J'en avais parlé à la fin de ce billet. Depuis le printemps dernier, ma fille aînée, J. s'est mise à avoir des angoisses terribles au moment de s'endormir. Elle a peur que son père, moi ou elle-même meurt pendant la nuit. Elle va au lit tôt, vers 20H mais tourne, retourne et retourne dans son lit en focalisant sur cette angoisse qui la ronge. Si je la laisse lire, tant que son esprit est dans l'histoire qu'elle a sous les yeux, tout va bien, mais dès qu'elle ferme les yeux, c'est reparti. Elle ne trouve le sommeil que plus tard mais le matin, elle est fatiguée pour aller en classe et je n'aime pas la voir aussi anxieuse le soir.
En mai, je l'ai emmenée voir une psy du CLB. Je voulais savoir si ça avait un rapport avec mon cancer. La psy nous a écoutées, surtout moi mais elle aussi. Elle avait conclut qu'à 8 ans, un enfant est au stade où il peut penser lorsqu'on lui tape sur le système qu'il préférerait qu'on disparaisse et qu'il peut ensuite croire que le fait de penser à notre mort pourrait la déclencher et qu'il se sent coupable de ses pensées et angoissé à l'idée que ça peut survenir à cause de ses pensées. Elle avait quand même demandé à nous revoir trois mois après.
J'ai laissé passé les vacances et j'avais rendez-vous mercredi dernier avec cette psy.
Entre-temps, j'ai pu observer ma fille et être convaincue que son angoisse ne venait pas de pensées coupables mais d'une véritable peur qu'on meurt pendant la nuit, non pas par sa faute mais pour x raison. J'ai aussi réalisé qu'elle n'avait ces angoisses que dans sa chambre, à Lyon et que jamais elle n'avait de problème pour s'endormir en vacances ou à la montagne, le week-end. J'ai d'abord pensé que l'école, le stress qui en résulte pouvait accentuer ses angoisses. Mais lorsque nous sommes repassés par Lyon pendant les grandes vacances, à nouveau, elle avait ces angoisses, toujours cette peur qu'on meurt pendant la nuit alors qu'il n'y avait pas d'école. J'ai donc pris conscience que sa chambre, à Lyon, était en cause et plus exactement le fait de dormir seule. En vacances, à la montagne, elle dort avec sa sœur. La seule différence, à Lyon, est qu'elle est seule dans sa chambre. A la rentrée, l'angoisse est revenue, je lui ai proposé de faire dormir sa sœur sur un matelas à côté d'elle, elle était soulagée par ma proposition. A partir du moment où sa sœur s'est allongée, plus d'angoisse, elles se sont endormies toutes les deux très rapidement. J. n'avait plus besoin de tourner dans son lit, de nous appeler pour un câlin, de nous dire qu'elle avait peur, plus rien de tout ça. Sa sœur la rassurait et faisait disparaître ses angoisses.
J'ai tenté de les refaire dormir chacune dans leur chambre, l'angoisse revenait aussitôt, je remettais sa sœur avec elle ou elle dans la chambre de sa sœur. Si j'en déplace une pendant qu'elles dorment pour qu'elles soient chacune dans leur chambre, le matin, elle est en colère après nous et le soir, terrorisée à l'idée qu'on les sépare pendant leur sommeil. Elle ne me lâche pas tant que je n'ai pas promis que je ne les séparerais pas.
J'ai donc abandonné l'idée qu'elles soient plus confortables pour dormir. Sa petite sœur est toute contente d'avoir une place aussi importante pour sa grande sœur. Et le matin elles se réveillent toutes les deux sans manquer de sommeil.
Mercredi, lorsque nous avons revu la psy. J'ai raconté ces angoisses qui ne disparaissaient pas et la solution que j'avais trouvée. La psy en a reparlé avec ma fille. J'ai aussi expliqué tout ce que ma fille J. avait vécu simultanément à mon cancer.
Alors que j'avais encore des foulards sur la tête, elle faisait sa rentrée en grande section et quittait sa maîtresse adorée de moyenne section. Cette femme a eu un cancer au cerveau, comme mon père et est décédée au mois de mai suivant. Elle n'a jamais remis les pieds à l'école. Alors que je tentais de reprendre espoir en la vie, que l'angoisse se dissipait un peu sur les mois à venir, voilà qu'une personne très chère à ma fille mourrait de cette saleté. En même temps, un grand-frère de l'école qui lui aussi avait un cancer au cerveau depuis quelques années a vu son état empirer et est décédé à une semaine d'intervalle de cette maîtresse. Ma fille le connaissait, l'aimait bien, discutait avec lui. Au même moment, le cousin germain de mon mari, très proche de nous, il venait régulièrement faire des séjours chez nous et adorait mes filles, a eu un cancer du pancréas et est décédé en trois mois, au même mois, en mai 2007. A la rentrée suivante, le père de deux copines de l'école est mort en sortant de chez lui le matin, à 6H, d'une crise cardiaque, dans la rue. Toute l'école a eu vent de la nouvelle.
Ma fille, J., est extrêmement sensible. Elle absorbe tout. Mon cancer, alors qu'elle n'avait que 4 ans et demi l'a touchée de plein fouet, elle m'avait fait un dessin merveilleux, mon porte-bonheur. Un an après, toutes ces morts faisaient un peu trop écho à nos craintes. La psy pense qu'il faut du temps pour qu'elle reprenne confiance en la vie et que la mort l'effraie un peu moins. Elle va la revoir mais seule dans trois semaines. En attendant, mes petites puces vont continuer à dormir ensemble et ma plus jeune, E., continuera à faire office de doudou pour sa grande sœur mais elle a l'air d'apprécier cette situation.
Je croise les doigts pour qu'il n'y ait plus un mort dans son entourage pendant au moins les deux ans à venir, histoire que cette peur de la mort arrête de l'obséder. Il faut absolument qu'herceptine continue à faire son effet sur moi. Je n'ose même pas imaginer dans quel état elle pourrait être si c'était moi qui avait suivi. Là ça ne touche que des proches mais pas notre petite famille. Dire que ça fait 4 ans et ça ressort maintenant...
Je suis bien contente d'avoir mes deux filles. Lorsque j'ai appris ce cancer, j'ai tout de suite pensé, heureusement elles sont deux, elles peuvent s'épauler, c'est un avantage qu'elles ont, le fait d'être sœurs quoi qu'il m'arrive. J'ai vraiment apprécié lorsque mon père était malade, de faire partie d'une fratrie. C'est une force d'après moi de n'être pas enfant unique face à la maladie d'un parent, de n'être pas tout seul à tout assumer, de pouvoir s'entraider et de pouvoir échanger puisqu'on vit les mêmes angoisses. Quelques photos de leur complicité qui fait toujours chaud à mon cœur de maman...