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Cachez ces chiffres que je ne saurais voir !

Publié le 23 septembre 2010 par Monthubert

Le texte était écrit d’avance, et les services n’avaient qu’à s’y tenir : en cette journée de mobilisation sur les retraites, il fallait annoncer une baisse. C’est ce qu’a fait l’Elysée dès ce matin, alors même que les cortèges ne s’étaient pas encore tous déroulés. Mais il était inutile de traîner, ce qui comptait était de tenter de prendre les médias de court. Un peu comme quand l’Elysée a fait fuiter une partie de l’audition de Claire T., par qui l’affaire Woerth-Bettencourt a commencé, dans laquelle elle était censée se rétracter. Et tant pis si la suite a montré que c’était une grossière manipulation.

Bref, ce soir, le thème de la bataille des chiffres refait surface. Et il faut le prendre au sérieux. Car nous vivons une période consternante de manipulations statistiques, sur deux terrains : l’émission de fausses données, ou bien le projecteur centré sur des données incomplètes.

Premier terrain, donc, les fausses données. C’est typiquement ce que fait le pouvoir aujourd’hui avec les chiffres de la mobilisation, complètement trafiqués. nous avons de très nombreux exemples de ce type. Très récemment, Valérie Pécresse a fait sa conférence de presse de rentrée, dans laquelle elle assène que nous dépenserions chaque année, pour chaque étudiant à l’université,  près de 2000 euros qu’en 2007. D’où vient ce chiffre ? On ne sait pas. Peut-on le vérifier ? Certainement pas, et il suffit de connaître les universités pour savoir qu’on ne dépense pas de l’ordre de 20 à 25% de plus qu’en 2007 pour les étudiants. J’ai déjà montré à quel point l’écart entre les discours et la réalité universitaire est saisissant.

Second terrain, le coup de projecteur sur les données incomplètes. C’est une phénomène classique : la description d’une réalité nécessite de nombreux paramètres. Rien que pour décrire un point dans l’espace, il faut trois données (trois dimensions). Pour la réalité sociale, il faut recourir à de très nombreuses données, pour avoir une idée du paysage qu’on étudie. Or le gouvernement choisit les chiffres qui l’arrange, et cache les autres. C’est très clair en ce qui concerne la sécurité, le chômage, mais aussi encore une fois l’enseignement supérieur. quand Valérie Pécresse se targue que l’attractivité des universités est en hausse (ce que j’aimerais moi-même), elle se fonde sur une augmentation des étudiants qui se vérifie en fait essentiellement au niveau master, mais oublie qu’au niveau licence c’est la stagnation complète. On pourrait se dire qu’il est finalement classique que le pouvoir choisisse les chiffres qui l’arrangent. Soit. Mais ce que nous vivons aujourd’hui dépasse ce cadre : il s’agit pour le pouvoir de cacher les chiffres qui le dérangent : « cachez ces chiffres que je ne saurais voir ! ». Nous n’avons plus, aujourd’hui, certaines données statistiques que nous connaissions auparavant. Toujours dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, la direction chargée des statistiques publie environ la moitié des notes d’informations qu’elle publiait jusqu’en 2007.

Cette attitude est une péril en démocratie. Celle-ci suppose qu’un débat éclairé puisse avoir lieu dans l’espace public. Ce débat repose sur une information partagée, qui ne suscite pas en permanence la défiance. Or que ce soit les informations sensibles, comme celles concernant la menace terroriste qui est brandie actuellement, ou bien les données statistiques, le pouvoir déviant se lance dans une opération de dissimulation qui rend impossible le débat public, et qui cause de nombreux dégâts parmi les citoyens. Ceux-ci vivent un grand écart entre les données que leur lancent les gouvernants à la figure, et ce qu’ils vivent réellement. Ils ne peuvent plus avoir confiance. Petit à petit, c’est la démocratie qu’on étouffe.

Parmi les orientations que devra prendre la majorité qui mettra fin aux dérives du pouvoir actuel, doit figurer celle d’un nouveau pacte statistique. Il nécessitera de donner une autonomie aux institutions qui produisent les statistiques publiques. Celles-ci devront pouvoir être saisies par les différents pouvoirs afin de produire des données. Mais ces données devront être disponibles pour tout le monde, pas seulement pour les commanditaires. La manière dont elles seront élaborées, leur méthodologie, devra être transparente. Voici quelques conditions nécessaires pour sortir de la dérive actuelle, et pour qu’on puisse vraiment parler des questions de fond.

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