«À la lumière de ce que j'ai pu constater, ça donne l'impression que Loto-Québec a présenté des chiffres qui exagéraient nettement la menace des sites de jeu en ligne. (....) Je crois que c'est une question de relations publiques et que la société d'État voulait promouvoir son projet en donnant l'impression qu'il y avait urgence», soutient le docteur en psychologie Jean Leblond, qui se spécialise dans la dépendance au jeu et qui a agi comme témoin-expert dans le recours collectif intenté par des victimes d'appareils de loterie-vidéo.
En preuve, M. Leblond cite le communiqué émis par Loto-Québec le 3 février 2010 lors du lancement de son projet en février dernier. «Il faut savoir que les Québécois ont actuellement accès à plus de 2000 sites de jeu en ligne illégaux, non réglementés et dont l'intégrité est souvent douteuse», soutenait à l'époque la société d'État.
20 manufacturiers détiennent 75% du marché
En examinant la base de données du site Online.CasinoCity.com, Jean Leblond a répertorié 2001 sites de jeu en ligne et il a pu remarquer que plusieurs de ces sites appartenaient aux mêmes opérateurs. «On peut créer trois ou quatre portails destinés à des clientèles différentes, mais ils mènent les gens au même endroit», signale-il. Le spécialiste a aussi déterminé que la plupart de ces sites utilisaient des logiciels fabriqués par une vingtaine de manufacturiers.
Dans les faits, ces 20 compagnies accaparent 75% de ce marché, note l'expert. Il est vrai, note-t-il, que les entreprises qui développent des logiciels ou qui offrent des jeux en ligne sont pour la plupart enregistrées dans des juridictions échappant au contrôle des gouvernements tels l'archipel d'Antigua et Barbua, les Antilles néerlandaises, l'Île d'Alderney, l'Île du Man, Gibraltar, Kahnawake, Malte ou le Costa Rica. Cela dit, M. Leblond ajoute que ces fabricants sont aussi «investigués et certifiés par d'autres organismes» et que les gouvernements ont un pouvoir réel sur ces organismes.
C'est le cas de la World Lottery Association. Les 20 manufacturiers font partie de cet organisme ou sont des filiales d'une compagnie qui en est membre. Or la WLA est un organisme international qui regroupe la plupart des corporations de loterie d'État de la planète, dont Loto-Québec. «Les membres sont des composantes gouvernementales. Les membres associés sont des entreprises privées qui ont la confiance des sociétés d’État inscrites à la WLA. La WLA leur accorde des certificats de conformité eu égard à sa politique de jeu responsable», précise M. Leblond.
Partenaires d'affaires de longue date
«L’image du monde du jeu en ligne, comme étant un foisonnement de compagnies obscures, n’est pas exacte. Bien sûr, pour le joueur novice, une grande prudence s’impose. Mais force est d’admettre que les promoteurs du jeu en ligne sont d’abord et avant tout des partenaires d’affaires de longue date des sociétés d’État qui exploitent le jeu», conclut Jean Leblond.
« Il n'y a pas tant d'opérateurs que cela et beaucoup de ces opérateurs ont des liens avec la World Lottery Association. C'est de la poudre aux yeux. Loto-Québec a réussi a obtenir la légalisation du jeu en ligne sous de faux prétextes. Les arguments invoqués ne sont pas valides», croit le porte-parole de la Coalition EmJEU, Alain Dubois.
Il croit que la mise sur pied d'un «vrai comité de suivi» indépendant et formé de spécialistes aurait permis de débusquer cette information. «Mais il aurait fallu évaluer les impacts éventuels de la légalisation avant que l'offre soit mise de l'avant. On nous a dit qu'il fallait faire vite pour lancer le site, mais la vérité est qu'il n'y avait pas urgence.»
Ni Loto-Québec ni le ministre des Finances n'ont voulu commenter les conclusions de Jean Leblond. «Je n'ai aucun commentaire à faire sur les écrits de M. Leblond», a indiqué la directrice corporative des relations de presse de Loto-Québec, Marie-Claude Rivet.
Au cabinet de Raymond Bachand, on a indiqué que le ministre ne voulait pas se prononcer sur la question. Son attachée de presse a cependant précisé qu'il fallait bien faire la distinction entre les opérateurs et les fournisseurs de jeu en ligne. «Opérer un site de jeu en ligne au Québec est illégal. Il n'y a que Loto-Québec qui a l'autorisation de le faire», a précisé Catherine Poulin.
Écrit par Valérie Dufour, Rue Frontenacl (16/09/2010) - Transcription autorisée
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