QFFC : Jakuta Alikavazovic par Le Fric-Frac Club

Née à Paris en 1979, Jakuta Alikavazovic signe avec Le Londres-Louxor (Editions de l'Olivier) son second roman. Le Londres-Louxor est un cinéma de style néo-égyptien construit à Paris au début du XXe siècle. Son histoire est parsemée d'événements mystérieux : morts inexpliquées, disparitions, etc. Aujourd'hui désaffecté, il est devenu le point de rencontre de la diaspora bosniaque. Suite à la disparition d'Ariane, sa sœur, Esme, prête-nom d'un célèbre écrivain, se met à hanter les lieux en compagnie d'Anton, un critique littéraire. Trop effacée pour mener une enquête, elle laisse les informations venir à elles. Ce roman, que le lecteur a d'abord cru être un roman fantastique puis un roman policier, emprunte alors une tout autre voie lorsque l'on apprend que la disparition d'Ariane est survenue juste après le braquage (bien réel) de la fondation Bührle de Zurich qui permis aux malfaiteurs d'emporter un Degas, un Monet et un Van Gogh. Tout cela est-il lié au Livre des morts de Bosnie qu'écrit le propriétaire des lieux, l'étrange vice-président ? Avec une écriture raffinée jusque dans son dépouillement, Jakuta Alikavosovic nous entraîne au cœur de Paris dans une quête sur l'identité et signe ainsi un roman d'une grande maîtrise qui fait d'elle l'un des écrivains français les plus doués de sa génération. Après avoir accordé une interview à Bartleby, Jakuta Alikavazovic a eu la gentillesse de répondre à notre petit questionnaire. Nous l'en remercions. Que ferez-vous lorsque plus personne ne lira de livres ? Ça ne m'inquiète pas beaucoup. La lecture est un vice impuni – comme tel, il n'est pas près de disparaître. Ou alors c'est un virus : comme la grippe, par exemple, moins impressionnant que d'autres, pourtant polymorphe et résistant. Plus sérieusement : je ne m'inquiète pas parce que le livre serait par exemple voué à disparaître au profit d'autres médias. Tous ceux-là, si séduisants soient-ils, supposent un équipement technique lourd, voire ésotérique. En comparaison le livre, lui, a un peu la simplicité d'une pierre lancée sur une vitre : c'est l' « arme simple » d'Orwell, qui « donne des griffes aux faibles ». C'est peut-être précisément son manque relatif de sophistication technique qui assure sa pérennité et son efficacité, qui en fait une activité relativement libre. C'est pourquoi on lit toujours, malgré tout. Ce qui m'inquiète, en revanche, c'est que la liberté de lecture passe par la possibilité d'une rencontre accidentelle. Or celle-ci me semble menacée, notamment par la mise en question de l'existence physique du livre. La forme actuelle du texte (c'est à dire le livre) est ce qui permet la surprise, la rencontre à contretemps. On ne trouve pas un pdf dans un train. Ni le livre numérique ni l'impression « à la demande », sans doute appelés à se répandre, ne me semblent pouvoir vraiment assumer cette fonction de bouteille à la mer. J'espère avoir tort, car ce sont l'accident, le contretemps et les découvertes anachroniques qui ont construit mon rapport à la littérature. Le premier souvenir (ou émotion) littéraire ? Mme Brisby et le secret de Nimh (C'est un livre pour enfants. Ce qui n'est pas insensé, pour une enfant). Vingt mille lieues sous les mers. La jaquette d'une édition étrangère du Voyeur de Moravia, tout à fait physiquement hors de ma portée à l'époque. Et la promesse de tous les livres que je lirais. Que lisez-vous en ce moment ? Design et crime de Hal Foster. Quels sont les auteurs que vous avez honte de n'avoir jamais lu ? Gilbert Sorrentino. Suggérez-moi la lecture d'un livre dont je n'ai probablement jamais entendu parler. Peut-être les écrits du Land Artist Robert Smithson ? Il s'intéresse beaucoup à la littérature et au cinéma de genre. Il est drôle. Il est mort avant ma naissance, évidemment. Le livre que vous avez lu et que vous auriez aimé écrire ? Absalom ! Absalom ! 2666. Vineland. Certaines pages de Chandler. Ce ne sont pas nécessairement mes livres préférés (ni de leurs auteurs, ni dans l'absolu), mais ce sont ceux que j'aurais aimé écrire. Quel est le plus mauvais livre que vous ayez lu ? Je n'ai pas très envie de faire le guide des enfers. Enfin ce n'est pas le choix qui manque. Quel est le livre qui vous semble avoir été le mieux adapté au cinéma ? Lolita (Nabokov/Kubrick) ; Au cœur des ténèbres (Conrad/Coppola) ; Le Troisième homme (Greene/Welles)… Crash (Ballard/Cronenberg) : j'aime beaucoup Crash, vraiment. Le Privé de Robert Altman (The Long Goodbye de Chandler). Écrivez-vous à la machine, avec un ordinateur ou à la main ? A la main. Puis à l'ordinateur. Écrivez-vous dans le silence ou en musique ? En musique. Qui est votre premier lecteur ? J'en ai deux. Après chaque lecture j'organise des pugilats et des paris clandestins dans la cave. Quelle est votre passion cachée ? Pas de passion cachée mais un vice inassouvi : l'immobilier. Qu'est-ce que vous n'avez jamais osé faire et que vous aimeriez faire ? Un check-up médical.