La culture est-elle, au même titre que le logement, un luxe dans la capitale ? Vendredi soir, je suis allé voir l’exposition Richard Rogers + Architectes. Cela faisait plusieurs fois que passant devant Beaubourg, mon regard était attiré par les grandes tables et les maquettes qui présentent une rétrospective de Richard Rogers, 40 ans de projets et de réalisations de l’architecte anglais et de ses associés. Mais voilà, le Centre Pompidou lui aussi pourrait servir d’indicateur dans le débat sur le pouvoir d’achat. Car pour visiter cette rétrospective et admirer les maquettes, il faut débourser 10 euros. 10 euros pour quelques centaines de m2 d’exposition de la Galerie Sud. Je crois à une blague. Il est vrai qu’en arrivant j’avais en tête l’époque bénie des débuts de Beaubourg, lorsque le hall, le sous-sol et les différentes mezzanines proposaient expos et installations, souvent gratuites (ma mémoire me joue peut-être des tours avec un passé tout en rose ;-), j’ai vraiment une nostalgie de cette époque où à la place du magasin d’objets aussi chers que convenus, je visitais des expositions sur l’architecture de terre, ou encore ces Nouveaux plaisirs d’architectures où je découvrais Mario Botta, Aldo Rossi, Oswald Mathias Unger ou encore Christian de Portzamparc… Non, ce soir je n’ai pas envie de payer 10 euros, la culture est-elle à ce prix à Paris ? Qu’on est loin aujourd’hui du projet de mettre la culture contemporaine au centre de la cité, de lui donner un accès facile pour tous. L’ambition de Beaubourg est-elle morte ou s’est-elle adaptée à son environnement, touristes et bobos ? Sans trop de conviction je me rabats sur le catalogue en vente dans la librairie. 39,93 euros, c’est une catalogue Centre Pompidou, tarif Centre Pompidou. Je dois avouer que le catalogue est beau, en tout cas vu de l’extérieur car il est scellé. Donc 10 euros l’entrée et 39,90 euros le catalogue, cela fait 49,90 euros pour Richard Rogers, si l’on est vraiment intéressé ! A Paris la culture a son prix…
Donc, je ne vous conseillerai pas cette exposition, car même si j’ai bien 10 euros à consacrer à une exposition, je refuse de le faire. Je ne veux pas entrer dans ce système et le cautionner. Tant pis pour moi…
En revanche, pour 6,50 euros (c’est encore un peu cher, mais j’ai l’impression qu’en dehors de jours gratuits à Paris, rien n’est abordable dans le domaine culturel), je vous conseille l’exposition Sots Art, à la Maison Rouge, 12 boulevard de la Bastille. Si comme moi vous êtes démoralisés par la Russie de Poutine, prêts à dire que ma foi, ces Russes ne sont pas faits pour la démocratie et qu’ils n’ont que ce qu’ils méritent, une visite à Sots Art aide à remettre les pendules à l’heure. On ne doit pas désespérer d’un pays qui est capable de produire une telle avant-garde critique qui est l’objet de l’expo Sots Art, art politique en Russie de 1972 à aujourd’hui. Sots Art, c’est la version Soviétique d’abord, puis Russe du Pop Art, la façon dont les dissidents des années 70 mettaient en image leurs critiques et leur revendication de liberté. Et une des pièces les plus intéressantes de cette exposition, est certainement le catalogue d’objets absurdes, « super objets pour super gens » pour éviter les mauvaises odeurs, les mauvais bruits, vérifier qu’on n’est pas suivi, de Komar et Melamid, les fondateurs de ce mouvement.
Sur le site de l’expo, on peut lire : « Au-delà du déni ou de la dénonciation qui avaient caractérisé la démarche de la première génération des artistes « non-conformistes », le Sots Art propose une troisième voie : l’appropriation des images et des slogans de la propagande pour la rendre grotesque. La méthode va reposer sur l’emploi incorrect et hors contexte des sujets et des motifs de la propagande. Ces manipulations ludiques d’une rhétorique du pouvoir destinée à soumettre l’individu, ont réellement contribué à libérer les consciences. ». Et c’est une étonnante et réjouissante découverte – émouvante aussi, comme un Good-bye Lenin dans une galerie – que Sots Art propose. Beaucoup sont partis à New York comme Kossolapov qui accueille les visiteurs avec une kokhozienne et un ouvrier aux têtes de Mickey et Minnie, et dont une Trinité fait face à un Kroutchev culbuto et un Staline et Maryline. Mais Sots Art continue à influencer les artistes russes de Russie, « Retour vers le futur » avec une galerie de cosmonautes CCCP façon mur de cantine soviétique, cachés derrière une palissade, ou encore un portrait de Elstine et Lebed façon réalisme soviétique, un soviet paradise, avec pionnier, ouvrière, joueuse de tennis et ingénieur. Et côté catalogue, pas de risque de se ruiner. Sots Art co-produit par la Galerie Trétiakov a connu des difficultés de réalisation. Lorsque j’ai voulu acheter le catalogue, on m’a expliqué à l’accueil « qu’ il était imprimé en Russie, et qu’ils n’étaient pas d’accord avec le texte et qu’on devrait l’avoir en janvier, normalement ». Sots Art a fait tousser les autorités russes, qui n’aiment pas que l’on s’attaque à la Russie, fut-elle soviétique. Raison de plus pour y aller ;-)
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