Racaille… Ce mot n’était plus très usité jusqu’à ce qu’un ministre de l’Intérieur le remette au goût du jour. Ignoré du Dictionnaire de l’argot (Larousse), il figure en revanche dans le Dictionnaire des injures de Robert Edouard (Tchou), ce qui confirme son acception péjorative. Mais ce que l’on sait peu, c’est que ce terme, et beaucoup d’autres que l’on considère comme plus ou moins grossiers, appartiennent de plein droit à notre patrimoine littéraire dans la mesure où ils furent employés, dans leurs œuvres comme dans leurs correspondances, par les plumes les plus distinguées. C’est ce que nous révèle Christophe Belzunce dans un amusant petit dictionnaire, « Racaille ! » comme disait Racine (Le Seuil, 221 pages, 12 €) portant le sous-titre : « les gros mots des grands classiques ».
On regrettera sans doute que l’auteur n’ait fait précéder son lexique d’aucun texte de présentation, car la matière ne manquait pas, sur un thème aussi savoureux. Pour autant, le lecteur trouvera, de Abouler à Zouave (faire le), une foule de mots ou d’expressions suivis de définitions et, surtout, de citations d’écrivains parmi les plus célèbres.
Certes, les amateurs de littérature ne seront pas surpris de rencontrer ici Béroalde de Verville, auteur de livres érotiques, Vadé, expert en poèmes poissards, Jean Richepin, Clément Marot, François Villon, Jehan Rictus, Rabelais, Restif de la Bretonne, voire Zola, tous grands manieurs de langue verte ou grasse. Ils le seront probablement davantage lorsqu’ils découvriront d’autres noms illustres, tels Montesquieu, Molière, Huysmans, Mérimée, Mme de Sévigné, Théodore de Banville, Pierre Loti, George Sand, Baudelaire, Stendhal, Verlaine, Ronsard, Montaigne, pour ne citer que quelques gloires littéraires. Même le très austère Jean Calvin figure dans ce recueil, pour « racaille », justement, injure dont il affublait les… « Jésuites et autres sectes ».
Il est inutile de préciser que l’on se divertit volontiers en parcourant ce dictionnaire érudit constellé de perles insolites. Comme l’écrit l’éditeur dans son prière d’insérer : « Chez Flaubert, on ʺschlingue d’une façon fantastiqueʺ et chez Hugo on ʺpue de la gueuleʺ. Balzac manque de ʺthunesʺ, Vallès de ʺpognonʺ, Proust de ʺpépètesʺ et Zola n’a même plus ʺun radisʺ ». Flaubert, le grand Flaubert, figure parmi les sources les plus fréquemment citées, et ce n’est que justice, car, dans sa correspondance, abondent des termes aussi choisis qu’imagés, de bagnole à trombine, en passant par bedon, carotter, couille, emmerder et autres glaviots.
Face aux média (téléréalité en tête) qui tentent de masquer la vulgarité de leurs programmes derrière le paravent de la bienséance en nous imposant de désagréables « bip » en lieu et place du moindre mot d’argot, il est réjouissant de retrouver, chez des maîtres de la littérature, une telle richesse sémantique. Eux, au moins, n’infantilisaient pas leur public.
Illustration, Gustave Flaubert, portrait charge par Eugène Giraud.