L'ÉGYPTOLOGIE TCHÈQUE : XIX. L'INSTITUT ET LES FOUILLES D' ABOUSIR DURANT LA DERNIÈRE DÉCENNIE DU XXème SIÈCLE - 11. LE TOMBEAU D'IUFAA

Publié le 25 septembre 2010 par Rl1948

     C'est avec une impatience certaine que ce matin, je vous attendais, amis lecteurs, comme nous en étions convenus samedi dernier, ici, aux confins sud-ouest de la nécropole d'Abousir où, au printemps, nous avions déjà visité la tombe de l'époque saïto-perse d'une certain Oudjahorresnet, membre de cette classe de hauts fonctionnaires qui servirent à la fois Amasis et Psammétique III, ultimes souverains de la XXVIème dynastie et Cambyse II, conquérant achéménide à l'origine de la XXVIIème.

   Aujourd'hui, c'est à quelques mètres de cette sépulture que je vous propose de m'accompagner aux fins de nous pencher sur celle d'un autre membre de la même élite intellectuelle et sacerdotale memphite, un certain Iufaa, qui embrassa les fonctions d'administrateur du palais et de prêtre lecteur.

   Posons-le sans ambages : le pillage est, pour ainsi dire, le jumeau, que dis-je, le frère siamois démoniaque ou encore le Mister Hyde schizophrénique de la splendeur pharaonique, écrit Pascal Vernus dans son remarquable Dictionnaire amoureux de l'Egypte pharaonique.

   Peut-être plus qu'aucune autre civilisation antique du bassin méditerranéen, l'Egypte fut la proie de spoliateurs de tout poil que les tombes, on le comprend aisément, intéressaient au premier chef : en effet, si une des raisons évidentes de cet état de fait résida, pour la majorité d'entre elles, dans l'éloignement recherché, l'autre, également non négligeable, prit sa source au sein même des conceptions religieuses qui voulaient que tout défunt plus ou moins aisé bénéficiât, l'accompagnant pour l'éternité, d'un mobilier et d'un matériel funéraires qui ne pouvaient - l'homme est malheureusement ainsi fait ! - qu'attirer la convoitise des plus cupides, renseignés qu'ils étaient, dans bon nombre de cas, par les gardiens de nécropoles, généreusement stipendiés pour l'occasion. Quand ce n'était pas celui-là même qui avait agencé la tombe et qui, d'évidence, connaissait toutes les particularités de sa conception, qui, appât du gain aidant, se muait en profanateur avisé ... 

     C'est donc avec cet a priori que les archéologues tchèques, sous la direction de Ladislav Bares, commencèrent, lors de la campagne de fouilles du printemps 1995, à dégager la superstructure de ce tombeau qui devait, trois années plus tard, les amener à soulever, 22 mètres en dessous, le lourd couvercle du sarcophage d'Iuffa.

     Première surprise, de taille : ce haut dignitaire de cour avait tenu à se faire construire un mur d'enceinte en briques crues à l'instar de celui que l'on pouvait admirer à quelques centaines de mètres de là, autour du complexe funéraire du pharaon Djeser, de l'Ancien Empire, plus de 2200 ans auparavant.

     En outre, des stèles de calcaire massif d'environ trois mètres de hauteur avaient été scellées dans chacun de ces quatre murs : plusieurs fragments de ces monuments ont en effet été retrouvés ça et là sur le sol.

     De campagnes en campagnes, de petits pas en petits pas, les égyptologues tchèques poursuivirent leurs investigations et arrivèrent au niveau d'un puits qu'au vu de ses dimensions, - 13 mètres sur 13, bien plus large que celui d'Oudjahorresnet tout proche - , ils jugèrent être le principal du complexe funéraire. Par quelques détails, ils comprirent sans trop y prêter attention - le fait était tellement banal, je l'ai souligné d'emblée -, qu'ils n'étaient nullement les premiers à pénétrer dans la tombe : il était en effet évident qu'arrivés approximativement à 1, 50 m du plafond voûté sous lequel reposait l'énorme sarcophage d'Iufaa, des pillards avaient manifestement pris la décision de rebrousser chemin soit rebutés ou épuisés par un travail de dégagement dont ils ne voyaient pas le terme, soit pris de panique d'être eux-mêmes ensevelis par un éboulement de terrain, soit dérangés par la présence d'un gardien de la nécropole, intègre celui-là, qui les aurait forcés à fuir ...

      Rebutés car, il était fréquent que, pour annihiler le zèle démultiplié des voleurs, les concepteurs prévoient le creusement de plusieurs puits annexes à la descenderie centrale, ne menant en réalité nulle part, mais en relation directe avec elle, et remplis de sable qui, au fur et à mesure que les pillards pensaient définitivement dégager le puits principal, se déversait et sans cesse le remplissait à nouveau : c'est ce qu'avec l'humour qu'on lui connaît, le Professeur Vernus appelle "le tombeau des Danaïdes".

     Puis, un jour de 1998, trois ans après le début de leurs fouilles, les Tchèques arrivèrent enfin à la petite chambre sépulcrale proprement dite, aménagée à quelque 22 mètres sous le niveau du désert : réalisée en blocs de calcaire de qualités visiblement différentes, elle avait été conçue pour suggérer la forme d'un énorme sarcophage, comme le montre la représentation en 3 D ci-dessous. 

         Au centre de ce cliché, vous apercevez le large puits principal au fond duquel, donc, reposait le sarcophage d'Iufaa. En outre, ce qu'il nous montre aussi d'intéressant, ce sont d'une part, le toit à deux pans protégeant la voûte en demi-cercle de la chambre que les Tchèques ont élevé, renforçant le puits par la même occasion et, d'autre part, sur la droite, le puits Sud dans lequel ils ont aménagé un escalier en bois destiné aux touristes qui, comme nous bientôt, descendront tout au fond du caveau.

     L'indéniable étroitesse de la chambre funéraire donne à penser qu'elle aurait été construite autour de l'énorme bière : en effet, seuls 50 centimètres séparent les parois de cette dernière des murs de la pièce elle-même.

    

     Sur ces murs intérieurs, mais aussi sur le pourtour interne du sarcophage de pierre, Iufaa avait pris soin de faire inscrire - protection supplémentaire dans le but avéré de favoriser son passage vers l'Au-delà et, consécutivement, d'assurer sa survie post mortem -,  des extraits de textes ancestraux comme le Livre pour sortir au jour (ce que d'aucuns persistent erronément à appeler "Livre des Morts"), des adresses hymniques au soleil, des formules de ce que l'on nomme Textes des Pyramides et Textes des Sarcophages, des prières ...

     Une seconde surprise, plus stupéfiante encore, en vérité tout à fait exceptionnelle, attendait les égyptologues tchèques à ce niveau de leurs investigations ...

     Et nous étonnera tout autant samedi prochain quand, à leur suite, nous pénétrerons plus avant, vous et moi amis lecteurs, dans la chambre funéraire d'Iufaa ...

(Bares : 2005 ; Verner : 2003, 192-205 ; Vernus : 2009, 757 sqq.