Expulsion pour " raisons de sécurité publique " d'un étranger régulièrement présent en France depuis son plus jeune âge
La Cour européenne des droits de l'homme décide de faire droit à la requête en condamnant la France pour violation du droit au respect de la vie familiale (Art. 8) et ce, dans une affaire qui lui offre l'occasion de réaffirmer la protection particulièrement forte que ce droit garantit aux étrangers " nés dans le pays hôte ou [...] arrivés à un très jeune âge " (§ 43 - Cour EDH, G.C. 23 juin 2008, Req. n° 1638/03 -Actualités droits-libertés du 23 juin 2008). En effet, les juges européens estiment que l'expulsion litigieuse constitue une ingérence portant atteinte à la vie familiale du requérant (§ 38-39), certes prévue par la loi (§ 41) et poursuivant un but légitime (§ 42), mais non " au moment où la mesure d'expulsion est devenue définitive " (§ 51) - sont confrontés de façon systématique à une liste de " critères " (§ 44 - V. Cour EDH, G.C. 18 octobre 2006, Req. no 46410/99, § 54-58). Premièrement, " nécessaire dans une société démocratique ". Cette conclusion est le résultat de leur habituelle analyse circonstanciée où les faits de l'espèce - tels qu'ils existaient " trafic de stupéfiant (Cour EDH, 4e Sect. 8 janvier 2009, Req. no 10606/07, § 38 ; v. néanmoins Cour EDH, 4e Sect. 24 novembre 2009, , Req. n° 1820/08 - Actualité droits-libertés du 24 novembre 2009). Mais la Cour constate qu'il s'agissait là de la nature et la gravité des infractions commises " apparaissent bien sûr défavorables au requérant, en particulier s'agissant d'un la première et unique condamnation du requérant (§ 45). Deuxièmement, il est relevé, au sujet du critère de " la durée du séjour du requérant [de] et la solidité de ses liens familiaux avec le pays hôte ", que l'intéressé était présent " sur le territoire français dès son quatrième mois [et qu'il] n'était jamais retourné au Maroc jusqu'à son expulsion en 2002, à l'âge de vingt‑quatre ans " (§ 47). Or, à cet égard, la juridiction strasbourgeoise rappelle qu'il importe de " tenir compte de la situation spéciale des étrangers qui ont passé la majeure partie, sinon l'intégralité, de leur enfance dans le pays hôte, qui y ont été élevés et qui y ont reçu leur éducation (§ 46). Cette forte considération rejoint le troisième aspect : " la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et le pays d'origine " (§ 49). En effet, " en tant qu'immigré arrivé à un âge très précoce en France, la très grande majorité de ses attaches familiales, sociales et culturelles se trouvait en France ", comme en témoigne sa maîtrise du français - mais non de la langue arabe - ainsi que la présence de tous ses proches en France, à l'exception de sa tante (§ 49). Outre le comportement positif du requérant depuis sa condamnation (§ 48), la Cour constate que la durée de l'expulsion alourdit encore la gravité de ses conséquences sur la vie familiale puisque qu'à la lueur du droit français et du récent refus d'abroger l'arrêté litigieux, " il est possible de considérer qu'il s'agit en l'espèce d'une expulsion définitive " (§ 51).
Un dernier élément semble avoir définitivement emporté la conviction des juges strasbourgeois. Au moment des faits, la législation française (v. § 21) excluait l'expulsion si la Commission d'expulsion des étrangers y était défavorable ou si elle visait un étranger " caractère " résid[ant] en France habituellement depuis plus de quinze ans ". Or, le requérant relevait précisément de ces deux circonstances protectrices. Le ministre de l'Intérieur n'a donc pu contourner ces obstacles qu'en motivant son arrêté d'expulsion par une " nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou pour la sécurité publique ". Cependant, non seulement la Cour relève qu'à l'aune des dispositions en vigueur en France depuis la loi n o 2003-1119 du 26 novembre 2003 ["Sarkozy"] (v. § 22-24), " si l'expulsion avait eu lieu sous l'empire de ces nouvelles dispositions, le requérant aurait pu se prévaloir de celles-ci en tant que personne protégée en vertu des articles L. 521-3 du CESEDA et 131-30-2 du code pénal (résidence en France depuis plus de vingt ans) " (§ 52). Mais de plus, et surtout, elle réfute directement la motivation de l'arrêté ministériel en jugeant qu'au regard de son analyse précédente " on ne peut raisonnablement soutenir que du fait des infractions commises, le requérant constituait une menace d'une gravité extrême pour l'ordre public justifiant une mesure d'expulsion définitive du territoire français " (§ 53). En raison donc du disproportionné " de l'expulsion litigieuse (§ 54), la France est condamnée à l'unanimité pour violation de l'article 8 (§ 55).
Bousarra c. France (Cour EDH, 5e Sect. 23 septembre 2010, Req. no 25672/07)- Actualités droits-libertés du 23 septembre 2010 par Nicolas HERVIEUAFFAIRE N° 121115e réunion - 8 juin 2011 "Affaire contre la France25672/07 BOUSARRA, arrêt du 23/09/2010, définitif le 23/12/2010