L’histoire a montré que les systèmes d’enseignement privés sont parfaitement viables, que ceux qui se trouvent en bas pourront accéder à l’enseignement dont ils ont besoin et que l’alphabétisation ne souffrira en rien de la disparition de l’éducation publique massive.
Selon la vision défendue par les partisans de l’éducation publique ou « gratuite », un système privé et payant d’enseignement ferait que beaucoup d’enfants seraient exclus du système éducatif. Et, partant, les taux d’alphabétisation diminueraient, entraînant la baisse de la croissance économique et la stagnation de la société en général. L’expérience des exemples de sociétés relativement libérales que furent la Grande-Bretagne et les États-Unis du 19e siècle montre clairement que cette assertion ne se fonde sur rien d’historique.
L’enseignement (hors études supérieures) ne devint complètement « gratuit » en Grande-Bretagne qu’à partir de 1870. Cependant, l’alphabétisation et l’assistance scolaire avait crû de manière ininterrompue durant des siècles. En 1640, l’alphabétisation à Londres parmi les hommes était de plus de 50%, et plus de 33% dans les campagnes. Et cela à base d’un système éducatif d’administration privée et payant. Tandis que la demande en éducation augmenta durant la Révolution industrielle, les écoles privées suivirent le mouvement pour satisfaire les demandes. En 1818, une personne sur quatre avait été à l’école. Dix ans plus tard seulement, c’est le double d’enfants qui assistaient aux cours. Un rapport du gouvernement (critiqué pour sous-estimer les niveaux d’assistance aux cours) signalait une augmentation de 73% du nombre d’enfants scolarisés entre 1818 et 1833. En 1833, 58% arrivaient à payer la totalité des cours et seulement 27% recevaient des bourses d’études.
Le système privé continua de se développer au Royaume-Uni. En 1851, une personne sur 8,36, sur la population totale, assistait aux cours. Dix ans plus tard, c’était une personne sur 7,7. En 1870, la nouvelle législation sur l’enseignement prévoyait des écoles « gratuites » pour l’ensemble de la population. Cependant en 1975, c’est-à-dire après 100 ans d’enseignement « gratuit », les chiffres n’avaient que peu évolué : une personne sur 6,4 citoyens était à l’école. L’investissement privé dans l’enseignement avant l’Elementary Education Act de 1870 est impressionnant si l’on tient compte d’un contexte où le salaire des enfants représentaient encore une part importante du budget moyen des familles. Si l’éducation universelle peut être considéré comme étant atteinte à partir de 90% d’assistance, on peut parfaitement soutenir que le système privé d’enseignement anglais avait atteint cet objectif en 1860, une décennie avant que l’enseignement devienne « gratuit ».
La situation aux États-Unis peut se comparer grosso modo à la britannique. En 1650, l’alphabétisation masculine était de 60%. Entre 1800 et 1840, l’alphabétisation dans les États du nord passa de 75 à 90%, et dans ceux du sud, de 60 à 81%. Ces augmentations se produisirent avant que le fameux mouvement de la Common School conduit par Horace Mann prenne force. En 1852, l’État du Massachusetts connaissait un taux d’alphabétisation de 98%. Plus d’une siècle plus tard, dans les années 1980, le bureau du sénateur Edward Kennedy rapporta que l’alphabétisation n’était plus que de 91%.
Évidemment, on peut se poser légitimement la question de savoir ce que représentait réellement l’alphabétisation au 19e siècle. Quelques anecdotes révèlent donc une population éduquée et raffinée. Dans son livre Separating School and State, Sheldon Richman offre une grande variété d’exemples de la sophistication des lecteurs américains. Common Sense de Thomas Paine se vendit à 120.000 exemplaires au sein d’une population de trois millions – l’équivalent de 10 millions d’exemplaires aujourd’hui. Spellin Bee de Noah Webster fut tiré à cinq millions en 1818. Les romans de Walter Scott se vendirent également à cinq millions d’exemplaires entre 1813 et 1823, l’équivalent actuel de 60 millions. Le dernier des Mohicansde James Fennimore Cooper se vendit également à des millions d’exemplaires. Et il faut bien comprendre que Scott et Cooper n’écrivaient pas pour les écoliers. Des étrangers visitant les États-Unis, comme Alexis de Tocqueville et Pierre du Pont étaient impressionnés par le niveau d’éducation des Américains. Le public des lecteurs de l’Angleterre victorienne était si conséquent que de nombreux livres et études universitaires de littérature sont consacrés à cette matière. De fait, l’Angleterre arriva même à l’extrême d’imposer le papier pour réprimer un public dont les élites pensaient qu’il devenait « trop intelligent ».
L’explication sous-jacente au succès des écoles privées payantes devrait être évidente pour n’importe quel étudiant d’économie : les négoces privés sont orientés vers la consommation. Le feedback des bénéfices et des pertes indiquent aux entrepreneurs quand ils satisfont les besoins des consommateurs. Les entrepreneurs qui persistent à ne pas comprendre quand les pertes s’accumulent cessent rapidement de l’être. En revanche, le bénéfice est la récompense pour les entrepreneurs qui anticipent correctement les désirs des consommateurs. Un regard rapide sur les écoles privées en fait foi lorsqu’on les voir offrir des parcours éducatifs incroyablement variés à leurs étudiants et proposer des cours du soir et spécialisés afin de satisfaire la demande croissante et spécifique des consommateurs. Le meilleur exemple en est l’université de Phœnix, en Arizona – la plus belle success story de l’histoire de l’éducation supérieure aux États-Unis. Il s’agit d’une institution entièrement privée, cotée en bourse avec une capitalisation de plus de 7 milliards de dollars, qui offre à plus de 325.000 étudiants (22 fois plus que l’université de Chicago, par exemple) répartis sur 39 États des USA une quantité phénoménale de cours (y compris par Internet) de tous types, depuis des formations en gestion sportive jusqu’à des MBA en espagnol, pour des gens qui doivent travailler pour vivre et leur permettre ainsi d’évoluer dans leur carrière ou de pouvoir accéder à un meilleur poste de travail.
Aujourd’hui, un nombre croissant de personnes considèrent que l’enseignement public est bien un échec, même chez ceux qui cherchent à simplement réorganiser le système. Et ils sont chaque fois plus nombreux les parents qui sont prêts à payer deux fois (frais scolaires directs et impôts) pour offrir à leurs enfants une éducation de meilleure qualité plutôt qu’une au rabais mais « gratuite ». C’est ainsi que l’on voit aujourd’hui à travers le monde un retour en force des écoles privées aussi bien dans les pays développés que dans le Tiers-monde (par exemple, au Pakistan et en Afghanistan, où les écoles publiques excluent les filles, ont des conditions d’hygiène horribles, n’ont pas l’électricité, etc., des parents se réunissent pour financer des écoles privées, qui donnent de meilleurs résultats pour moins cher) ou l’installation de phénomènes comme l’éducation à la maison (homeschooling). La théorie économique montre, contrairement aux assertions des défenseurs de l’école « gratuite », que les initiatives privées servent les besoins des différents consommateurs bien mieux que ministère et bureaucratie réunis. Et l’histoire, quant à elle, a démontré que les systèmes d’enseignement privés sont parfaitement viables, que ceux qui se trouvent en bas peuvent accéder à l’enseignement payant dont ils ont besoin et que l’alphabétisation ne souffrira en rien de la disparition de l’éducation publique massive.
Bibliographie :
- Lawrence A. Cremin, The American Common School : An Historic Conception, Columbia University, 1951.
- Jack High & Jerome Ellig, « The Private Supply of Education : Some Historical Evidence », The Theory of Market Failure, George Mason University Press, 1988.
- E. G. West, « Resource Allocation and Growth in Early Nineteenth Century British Education », Economic History Review, 1970 – Sheldon Richman, Separating School and State, Future of Freedom Foundation, 1994.