Publier une nouvelle en numérique (épisode 2)

L'Artcamp de Dijon approche. Publier une nouvelle sous forme numérique c'est bien, mais il faut élaborer un contenu avant de passer à la phase technique, celle que nous verrons lors de la prochaine étape, c'est-à-dire transformer le fichier en ePub.

Pour l'instant, voici les premières lignes de la nouvelle qui sera publiée :

L'assistante et le Président

Juin 1989... Michel Rocard est encore premier ministre d'un roi qui pourrit de l’intérieur par le cancer qui le ronge... Gorbatchev termine un voyage triomphal en RFA. Dans quelques jours il parlera de "la maison commune européenne"... Quelques coups de masse dans un mur vieux d'à peine un quart de siècle et l'ancien monde sera liquidé, les démons de la guerre froide pétrifiés dans leur illusion de mouvement. Puis Simenon s'éteindra, épuisé d'avoir baisé plusieurs milliers de femmes et donné vie à plusieurs centaines de personnages. D’ici quelques semaines, Karajan cassera sa pipe de pantin désarticulé devenu malade à en crever. A Paris, un seul sujet de conversation : les commémorations du 14 juillet. Jessy Norman interprétera La Marseillaise, son corps de baleine glissant majestueusement sur le cristallin de sa voix de soprano. Just Enormous…

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Pascaline Lambré de la Roche rajuste la courte jupe de flanelle grise qui lui arrive à mi-cuisse, attrape le dossier qui traine sur son bureau au milieu d'un amoncellement incroyable de notes, de rapports parlementaires et autres ébauches de questions écrites. Elle ouvre la porte et s’engage dans le couloir qui mène à la salle des quatre colonnes. Elle marche avec grâce sur l’épaisse moquette, sommet d’un apprentissage familial long et minutieux de maîtrise du corps et de l'esprit, un art du maintien aristocratique qui permet de garder à distance respectable toutes les vies minuscules qu’elle croise depuis sa naissance.

Il y a quelques semaines, lorsque le Président a approuvé l’embauche de Pascaline, il s’est intéressé à son ascendance tout autant qu’à la sensualité de sa jeune silhouette. N'a-t-il pas observé davantage que ses capacités intellectuelles, les élancements de ses courbes parfaites, son regard pétillant d'intelligence et la longue finesse de ses jambes ? Fin connaisseur, il sait que la relation au plaisir de ses recrues n’a d’égal que l’antédiluvienne généalogie qui précède leur éphémère passage sur terre. Les Lambré de la Roche servent la Nation depuis si longtemps que leur attachement aux valeurs de la France ne peut éveiller aucun soupçon.

Aujourd’hui, Le Président défend un amendement. Pascaline vient à peine de terminer la rédaction de cette intervention qui débute dans une dizaine de minutes.

Le bureau de son député est dans l'enceinte même du Palais Bourbon, honneur réservé aux parlementaires les plus prestigieux. Peut-on imaginer personnage plus prestigieux qu'un ancien Président de la République ? Ces quelques bureaux situés à quelques pas de l’hémicycle, le député de base ne peut évidemment pas prétendre s’y installer. Il doit se contenter de ceux fonctionnels et modernes, mais sans âme, de la rue de l’Université. Peut-être un jour, après plusieurs réélections, plusieurs fonctions occupées, Questeur ou président de commission, il pourra rejoindre l’un de ces lieux si convoité.

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Pascaline est assistante parlementaire depuis seulement trois semaines. En apprenant la nouvelle de sa nomination, elle a acheté deux bouteilles de champagne et s’est soulée à mort avec l’amie qui l’a recommandée auprès de l’équipe du Président. Sans aucune recommandation, impossible d’occuper cette fonction enviée et pourtant si mal payée. Assistante parlementaire de l’ancien Président est une place recherchée, très recherchée. 

Il dispose toujours autour de lui de plusieurs assistantes, dont la moyenne d’âge ne dépasse pas vingt-cinq ans. Elles sont connues à l’Assemblée nationale pour leurs longues jambes et leurs corps tendus par la perfection. Lorsqu’elles passent dans un couloir, des coups de coude discrets s’échangent, des regards appuyés comme pour dire «en voilà une». Elles sortent peu de leur bureau, conscientes que tous les députés ne sont pas égaux, qu’il y a des élus appartenant à l’élite parlementaire… et puis les autres, les députés du rang. Le Président ne se mélange pas à eux. Il les méprise. Ses assistantes affectent la même distance. Elles déjeunent assez rarement au self-service de l’Assemblée nationale avec le menu fretin des autres collaborateurs d’élus. Finalement on connait assez peu de choses d’elles, à part leurs jambes musclées qui arpentent les couloirs feutrés du parlement dans un simulacre de rêve éveillé.

(à suivre)