Dans son numéro 1069 paru le 13 septembre dernier, CB News se penchait sur la profession de journaliste. Résultat un dossier de cinq pages et des interrogations qui demeurent. Comment faire face à la paupérisation de la profession notamment. Les problèmatiques sont-elles les mêmes en télé ou en radio. Ce sera peut-être l’objet d’un autre dossier. En attendant, voici aujourd’hui ce dossier, avec d’abordle papier d’ouverture, puis une interview de Jean-Marie Charon, puis enfin un reportage sur la newsroom intégré du groupe Ringier à Zurich.
“Rarement la profession de journaliste n’avait été aussi chahutée et interpellée quant à son rôle et son avenir. Chant du cygne avant dépôt de bilan ou à genèse d’une renaissance ?
Les rôles sont inversés. Autrefois, les journalistes posaient des questions. Aujourd’hui, c’est la société qui les interroge sur leur rôle, leur légitimité et leur mode de fonctionnement. Eux sont désormais obligés de fournir des réponses. A cela vient s’ajouter l’interrogation ultime sur le modèle économique des médias demain.
En somme, les journalistes sont contraints à la fois de repenser leur façon de travailler alors que le participatif est désormais partie intégrante de la sphère médiatique, mais aussi de réfléchir à la façon dont ils doivent s’organiser pour faire face aux nouvelles équations économiques. Inconfort quand tu nous tiens…
De fait, les deux questionnements sont liés. L’un touche au fond du métier, l’autre à la forme ou plutôt à son organisation. Plus largement, si la définition du journalisme n’a pas changée, - il s’agit toujours de fournir des informations indépendantes, fiables et précises considérées comme cruciales pour une démocratie vivante -, celle de qui est « journaliste » est devenue plus floue. Sommes-nous « tous journalistes » comme le proclament depuis 2003 de nombreux internautes dans le sillon de Benoît Raphaël, fondateur du Post.fr ? Plus exactement qu’est-ce qui fait encore la spécificité de celui qui est censé travailler pour un média ?
« Toutes ces interrogations sont au cœur du tournant que la profession est en train de vivre », souligne le sociologue des médias, Jean-Marie Charon (lire interview p.xxx). « En fait tout se passe comme si les difficultés économiques des médias couplées à l’émergence du participatif avait fait prendre conscience que l’on pouvait se passer de journalistes », analyse un veilleur du net pour un grand média. « Or, poursuit-il, c’est totalement faux. Les journalistes ont un rôle crucial à jouer s’ils ne s’arqueboutent pas sur de vieux réflexes et acceptent d’en intégrer de nouveaux ». Par exemple, accepter de travailler pour plusieurs supports, et de créer une communauté de lecteurs avec laquelle ils peuvent échanger.
Des voies à explorer que Laurent Joffrin, PDG de Libération résume de la façon suivante. « A l’avenir, les rédactions seront un labo central dédié au journalisme sous toutes ses formes, peu importe le support ». Ainsi, enquêtes, blogs, ou vidéos seront hébergés sous la marque Libération. Même son de cloche chez Nicolas Beytout, PDG du groupe Les Echos. « Nous acceptons l’idée qu’il puisse y avoir une érosion de la diffusion papier, car nous raisonnons désormais en terme de marque qui produit de l’information à forte valeur ajoutée. Tout cela en continu, et à la fin de la journée on boucle un quotidien », détaille le PDG des Echos. Voilà donc l’avenir pour les journalistes. Travailler pour des marques médias fortes qui produisent de l’information et qui s’organisent afin de toucher à tous les supports.
Un rôle d’alerteur public
A moins que l’avenir soit au « personal branding » et à la mise en avant du seul journaliste à côté ou au détriment de son media. Cette nouvelle tendance - venue des Etats-Unis - qui consiste à faire du journaliste un média à part entière a séduit quelques amateurs en France. Mais si elle permet de redonner une raison de travailler à certains journalistes, elle accentue clairement le côté individualiste d’une profession qui est nécessairement collective.
« Ces tendances, « tous journalistes » et « personal branding » sont intéressantes, mais elles délaissent une question cruciale : comment remplit-on notre rôle aujourd’hui ? Comment répond-t-on à la nouvelle donne économique ? Surtout, elles évitent parfois de réfléchir à l’offre éditoriale que l’on propose au lecteur », tempère Edwy Plenel, président de Mediapart. « En somme, ajoute-t-il, laisser croire que tout le monde peut être journaliste, c’est oublier notre rôle d’alerteur public ».
En résumé, il faut du participatif et du débat public, mais sans oublier ce qui fait la spécificité du métier. Voilà, comment les journalistes peuvent envisager de reprendre la main sur leur futur. « Tout est une co-production entre le média et le journaliste, rappelle Nicolas Beytout, La coproduction d’un individu et d’un collectif ». Une façon de dire que ce n’est pas le journaliste qui fait le média mais l’inverse. Ou du moins que chacun façonne l’autre. Le message est clair : loin des tendances et des modes éphémères, recentrons-nous sur notre rôle de producteurs d’information. ”
David Medioni