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Les soixante ans de la revue Action Poétique à la BNF, hier, 24 septembre 2010

Par Florence Trocmé

DSC_0005 Bel ensemble de lecture hier à la BNF, site François Mitterrand
Il s’agissait de fêter le 200ème numéro et les 60 ans de la revue Action Poétique.  
C’est Henri Deluy qui en ouverture des lectures a présenté succinctement la revue, les idées qui l’animent et tout le travail accompli pendant ces soixante ans. En commençant par une boutade sur l’âge de la retraite, tout en faisant plus ou moins savoir que la revue s’arrêterait peut-être à 62 ans !  
Action poétique est sans doute, dans le monde, la seule revue entièrement consacrée à la poésie qui fasse preuve d’une telle longévité. Elle essaie d’être là d’une façon « vive et intéressante »
La revue est née à Marseille, dans les années cinquante, sur l’initiative de deux poètes, aujourd’hui un peu oubliés, Gérald Neveu et Jean Malrieu. Action poétique trouve vraiment sa voix entre les années 50 à 60. C’est le temps des guerres coloniales, Madagascar, La Tunisie, Le Maroc, l’Indochine, l’Algérie. « A Marseille on voit partir les soldats et revenir les cercueils ». Ce contexte a largement marqué la revue qui aura longtemps des positions d’extrême-gauche, en tous cas jusqu’à la « fin de nos rêves, de nos illusions ». La revue est témoin et la question qu’elle pose est de savoir ce que l’on peut faire avec l’écriture de tout ça. Henri Deluy évoque ensuite l’enfance très modeste de la plupart des fondateurs de la revue, parents ouvriers, génération suivante, donc la leur, instituteurs et le bain de langue dans lequel il a été plongé dans l’enfance, arménien, italien, espagnol, hébreu, arabe ; il voit là l’origine de son ouverture au monde, de son goût du voyage et de l’ailleurs et de l’ouverture d’Action Poétique sur toutes les poésies étrangères. En faisant l’inventaire des sommaires (lequel inventaire est paru dans le numéro 200), il a pu constater qu’il n’y a pratiquement pas un numéro d’Action Poétique sans la présence d’un ou de poètes étrangers. Sans parler des innombrables numéros consacrés à la poésie étrangère ou incluant de forts dossiers sur la poésie de tel ou tel pays. 
Il termine cette première présentation en disant que le comité de rédaction a souhaité inscrire au sommaire du numéro 200 uniquement des poètes qui n’avaient pas encore publié dans Action Poétique. Mais que les invités de cette soirée seront les témoins de son histoire. Notamment avec Andrée Barret qui fut longtemps la seule femme au comité de rédaction et en précisant que l’équipe qui aujourd’hui assure la plus grande partie du travail est formée d’Yves Boudier (présent mais qui n’interviendra pas), Liliane Giraudon et lui-même. Et que le comité actuel compte cinq femmes, dont Isabelle Garron 
 
DSC_0010 Première lecture, Esther Ferrer, qui dit d’emblée qu’elle « n’est pas poète ». Elle lira plusieurs textes autour de la question de la question, des textes vertigineux qui tournent en rond et produisent un effet très fort. « Combien de fois me suis-je posé la question comment » (variations avec , quand, pourquoi, etc.), jeu de questions incongrues avec une belle dimension d’humour : « préférez-vous l’eau de Vichy ou le régime de Vichy ? « Préférez-vous faire ma connaissance ou le plein d’essence ? », « nos ancêtres les gaulois avec ou sans filtre ? » « la puce à l’oreille ou la soupe à l’oseille ? ».  
DSC_0015 En intermède, Henri Deluy propose des chants Rom puis passe la parole à Kim Andringa, qui n’est pas poète non plus mais traductrice et  qui est la grande passeuse de la poésie néerlandaise à Action Poétique et notamment de la génération des années 50 plus ou moins affiliée au mouvement CoBrA. Elle lira notamment Lucebert.  
 
DSC_0019 Vient ensuite Patrick Beurard Valdoye qui rebondit fortement sur la question Rom, atteste de son intérêt depuis des années pour la culture romani et ouvre son intervention par un « nous sommes tous ici des roms européens ». Il explique que dans son futur livre Gadjo Migrant il sera question beaucoup de cette culture romani et de son influence dans la « culture immobilière, foncière, enfin la nôtre... ». Il y cherche à comprendre comment des artistes ont inclus dans leur pratique ces usages romani, notamment Janacek, mais aussi Freud. Il détaille le cadre du texte en prose cadencée qu’il va lire et qui tourne autour du 15 juillet 1927, date où sont prises les premières mesures de restriction de liberté de circulation des tziganes et où à Vienne, à 70 kilomètres de Brno, des ouvriers venus manifester sont massacrés par les forces de l’ordre. Ce drame aura une très grande incidence sur la pensée de Freud qui en fut bouleversé (Malaise dans la culture viendra en partie de ces évènements), mais affectera aussi profondément Canetti et Wilhelm Reich.  
Avant de commencer la lecture proprement dite, il donne ce proverbe romani « si les gens autour de toi disent d’un taureau que c’est une vache, alors dis comme eux mais surtout ne va pas le traire ». Il dit enfin qu’il a inclus, selon son habitude, des mots étrangers dans son texte, des mots volés, des mots de romani, pour se faire complice du recel dont sont constamment accusés les Roms (Poezibao espère donner prochainement un extrait de ce texte et mener un entretien infini avec Patrick Beurard Valdoye sur la question de la culture romani).  
 
DSC_0021 Isabelle Garron, qui fait partie du comité de la revue, insiste sur l’accueil qu’elle a reçu à Action Poétique, l’importance pour elle des femmes de l’équipe, notamment « Liliane, Esther, Marie, Andrée, Anne-Marie » et aussi Florence Pazzottu, avec qui elle a travaillé, un temps, parallèlement à la revue Petite. Elle a toujours apprécié le côté résistant et politique de la revue et aussi, ce qui est peut-être moins souvent mis en avant, tout son travail de réflexion sur la forme du poème et sur le vers. Elle a chois d’ouvrir son temps de lecture par deux femmes publiées par Action Poétique, Huguette Champroux et Adilia Lopes. Isabelle Garron lit ensuite une séquence de son prochain livre à paraître.  
C’est ensuite au tour du jeune poète Ali Hmiddouch, qui lira un texte DSC_0026 qui commence par la répétition de « je ne jetterai plus le bébé avec l’eau du bain », point de départ d’une série de variations virtuoses.  
DSC_0028 Puis Andrée Barret parle de son expérience de la revue à laquelle elle a collaboré jusqu’en 1968. Elle lit aussi un « Dit de la révolution » et un grand poème des années 68/70 paru dans la revue, « Moitié du ciel ».  
 
Retour d’ Henri Deluy, excellent lecteur de surcroît, qui donne des pages de son prochain livre, ponctuées par une sorte de chronométrage et Yves di Manno qui lit tous les poèmes de lui parus dans la revue (n° 123, 132 et 153/154). Yves di Manno qui dit l’importance essentielle de la revue. En quoi elle fut déterminante dans sa propre trajectoire, contre l’idéologie dominante d’une époque qui proclamait la fin, la mort, l’impossibilité de la poésie. Action Poétique a DSC_0035 montré que la poésie était encore possible et qu’il fallait reconsidérer le passé et s’ouvrir largement à l’étranger. Il évoque la belle anthologie d’Action Poétique réalisée par Pascal Boulanger et parue sous sa houlette chez Flammarion. 
La soirée se termine en beauté avec une grande dame d’Action poétique et de la poésie, Liliane Giraudon qui dit que toute sa vie aurait été indéniablement autre si elle n’était entrée à Action Poétique, si elle n’en DSC_0042 était pas sortie, pour y revenir ! Qu’elle n’aurait pas compris que quand on écrit on est avec des contemporains mais aussi avec un passé. Elle dit sa « dette absolue » envers la revue. Et elle a aussi choisi de lire Adilia Lopes (deux textes corrosifs), puis des extraits d’un livre d’elle, à sortir en avril prochain, long poème en sept chants, mélodrame intitulé L’Omelette rouge (surnom de Sarah Bernhardt), livre qui est traversé par Arno Schmidt, Louise Bourgeois, Emily Dickinson, Josée Lapeyrère et bien d’autres.... 
On ne regrettera qu’une chose, l’assistance si clairsemée pour ce moment fort entièrement consacré à un très beau combat pour la diffusion de la poésie, dans un esprit d’ouverture et avec une longévité dans la fidélité à soi-même exceptionnels.  
 
par Florence Trocmé (©) 


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