner.
Si vous vous en moquez, essayez toujours d’écrire un billet intitulé "Qu'est-ce que ça peut foutre 3" dans une autre langue – au moins, on comprendra mieux votre volonté à rester confiné dans vos compétences linguistiques.
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Lire le billet original sur le blog d'http://www.annaraccoon.com/politics/tongue%E2%80%93tied-in-tavistock/!
Ou sur E-Blogs.UK
Mettez-vous à l'italien
A l'allemand
A l'espagnol
Et si vous avez des velléités bloguesques et/ou européennes, envoyez un pneumatique 4 à Cathy Nivez
Une de nos précieuses petites mains en parle, Béatrice, blogueuse et traductrice pour E-Blogs, dénichée sur Twitter. Absolument !
Notes :
Illustration : La Tour de Babel (1563, Vienne, Autriche) par Pieter Brueghel
Merci à Deef pour ses yeux de lynx. (Les miens ont roulé sous l'armoire, vite rejoints par des gloutons de poussière 5).
1 Comme l'indique la capture d'écran (ici), "raccoon" signifie "raton-laveur"
2 Ndb : note du blogueur
3 En français dans le texte
4 Quoi, c'est quoi un "pneumatique" ? Frottez donc votre souris ici, et vous saurez. On y apprend que le système est encore en service à l'Assemblée nationale. Sûrement pour acheminer les cigares du député Christian Leblanc.
5 Oh, ça va ! Je sais que c'est "mouton", mais si j'ai envie d'écrire glouton, j'écris glouton, bouffon !