II met en scène pièces et opéras, chante, joue, se travestit et se déshabille : bienvenue dans l'univers baroque et lyrique de Michel Fau.
Erreur que d'associer systématiquement Michel Fau à l'univers poético-épique d'Olivier Py, son ami pour la vie ; et au théâtre public davantage qu'aux planches du privé. La preuve par Nono. Surnom neuneu du personnage de Julie Depardieu dans la pièce éponyme de Sacha Guitry, comédie boulevardière à l'humour amer que Michel Fau met en scène au Théâtre de la Madeleine tout en y campant Robert, "un être lâche, égoïste, prétentieux, misanthrope...". Voici donc un homme de théâtre qui ne cherche pas à se donner le beau rôle. Il l'affirme, la quarantaine l'a apaisé mais pas assagi. Pour lui, le désir mène le jeu. Et il aime toujours autant se faire peur en s'attaquant à ce qui le terrifie : "Le raisonnable, la sensiblerie, le lisse, le politiquement correct." Ses meilleures armes (maniées au fleuret plutôt qu'au sabre) pour combattre ces démons artistiques sont la démesure, le burlesque, le grotesque, le satirique, le sublime, le tragique, le baroque, le lyrisme. Excusez du peu ! Ces armes, Michel Fau les a aiguisées de nombreuses manières. En allant vite, rappelons qu'il a aussi bien monté des opéras de Mozart, de Puccini ou de Verdi que des pièces de Zola, de Strinberg, d'Ibsen, de David Mamet. Ajoutons qu'il a joué dans Le Banquet, de Platon, comme dans Le Balcon, de Genêt ; dans Les Brigands, de Schiller, et Le Soulier de satin, de Claudel ; qu'il a interprété du Racine comme les textes d'Olivier Py ; incarné avec la même jubilation une tenancière de bordel, un perfide comploteur shakespearien, une bourgeoise vieillissante en tailleur rosé, un ange ; chanté aussi, travesti, dans un spectacle de son cru qui rend grâce, en grinçant, au music-hall... Orfèvre de la métamorphose, Michel Fau revendique son goût pour l'artifice, évoque le plaisir qu'il prend à se grimer. Lui qui n'hésite pas à se déshabiller - au propre comme au figuré - devant le public se montre, en interview, presque réservé. Vêtu avec une élégance piquetée excentricité, il parle doucement pour expliquer que la nudité est un costume, un geste artistique qui répond au texte, jamais une provocation, et encore moins une concession à la trivialité, qu'il pourfend. Et il puise volontiers dans un stock abondant de citations pour illustrer avec les mots des autres ses ressentis à lui. Loin d'un acte de pédanterie, le procédé se révèle un écran de modestie. Dans un bistrot de la rue de Surène, alors que plane la question des adjectifs dont usent les critiques pour définir son jeu et son théâtre ( "féroce, facétieux, effrayant, saisissant"), le peintre Jean Dubuffet est appelé en renfort. "Il a dit très justement : 'L'art doit toujours un peu faire rire et un peu faire peur.' La difficulté est de parvenir à ce double résultat en même temps. Il y a une réplique de Nono dans la pièce qui y invite." Notre interlocuteur l'a déjà en bouche : "C'est plus gai avec du bruit parce que ça fait un peu peur." Si Guitry a séduit Michel Fau, c'est par sa virtuosité de dialoguiste ; et son écriture "ornementée" ("C'est un poète à sa manière") qui fabrique du sens autant qu'elle nourrit des ambiances. "Je ne plaque pas un savoir-faire de metteur en scène sur un texte. Bien au contraire, c'est lui qui permet à mon imaginaire de rebondir." Autres précieux ressorts : des compagnons de planches qu'il sait ou sent prêts, comme lui, à toutes les "dingueries". Julie Depardieu et Michel Fau partagent ainsi de longue date une passion pour l'opéra mais n'avaient encore jamais travaillé ensemble. La comédienne s'approprie avec bonheur les costumes et les maquillages Belle Epoque. Surtout, elle imprime, selon le metteur en scène, l'ambiguïté qui sied à la jeune femme imaginée en 1905 par Guitry : immorale et fatale ou Loilita inconsciente de son pouvoir ? Une créature qui en interprète une autre, de quoi ravir Michel Fau pour qui "trop d'acteurs sont lisses, chics. De peur de ne pas rester dignes, ils ne pleurent pas, ils pleurnichent. Par créature, j'entends une personnalité, avec un univers capable d'agacer autant que de fasciner. Ce peut être Brigitte Bardot, Maria Casarès ou Jacqueline Maillan ! Les créatures font avec ce qu'elles ont, leurs névroses, leur fantaisie, leur noirceur et leur lumière". Lui-même se voit-il ainsi ? "Je compose avec ma folie, j'ose aussi mais je ne suis pas talentueux, plutôt besogneux." Cet érudit saisit l'occasion de citer Wagner : "L'émotion brute n'est pas encore de l'art." C'est pourquoi l'infatigable Fau travaille, encore et encore : "il ne suffit pas de mettre ses tripes sur la table, il faut ciseler. Je ne m'explique pas comment, à 10 ans, j'ai pu avoir l'intime conviction de vouloir devenir comédien alors que je n'avais pas le fameux don !" C'est ce qu'il dit. À 5 ans, pourtant, il se régale déjà de l'apprentissage du guignol à Agen, sa ville natale. Puis s'inscrit au conservatoire municipal junior, "où l'on apprend surtout à perdre l'accent !". Quand il arrive à Paris à 18 ans et se retrouve au Conservatoire des grands, il est confiant. Trop, analyse-t-il aujourd'hui : "C'était naïf de croire que beaucoup partageraient ma vision du théâtre : un lieu d'excès, celui où se côtoient, se heurtent, fusionnent le grotesque et le sublime. Ma chance ? Avoir eu comme professeurs Michel Bouquet, Gérard Desarthe et Pierre Vial. Eux ont compris qui j'étais." Olivier Py aussi. C'est parce ce qu'ils étaient tous deux cibles de moqueries ("Olivier parce qu'il se disait poète ; moi parce que j'étais grandiloquent, grimaçant, emphatique") qu'ils se sont serré les coudes et liés d'amitié. Pour autant, Michel Fau sait dire non à son prolifique complice. Par terreur de l'habitude. Pour la liberté de faire éclore dans le privé les envies que l'institution publique ne lui propose pas d'assouvir. Michel Fau se fend d'un hommage qui sonne juste à Frédéric Franck, le directeur du Théâtre de la Madeleine. "Il m'a accueilli royalement pour la Maison de poupée, de Ibsen, et a récidivé avec Nono." Le mot de la fin revient à Dubuffet : "Le vrai art est là où on ne l'attend pas. " Tellement vrai quand on parle de Michel Fau...
Sophie Berthier