Il y a un personnage à la fois omniprésent mais muet dans Dark City, c’est la ville elle-même : façonnée par la volonté des Étrangers, elle est en réalité le fruit des rêves de ses habitants – et surtout en tenant compte des altérations que provoquent les Étrangers sur ces songes car c’est précisément en voulant étudier les tréfonds de l’âme humaine que ceux-ci laissent leurs rats de laboratoire dicter sa forme à la cité, au moins de façon indirecte. Ce qui n’est jamais qu’une métaphore de la volonté comme moyen de donner forme à la matière, c’est-à-dire la volonté comme puissance – thème immensément nietzschéen qui impose son final au film d’ailleurs, même si son réalisateur affirme que cette conclusion est en réalité un hommage au Akira de Katsuhiro Otomo : petite subtilité qui du reste n’étonnera personne.
On y trouve aussi du Philip K. Dick, au moins de manière sous-jacente, encore que compte tenu de l’intérêt d’Alex Proyas pour la mythologie grecque il s’agirait plutôt de l’allégorie de la caverne de Platon, ce qui n’est pas tout à fait la même chose mais reste néanmoins un gage de qualité. Et puis du polar également : c’était le point de départ de ce projet d’ailleurs, avant que le réalisateur choisisse finalement de laisser le rôle du personnage principal à la cible de l’enquêteur au lieu de l’inspecteur lui-même – petite interversion qui permet de sortir d’un sentier battu pour se retrouver sur un autre, celui de la victime innocente qui tente d’échapper à une justice ici bien moins aveugle que dans d’autres productions pas autant inspirées que celle-ci… Du coup, l’enquête elle-même devient secondaire, et il ne reste plus que l’ambiance propre au genre policier, ce qui n’est pas si mal.
Dark City est un film à voir car tout à fait exceptionnel : en juxtaposant des idées et des thèmes aussi disparates, Proyas obtient une originalité dans la facture comme dans l’émotion mais aussi l’interrogation qui propulse son œuvre à des sommets rarement égalés, même par les plus experts dans le domaine du cinéma. Au-delà de la nécessité absolue d’une mémoire sur laquelle baser notre perception du réel et des autres, c’est-à-dire de nous-même, Dark City est une ode à ce besoin de rêves qui nous maintient en vie, qui nous pousse sans cesse à vouloir remodeler non seulement notre environnement mais aussi nos proches pour leur donner l’aspect qui nous complimente le mieux, celui-là seul qu’on accepte de regarder dans le miroir. Une illusion de plus, comme toutes celles qui parsèment ce film, lui-même un autre mirage d’ailleurs – par définition.
Récompenses :
- Silver Scream Award, au Festival du film fantastique d’Amsterdam
- Meilleur scénario, au Prix Bram Stoker
- Pegasus Audience Award, au Festival du film fantastique de Bruxelles
- Meilleur scénario, à la Film Critics Circle of Australia
- Prix spécial, au National Board of Review
- Meilleur film de science-fiction, aux Saturn Awards
Dark City, Alex Proyas, 1998
TF1 Vidéo, 2001
96 minutes, env. 13 € l’édition prestige
- le site officiel (en anglais)
- d’autres avis : Cinéaddict, Atemporel, Scifi-Universe, Film de Culte
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