L’oppression des femmes se caractérise principalement par leur appropriation sexuelle collective ou individualisée. (…) Toute femme non appropriée officiellement par contrat réservant son usage à un seul homme, c’est-à-dire toute femme non mariée ou agissant seule (…) est l’objet d’un concours qui dévoile la nature collective de l’appropriation des femmes(…). Pour placer au mieux leur droit commun de propriété, les hommes mettent en jeu entre eux les préséances de classe, de prestige, aussi bien que de force physique. (…) Le concours entre les individus de la classe de sexe dominante pour prendre (ou récupérer, ou profiter de…) toute femme « disponible », c’est-à-dire automatiquement toute femme dont l’individualité matérielle n’est pas officiellement ou officieusement clôturée, exprime que l’ensemble des hommes dispose de chacune des femmes.
On peut ainsi parler d’une phénoménologie , invisible pour qui n’a jamais été interpellé comme « femme », de l’usage licite, collectif et oppressif du corps des femmes, qui détermine ses mouvements, ses gestes, ses perceptions, ses réflexes, ses postures, ses trajets, sa démarche, ses atours, ses émotions, pour en faire des corps constamment « chassés ».
Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualités, Introduction à la théorie féministe, Paris, PUF, 2008.