A propos de Chantrapas d’Otar Iosseliani 4 out of 5 stars
En Géorgie, Nicolas, un jeune cinéaste est condamné à l’exil par le gouvernement qui lui reproche sa trop grande liberté de ton et de ne pas être fidèle ni à l’Histoire ni aux idées en vigueur…
Difficile de ne pas voir dans Chantrapas un autoportrait de Iosseliani tant le parcours de Nicolas et la censure dont est victime son œuvre évoquent ceux du cinéaste géorgien né en 1934.
Chantrapas vient de l’expression « Chantera pas » (en français) née au XIXème siècle et inventée par les aristocrates russes pour désigner une population exclue des privilèges d’une éducation dont le chant était le summum et un gage d’excellence. L’expression est rentrée dans le langage pour désigner une population d’artistes par essence « bons à rien » et par la suite condamnés à l’exil.
Si l’on retrouve le même enchantement dans Chantrapas que dans Adieu, Plancher des vaches !, il y a une chose qui varie ou qui est du moins beaucoup plus marquée ici. C’est l’ironie. Celle dont se sert Iosseliani pour évoquer le passé. Les dirigeants géorgiens sont tantôt des censeurs alcooliques et incompétents au service des Russes, tantôt des sangsues qui vont traquer Nicolas jusqu’en France.
L’humour fait souvent mouche dans Chantrapas dont l’anachronisme étonne. Car si l’action du film se passe à notre époque (R.E.R, etc…), les méthodes employées par le régime géorgien (aux ordres des Russes) sont quand même celles d’un autre temps. Mais cela ne dérange pas Iosseliani, qui ne désigne jamais directement les choses mais aime tourner autour de son « ex-bourreau » et censeur, l’U.R.S.S., pour mieux régler tranquillement ses comptes avec elle.
La manière ironique avec laquelle Iosseliani dépeint les producteurs français, qui ne comprennent pas grand-chose au film que Nicolas est en train de préparer, fait rire (« Il faut savoir si c’est un cinéaste complètement d’ailleurs ou complètement ailleurs ! » s’emporte l’un deux). Mais Chantrapas est aussi un film sur la dureté de l’exil, synonyme d’une certaine déception pour Nicolas. Mais pour évoquer cette jeunesse, Iosseliani privilégie toujours le rire à la nostalgie.
Et ce n’est pas l’enchainement logique qui compte mais une certaine « roue libre » riche en trouvailles visuelles et drôle comme chez Tati. « C’est comme une mécanique : les dialogues n’ont aucune importance, c’est le rythme qui compte » s’est expliqué dans une interview le cinéaste géorgien qui, à défaut de ne pas être tendre avec ses ex-mécènes et producteurs français, reconnait ses propres excès et la fougue de sa jeunesse (scène où il quitte froidement ses producteurs juste après avoir fait connaissance avec eux.)
Il y a du merveilleux dans ce film (scènes sur l’enfance ou avec la sirène), de l’humour (scène des Christs), mais c’est surtout du portrait d’un artiste dont il s’agit. Et de la nécessité d’être intransigeant dans la création. « Voilà ce que je voudrais partager avec le spectateur : le bonheur d’être une pierre, de résister à tout. » dit Iosseliani avec son art célèbre de la formule faussement teinté d’auto-dérision et de cynisme. Et qui, à l’image de son cinéma, le rend parfois si compliqué à déchiffrer.
Nicolas est un cinéaste exigent et prêt à aucun compromis dans son œuvre. Mais la France, au départ considérée comme un Eldorado, sera une terre de désillusion pour lui. Où les producteurs, comme en Géorgie, veulent décider du montage et lui imposer le « final cut » (l’un deux découpe arbitrairement pour ne pas dire n’importe comment la pellicule). De même, la réaction des spectateurs déçus voire agacés à la sortie de son premier film financé en France, sonne le glas des espoirs du jeune cinéaste de l’Est qui repartira en Géorgie.
Là où l’attend la sirène (mais n’est-ce pas plutôt une pieuvre ?), qui ne l’a jamais lâché…
www.youtube.com/watch?v=rC8u94i4cCw