En ouvrant Une forme de vie d’Amélie Nothomb, publié comme d’habitude aux éditions Albin Michel ici, je me disais que j’avais peut-être eu tort de succomber à la tentation de lire le Nothomb nouveau, qui, comme le Beaujolais, revient chaque année, qui figure sur les rayons des libraires à chaque rentrée littéraire, avec une régularité de métronome.
Certes je ne suis pas de ceux qui pensent que le succès populaire va de pair avec la médiocrité, mais je ne suis pas non plus de ceux qui pensent qu’il est gage de qualité. Comme la fois dernière [voir mon article"Le voyage d'hiver" d'Amélie Nothomb ] où j’avais été jusqu’au bout du voyage, je ne regrette pourtant pas d’avoir lu jusqu'au bout Une forme de vie.
Il faut dire que je ne risquais pas grand-chose. Les livres d’Amélie sont courts, celui-ci fait 169 pages, et le temps passé à le lire n’est donc pas excessif, même lorsque l’on a un agenda chargé. De plus Amélie est belge et une moitié de moi-même l’est, non seulement parce que j’y suis né mais parce que ma mère l’était. Cela conduit malgré tout à une sorte de connivence.
Je n’ai pas été déçu parce que ce livre est une nouvelle fable à verser au crédit de l’auteur de Stupeurs et tremblements, livre qui m’avait beaucoup plu quand je l’avais découvert il y a deux ans, tout à fait par hasard, dans un Relay de la Gare de Lyon à Paris. J’avais alors pénétré dans l’univers nothombien dont d’aucuns me disaient tout le mal qu’ils pensaient, et j’avais été déçu en bien, en proportion du préjugé négatif inoculé.
Melvin Mapple est soldat en Irak. Il écrit une lettre d’un "genre nouveau" à Amélie Nothomb, qui joue son rôle en personne dans le texte. Parmi la multitude de lettres que l’écrivain reçoit, celle-ci attire donc son attention. L’épistolier, au fur et à mesure de la correspondance, ne laissera pas de la surprendre.
Il faut dire que le personnage de Melvin Mapple n’est pas banal. Il proteste à sa manière contre l’intervention américaine en Irak où il porte l’uniforme depuis des années. Alors que d’autres feraient la grève de la faim, refuseraient de combattre, se confesseraient dans la presse, que sais-je, lui s’est laissé grossir pour conjurer sa peur au ventre :
"La nourriture est une drogue comme une autre et il est plus facile de dealer des doughnuts que de la coke."
D’être devenu très gros lui vaut bien sûr le pire qu’est le mépris :
"Ce qui me sauve c’est que je ne suis pas le seul obèse. La solidarité des autres m’empêche de sombrer".
Les lettres de Melvin se suivent et, comme je l'ai dit plus haut, réservent toujours plus de surprises à sa correspondante – ce qui ménage l’intérêt du lecteur – jusqu’au jour où Melvin ne répondant plus, Amélie part à sa recherche, pleine d’inquiétude. Car la vie de Melvin semble être en danger. Aussi le cœur d’Amélie n’a-t-il fait qu’un battement avant qu'elle ne se décide à sauver le soldat Mapple.
Le dénouement de cette difforme de vie pousse la logique de cette correspondance inédite jusqu’au paroxysme, où Amélie Nothomb excelle. Au passage, tout au long du livre, qui m’a donné envie de relire Le martyr de l’obèse d’Henri Béraud, sans doute plus allègre, Amélie nous aura livré ses réflexions pleines d’ironie et d’esprit sur le courrier qu’elle reçoit. Et ce n’est pas triste. Et c’est ô combien révélateur sur l’auteur, à moins bien sûr que là aussi il n’affabule…
Francis Richard