Les niches fiscales sont l’expression de la volonté de la puissance publique de modifier les structures de production et de consommation de manière à obtenir certains objectifs considérés comme prioritaires. Il est donc évident que les niches fiscales créent des distorsions par rapport aux structures qui existeraient naturellement en leur absence. Ceux qui sont favorables à l’interventionnisme étatique et plus particulièrement à des politiques ciblées considèrent évidemment que ces distorsions ne sont pas nocives.
Un libéral au contraire sera naturellement critique à leur égard, car il considère qu’il convient de laisser le système des prix refléter les désirs et les capacités relatives de tous les individus et qu’on obtient ainsi les structures productives qui correspondent à leurs préférences. Mais en dehors de cette critique générale, on peut adresser toutes sortes de reproches aux niches fiscales.
Si elles existent, en effet, c’est parce qu’elles sont le produit du fonctionnement du processus politique et plus précisément du clientélisme. Comme cela a été souvent souligné, il est de l’intérêt des hommes politiques de donner des avantages visibles et bien ciblés et d’en faire supporter le coût de manière diffuse. Ainsi, lorsqu’on adopte un taux plus bas pour la TVA, par exemple pour la restauration, tous ceux qui en profitent sont favorables au gouvernement qui leur donne ce privilège relatif, mais cela se traduit très probablement par un prélèvement fiscal plus élevé pour les autres.
En outre, il est impossible de déterminer exactement quels sont les vrais bénéficiaires et les vrais perdants dans ce jeu de privilèges relatifs. Ainsi, une niche fiscale concernant les acheteurs d’un logement va permettre aux vendeurs d’appartements d’augmenter les prix qu’ils proposent et de récupérer ainsi une partie de l’avantage fiscal. Les niches fiscales sont donc à l’origine d’un manque de transparence accru dans le système fiscal.
Elles accroissent, par ailleurs, le caractère arbitraire de la fiscalité et sa complexité, non seulement parce qu’elles ne concernent que certaines catégories d’activités, mais aussi parce qu’elles sont souvent soumises à des conditions d’application, telles que des plafonds d’exonération. Elles demandent donc un effort d’information aux contribuables et un coût de contrôle à l’administration fiscale.
Il existe bien des raisons de critiquer les niches fiscales et de souhaiter leur diminution ou leur disparition. Mais en sens inverse, il faut reconnaître qu’elles offrent aux contribuables, dans un des pays les plus imposés au monde, un moyen d’échapper partiellement au poids excessif des prélèvements obligatoires. De ce point de vue, elles portent bien leur nom car elles évoquent la protection qu’obtient ainsi le citoyen par rapport à l’Etat-Leviathan. Leur existence est au fond la reconnaissance implicite du caractère excessif du fardeau fiscal : elles n’existeraient pas s’il n’y avait qu’un très petit nombre d’impôts avec des taux très faibles.
On entend souvent dire que les niches fiscales « coûtent » 75 milliards à l’Etat et qu’il conviendrait donc de diminuer l’énorme cadeau ainsi fait aux contribuables. En fait, il conviendrait d’inverser le raisonnement et de dire que les niches fiscales, loin de constituer un cadeau de l’Etat, ne constituent qu’une atténuation de la spoliation fiscale. Elles permettent à certains contribuables de conserver une petite partie de ce qui leur appartient légitimement et qu’ils ont obtenu par leurs propres efforts.
C’est pourquoi, raboter les niches fiscales c’est évidemment accroître le poids, déjà trop important en France, de la fiscalité. C’est pourquoi aussi, dans la plupart des pays où l’on a diminué ou supprimé les niches fiscales, on a simultanément diminué le taux des impôts les plus spoliateurs et on a ainsi réalisé la seule politique de relance efficace.
La réforme fiscale qu’il conviendrait de faire de manière urgente en France consisterait donc à supprimer ou à raboter les niches fiscales, mais en donnant par ailleurs un énorme coup de rabot à la fiscalité, plus particulièrement en diminuant considérablement ou même en supprimant la progressivité de l’impôt sur le revenu et en supprimant des impôts aussi absurdes et destructeurs que l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Malheureusement, en se contentant de la moitié de ce programme – raboter les niches fiscales – la droite française, une fois de plus, fait exactement le contraire de ce qu’elle devrait faire, le contraire de ce pour quoi elle a été élue.
Pascal Salin, professeur émérite à l’université Paris-Dauphine