John Murdoch s’éveille dans une chambre d’hôtel où il trouve le corps d’une femme dont il n’a aucun souvenir, comme il ne se souvient de rien d’autre puisqu’il est amnésique. Au-dehors, la ville toute entière dort – même les conducteurs aux volants de leurs voitures dans le trafic immobile… Très bientôt, Murdoch trouve la police à ses trousses, mais d’autres vont vite se mêler à la traque : les Étrangers, des gens mystérieux et sombres, aux pouvoir terrifiants, mais qui pourtant ont désespérément besoin du faible et très isolé Murdoch…
Il y a un personnage à la fois omniprésent mais muet dans Dark City, c’est la ville elle-même : façonnée par la volonté des Étrangers, elle est en réalité le fruit des rêves de ses habitants – et surtout en tenant compte des altérations que provoquent les Étrangers sur ces songes car c’est précisément en voulant étudier les tréfonds de l’âme humaine que ceux-ci laissent leurs rats de laboratoire dicter sa forme à la cité, au moins de façon indirecte. Ce qui n’est jamais qu’une métaphore de la volonté comme moyen de donner forme à la matière, c’est-à-dire la volonté comme puissance – thème immensément nietzschéen qui impose son final au film d’ailleurs, même si son réalisateur affirme que cette conclusion est en réalité un hommage au Akira de Katsuhiro Otomo : petite subtilité qui du reste n’étonnera personne.
On y trouve aussi du Philip K. Dick, au moins de manière sous-jacente, encore que compte tenu de l’intérêt d’Alex Proyas pour la mythologie grecque il s’agirait plutôt de l’allégorie de la caverne de Platon, ce qui n’est pas tout à fait la même chose mais reste néanmoins un gage de qualité. Et puis du polar également : c’était le point de départ de ce projet d’ailleurs, avant que le réalisateur choisisse finalement de laisser le rôle du personnage principal à la cible de l’enquêteur au lieu de l’inspecteur lui-même – petite interversion qui permet de sortir d’un sentier battu pour se retrouver sur un autre, celui de la victime innocente qui tente d’échapper à une justice ici bien moins aveugle que dans d’autres productions pas autant inspirées que celle-ci… Du coup, l’enquête elle-même devient secondaire, et il ne reste plus que l’ambiance propre au genre policier, ce qui n’est pas si mal.
Dark City est un film à voir car tout à fait exceptionnel : en juxtaposant des idées et des thèmes aussi disparates, Proyas obtient une originalité dans la facture comme dans l’émotion mais aussi l’interrogation qui propulse son œuvre à des sommets rarement égalés, même par les plus experts dans le domaine du cinéma. Au-delà de la nécessité absolue d’une mémoire sur laquelle baser notre perception du réel et des autres, c’est-à-dire de nous-même, Dark City est une ode à ce besoin de rêves qui nous maintient en vie, qui nous pousse sans cesse à vouloir remodeler non seulement notre environnement mais aussi nos proches pour leur donner l’aspect qui nous complimente le mieux, celui-là seul qu’on accepte de regarder dans le miroir. Une illusion de plus, comme toutes celles qui parsèment ce film, lui-même un autre mirage d’ailleurs – par définition.
Récompenses :
- Silver Scream Award, au Festival du film fantastique d’Amsterdam
- Meilleur scénario, au Prix Bram Stoker
- Pegasus Audience Award, au Festival du film fantastique de Bruxelles
- Meilleur scénario, à la Film Critics Circle of Australia
- Prix spécial, au National Board of Review
- Meilleur film de science-fiction, aux Saturn Awards
Dark City, Alex Proyas, 1998
TF1 Vidéo, 2001
96 minutes, env. 13 € l’édition prestige
- le site officiel (en anglais)
- d’autres avis : Cinéaddict, Atemporel, Scifi-Universe, Film de Culte
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